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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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Du voyage du Capitaine Maillar[106] dans la terre ferme, en l’habitation d’un grand Barbier : Description de ceste terre, & des tromperies de ce grand Barbier.

Chap. XXXIII.

C’est une verité recogneuë de tous ceux qui ont hanté ces Pays du Bresil, que la terre ferme n’a rien de commun en beauté & fertilité avec les Isles : pour ce que les Isles sont sables noirs et legers, adustes & bruslez de la continuelle chaleur, d’autant que les Isles sont bien plus sujectes en ceste Zone torride aux chaleurs & ardeurs, & ce à cause de la mer qui redouble par reflexion la puissance de la lumiere du Soleil sur l’opacité prochaine & concentrique de la terre : Chose que vous experimentez en la composition des miroirs ardans, desquels le centre est opaque, & eslevé plus que sa circonference & ses bords : & partant les rayons du Soleil se reünissent & colligent en ce centre, qui pour cet effect produisent le feu & la flamme aux subjects disposez, mis à la poincte & pyramide de ce centre.

Le Sieur de la Ravardiere ayant plusieurs fois entendu des Sauvages qu’il y avoit une terre infiniment bonne, à cent, ou cent cinquantes lieuës de Maragnan dans la Terre Ferme, és contrees qui sont vers la Riviere de Miary, à plus de quarante ou cinquante lieuës d’icelle, il dépescha une Barque & des Canots, & y envoya le capitaine Maillar de Sainct Malo, avecques quelques François & un Chirurgien, qui se cognoissoit fort à la nature des herbes & arbres precieux. En cette terre, s’estoit retiré un des Principaux Sorciers de Maragnan, avecques quarante ou cinquante de ses semblables, tant hommes que femmes, & y avoit basty un village, & cultivé la terre, laquelle luy rendoit toutes choses en si grande abondance, que ce mal-heureux faisoit acroire à tous les Tapinambos, ainsi que je diray cy apres, qu’il avoit un esprit, qui faisoit venir & croistre de terre ce qu’il vouloit. Là ce Capitaine se transporta, avecques bien de la peine : car il falut qu’il passast une longue & large plaine couverte de joncs & de roseaux, marchant dedans l’eau jusques à la ceinture, & apres y avoir sejourné quelque temps, & remarqué la bonté de la terre, il nous rapporta ce qui s’ensuit.

C’est, que la terre de ce lieu estoit forte, grasse & noire, & tres-bonne à produire les cannes de sucre, & beaucoup meilleure que celle de Fernambourg : ce qu’il peut bien tesmoigner, pour avoir demeuré plusieurs annees dans Fernambourg & pratiqué les autres endroicts que tiennent les Portuguaiz : La terre est arrosee de grande quantité de ruisseaux capables de faire moudre les engins à succre.

Il y a abondance de poissons d’eau douce fort grands, & de plusieurs especes : Les Tortuës y sont sans nombre, le gibier & la venaison de toute sorte, & en quantité indicible, outre les Cerfs, Biches, Chevreils, Sangliers, Vaches-Braves, Pagues, Agoutis, Armadilles, qu’ils appellent Tatous. Il s’y trouve des Lapins & des Lievres, comme en France, mais plus petits : la diversité des oyseaux & du gibier est tres-grande : Les Perdrix, Faisans, Moitons[107], Bisez, Ramiers, Tourtes, & Tourterelles, Herons & semblables s’y voyent par admiration. La terre porte les racines grosses comme la cuisse. Le Petun y vient fort grand & fort bon, & disent que l’on y peut faire deux cueillettes l’année. Le Mil y vient fort haut, gros & en quantité. Il y a des fruicts beaucoup meilleurs & en plus grand nombre que dans l’Isle, Tapouitapere & Comma. Il y a diversité de Perroquets en couleur & grosseur specialement des Touins francs[108], gros comme des moineaux, qui apprennent incontinent à parler, mais ils meurent du haut mal, quand il sont apportez dans l’Isle. J’ay veu moy-mesme que d’un grand nombre, à peine en peut-on sauver demy douzaine, & en mangeant, chantant ou sautelotant dans la cage, sans aucune apparence de mal precedant, en faisant trois on quatre tours ils tomboient morts. Il y de forts gros Magos & des Monnes barbuës, tres-belles & tres-rares, & qui seroient fort recherchees, si on en apportoit en France.

