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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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De la Mer, eaux & fontaines de Maragnan.

Chap. XXXVIII.

La Mer est differente en Maragnan, en ses marees, d’avec le reste de l’Univers : d’autant que l’Ocean par tout, suit par mesure infallible, le Croissant, plenitude, & décours de la Lune, & neantmoins nos Matelots ont remarqué en Maragnan, qu’il y avoit un jour ou deux, & quelquefois davantage, de distance & difformité avec l’ordinaire des autres marees de Univers. Il est aisé de respondre à ceste difficulté : si on veut remarquer, que le seul Bresil differe d’avec toutes les autres contrees de l’Univers, en ce point qu’il est environné de mille et mille inflexions causees, tant par les bancs & roüeles de sable, que par les tours & retours des pointes & bayes : Joinct que ces terres & ces emboucheures sont extremement découpees, tellement que les marees ne viennent si tost en leur hauteur, dans les rivieres salees, ports & havres, comme elles font ailleurs. Prenez-en l’exemple au flux & reflux de la mer, dans la riviere de Seine : car la mer au Havre de Grace est preste de refluer, quand le flot vient d’arriver au Pont de l’Arche.

J’ay pris garde à une autre chose, commune aussi aux autres mers, mais non pas tant : c’est que la mer en son flux, disperse à chaque pointe de roche, sa maree propre, faisant au milieu du Chenail, le sillon de son flux principal, orné de la cresme marine qui s’amasse en ce milieu, ainsi que si vous tiriez une corde au niveau, & sert d’adresse aux Pilotes, pour recognoistre le Chenail d’entre les batures. La raison de cecy est, ce me semble, la proprieté de la figure ronde, qu’ont tous les Elemens, qui est de disperser son champ à tous les points de sa circonference : par ainsi la mer faict au milieu du centre de son flux, le sillon, ou fil de son cours : puis disperse & donne à chasque pointe de rocher, le ray de sa maree : en sorte que j’ay veu quelquefois plusieurs pieces de bois, portees diversement & en opposition contre les rochers, par les rays & rameaux de ces marees diverses.

Les eaux de Maragnan sont incorruptibles & beaucoup meilleures que celles de l’Europe, comme j’ay recogneu par experience à mon retour de dix semaines, en voicy la raison : Plus un corps est subject à repassion & changement de qualité, plus est-il corruptible & mauvais, à cause des alterations que le changement leur apporte : Or les eaux de Maragnan sont tousjours en mesme estat, & par ainsi incorruptibles & tres-bonnes : Au contraire les eaux de l’Europe sont tantost chaudes, tantost froides, & par consequent corruptibles & mauvaises.

Les fontaines de Maragnan ne sont pas froides, comme les fontaines de l’Europe : parce que les terres de Bresil sont basses, & pour ce subject, ne peuvent causer l’antiperistase dans leurs entrailles specialement pour la proximité du Soleil, qui penetre bien vivement & avant dans la terre qui est sabloneuse, & pourtant fort susceptible de la chaleur. Or est-il que les eaux de l’Europe sont froides en Esté, à cause de la grande antiperistase des terres, qui sont hautes, d’où les eaux coulent, lesquelles terres sont le plus souvent fortes & pesantes, & resistent à la chaleur du Soleil : Par ainsi donc les fontaines du Bresil, demeurent tousjours en une semblable temperature : pource que le Soleil roule esgalement sur elles, & n’ont rien qui leur puisse apporter quelque qualité froide.

Entre ces fontaines de Maragnan, les unes sont meilleures que les autres & de couleur diverse : ce qui vient de la terre, qui est fort diversifiee en goust & en couleur : Joinct que la terre estant basse comme j’ay dit, plusieurs arbres, les uns de bon goust, & les autres de mauvais, estendent leurs racines en bas, entre lesquelles les veines des fontaines courantes, reçoivent une qualité bonne ou mauvaise, tant de la terre que des arbres.

Une autre chose est à noter de ces fontaines : c’est que les unes tarissent vers le mois du Septembre, & les autres diminuent sans se tarir pourtant ; cecy procede de la terre de Maragnan, laquelle estant chaude, seche & sabloneuse, dissipe aisement ses eaux, qu’elle reçoit des pluyes, desquelles elle faict & nourrit pour la plus-part, ces fontaines. Et pourtant les mois de Septembre, Octobre, Novembre & Decembre, estant les plus eslognez des pluyes, la plus-part des fontaines se tarissent, & les autres diminuent fort.

Celuy qui desire boire de l’eau extremement froide, doit emplir un seau d’eau & l’exposer au serain de la nuict, le matin il la trouvera aussi froide que glace : ce qu’il ne feroit pas, s’il alloit aussi matin puiser de l’eau à la fontaine : parce que les nuicts estans fort froides à Maragnan, elles agissent bien plustost sur une eau enfermee en petite quantité, & dans un vaisseau, qui de tous costez est environné de l’air, que non pas sur les eaux tousjours mouvantes par leur courant, retenues en leurs licts basse, & de toutes parts couvertes & opaque, n’ayant que la seule superficie à descouvert : Ainsi qu’il est aisé de voir en l’Europe, durant l’Hyver, que les fontaines & fosses pleines d’eau, situees à l’abry & à couvert, rarement sont gelees, voire je dy, refroidies.

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