Il se tient là un Barbier ou Sorcier fort bien accommodé & fourny de toutes choses necessaires : il estoit venu un peu avant ce voyage, faire ses barberies & enchantemens, & ce à fin de gagner les hardes & ferrailles des Sauvages de Maragnan, pour les emporter quant & soy en son pays. Ces barberies furent de diverses sortes. Premierement il avoit une grosse marionette qu’il faisoit se mouvoir subtilement, specialement la machoire basse de sa bouche, & haranguoit faisant à croire aux femmes des Sauvages, que si elles vouloient que leurs graines & legumes multipliassent quatre fois plus, qu’elles n’avoient coustume de faire : il falloit qu’elles apportassent quelques unes de ces graines & legumes, & les donnassent à sa marionette, pour les faire tourner trois ou quatre fois dans sa bouche, afin de recevoir la force de multiplication de son esprit, qui demeuroit en ceste marionnette : puis semant une ou deux de ces graines ou racines dans leurs jardins, toutes les autres graines & legumes prendroient la force de multiplier de ces deux. Il y eut une telle presse par les villages où il alla, des femmes qui luy apportoient des graines & legumes pour faire tourner en la bouche de la marionette, qu’à peine y pouvoit-il fournir, & les femmes gardoient cela fort curieusement.

2. Il institua une danse ou procession generale, & faisoit porter à tous les Sauvages, tant hommes, femmes, qu’enfans, des branches de Palme piquante, surnommee Toucon[110], & alloient tout autour des loges chantans & dansans, & ce disoit-il, pour exciter son esprit à envoyer les pluyes, (car en ceste annee elles vindrent trop tard) apres la procession ils caouïnoient jusqu’au crever[111]. 3. Il fit emplir d’eau plusieurs grands vaisseaux de terre, & marmotant je ne sçay quelles paroles dessus, apres lesquelles il plongeoit dedans un rameau de palme, aspergeant un chacun sur la teste : il disoit : soyez mondes & purifiez, afin que mon esprit vous envoye les pluyes en abondance. 4. Il prit une grosse canne de roseau creuse, qu’il emplit d’herbe de Petun, & y mettant le feu par un bout, il souffloit la fumée sur ces Sauvages, disant, Prenez la force de mon esprit[109], par laquelle vous serez tousjours sains de corps & vaillants de courage contre vos ennemis. 5. Il planta un May d’arbre, au milieu du village, chargé de coton, & apres avoir faict quelque tours & retours aux environs, il leur dit, qu’ils auroient ceste annee grande quantité de coton.

Or pour toutes ces barberies, la pluye ne venoit point, & ne cessoit jour & nuict de faire danser les Sauvages, & crier le plus haut qu’ils pouvoient pour reveiller son esprit ainsi que jadis faisoient les sacrificateurs de Baal ; nonobstant ces cris, la pluye ne venoit point. Il s’advisa de faire accroire à ces Sauvages, qu’il voyoit bien son esprit chargé de pluyes, du costé de la mer : mais il n’osoit approcher à cause de la Croix, qui estoit plantee au milieu de la place du village, vis à vis la Chappelle de nostre Dame d’Usaap, & par ainsi s’ils vouloient avoir de la pluye il falloit déplanter ceste Croix : à quoy ils acquiescerent aisement, & l’eussent faict, n’eust esté les François qui estoient-là, & la crainte d’en estre punis qui les en empescha.

Ceste nouvelle vint au Fort, & aussi tost on y envoya Le Grand Chien, & les François pour amener le Barbier, & voir au moins s’il pourroit danser au milieu d’une sale, d’une façon qui ne luy eust pleu, & luy eust-on appris, que son esprit n’eust esté bastant de le sauver : Ce que recognoissant fort bien, par l’advertissement qu’il eust, qu’on l’envoyoit querir, pour luy faire tout honneur au Fort : il ploya hastivement son bagage, & prenant ses gens avec luy, se sauva par mer dans son Canot, & quelque temps apres il envoya faire ses excuses, par un sien parent, qui apporta beaucoup de presens de son pays, pour faire sa paix.

Il laissa une croyance aux Sauvages de l’Isle, qu’il avoit un esprit fort bon, & estoit grand amy de Dieu, qu’il n’estoit point meschant, ains ne demandoit qu’à bien faire : Il mange avec moy, disoit-il, dort & marche devant moy, & souvent il vole devant mes yeux ; & quand le temps est venu de faire mes jardins, je ne fay que marquer avec un baston, l’estenduë d’iceux, & le lendemain au matin je trouve tout faict. Quelques-uns des Sauvages Chrestiens, ayans entendu, que nous avions desir de faire punir ce compagnon, abuseur de peuple, ils me disoient, qu’il falloit avoir pitié de luy, & ne luy rien faire ; par ce qu’il n’avoit jamais esté meschant, ny son esprit, ains que l’un & l’autre s’estoient employez à faire croistre les biens de la terre : Je les enseignay sur ceste matiere ce qu’ils devoient croire. Pensez vous autres qui lisez cecy, combien ce ruzé Sathan sçait comme un Singe, contrefaire les ceremonies de l’Eglise, pour introniser sa superstition, & retenir en sa cordele les ames infidelles. Vous le pouvez voir par ceste procession de Palmes, ceste aspersion d’eau, & soufflement de fumee, communicant son esprit, de quoy nous parlerons plus amplement au Traitté du Spirituel.

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