Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
Que les enfans du Bresil termineront & finiront le Royaume de Lucifer, & commenceront à establir le Royaume de Jesus Christ.
Chap. XIIII.
Le Psalmiste Royal David en son Psalme 8. lequel est institulé en cette sorte, In finem pro torcularibus, Psalmus David. C’est à dire le Pseaume de David qui doit estre chanté en action de graces au Seigneur, sur la fin des vendanges, dit, par prevision de la ruine totale de l’Empire de Lucifer sur les ames infidelles, & de l’establissement du Royaume de Jesus-Christ : Ex ore infantium & lactentium perfecisti laudem propter inimicos tuos, ut destruas inimicum & ultorem. Tu as perfectionné ta loüange par la bouche des enfans & des petits à la mammelle en dépit de tes ennemis ; à ce que tu destruises l’Adversaire & le Tyran plein de vengeance. Rabbi Jonathas embellit ce passage & l’esclaircit en cette sorte : Fundasti fortitudinem ut destruas Authorem inimicitiarum & ultorem. Tu as fondé la force de ton Empire par la bouche & confession de foy des petits enfans, pour monstrer ta grandeur, en ruinant de fond en comble l’Autheur des inimitiez & le vangeur sanguinaire. Et Sainct Hierosme dict : Quiescat inimicus & ultor, Tu as fermé la bouche au seducteur ennemy de salut & enragé contre les hommes par la voix des enfans.
Grande merveille que les enfans ont esté le Symbole de la fondation prochaine du Royaume de Jesus-Christ, & de la cheute de la puissance des Demons. Je ne veux icy m’arrester beaucoup à relever de plusieurs exemples ce traict de la providence de Dieu, ains je me contenteray de rapporter ce qui se passa au Triomphe de Jesus-Christ avant sa Passion, lors que les enfans crioyent, Osanna filio David, & que le Fils de Dieu soit le bien venu, qui fut ce que ce S. Roy prendoit dire premierement, en intitulant son Cantique In finem pro torcularibus, en la fin pour les pressions, c’est à dire, en la fin du Royaume de Sathan, & au commencement de la Passion de Jesus-Christ quand ces enfans devoient rendre ce tribut & recognoissance. Secondement de jour en jour, & en suitte, en la fin & consommation de la captivité de Sathan sur les ames infidelles : & au commencement de la saincte Eglise, establie parmy elles, & ce principalement par les enfans : chose que je veux faire voir estre accomplie és enfans du Bresil.
Ces jeunes ames, non encore corrompues ny gastees des vieilles & mauvaises coustumes de leurs Peres, montrent je ne sçay quelle disposition singuliere & particuliere à recevoir comme un tableau ras, telle peinture…
(Lacune d’une feuille.)
… répugnance : & nous leur facilitions le moyen de l’entendre par les choses qu’ils voyoient journellement : telles que sont les huitres croissantes sur les branches des arbres, lesquelles prennent chair & vie entre deux coquilles, sans aucune commixtion ny emission de semence, ains de l’humeur marine & par la chaleur du Soleil : Ainsi le Fils de Dieu au ventre de la Pucelle, la saincte Vierge, son precieux sang ayant fourny de matiere, & le Sainct Esprit de chaleur, a pris son corps sans autre operation humaine. Ils goustoient fort cette similitude, & me respliquoient que plusieurs autres choses en leur pays s’engendroient par la seule operation du Soleil, telles que sont les lezards qui sortent des œufs, apres que la chaleur du Soleil leur a donné la vie : partant qu’ils ne trouvoient aucune difficulté en cela : ny aussi, que Dieu se fust faict homme pour mourir, afin de sauver les siens, parce que, disoient-ils, Giropari, qui est un esprit meschant, entre dans le corps des animaux monstrueux, pour nous faire peur, battre & tourmenter.
Sur tout j’admirois certes, comment si aisement ils se persuadoient, la verité & la realité de Jesus-Christ Fils de Dieu, soubs les especes de pain & de vin, veu que nous voyons par deçà tant d’ames errantes en ce poinct, lesquelles en toutes autres affaires ne manquent point d’esprit & de jugement. Je ne puis dire autre chose là dessus, sinon ce que la Saincte Escriture dict aux Proverbes vingt cinq : Sicut qui mel multum comedit non est ei bonum, sic qui scrutator est majestatis opprimetur à gloria : C’est chose bien douce que le miel, mais quiconque en mange par trop, il n’y a rien qui offence d’avantage l’estomach : De mesme il n’y a rien de plus suave & delicieux que la consideration des œuvres de Dieu, & la lecture des sainctes lettres, mais celuy qui entre trop avant & mesure le tout à l’aulne de son esprit, poussé de la superbe de son entendement. Il n’y a rien plus asseuré qu’il demeurera opprimé des vifs rayons de la gloire de sa Majesté : cela se voit és yeux des hybous aveuglez, pour ce qu’ils veulent contempler & juger de la face du Soleil & de sa lumiere : Au contraire ceux qui manient avec crainte & humilité les mysteres de nostre Foy, sont esclairez sans danger de leur veuë, & obeissent doucement à la volonté & puissance du Souverain, lequel peut ce qu’il veut, peut, veut & faict ce qu’il dict. Ces pauvres Sauvages, je dy mesme ceux qui n’estoient pas encore Chrestiens, si tost qu’on leur faisoit signe qu’ils sortissent de l’Eglise, ils s’en alloient franchement, demeurans neantmoins à la porte, laquelle estoit fermee pendant que l’on disoit le Canon de la Messe, & qu’on faisoit la communion : & disoient par ensemble que le Toupan descendoit à cette heure là sur nos Autels, beuvant & mangeant avec nous, & ne meritoient pas demeurer devant luy, sinon lors qu’ils seroient baptisez, & la plus part d’iceux se tenoit à genoux, ayans veu les François faire le mesme : Quant aux Indiens Chrestiens, ils s’agenoüilloient incontinent qu’ils entendoient sonner la clochette, joignans les mains & adorans Dieu. Ils appellent ce mystere du tres-sacré Corps & precieux Sang du fils de Dieu du mot de Toupan, c’est à dire, de Dieu mesme, ainsi qu’il est porté en leur croyance, Aséreou yanondé Toupan rare, c’est à dire, devant mourir tu recevras le Corps de Dieu. Et encore que je recogneusse en eux cette facilité de croire à ce secret si profond, je n’osois me hasarder de les communier, si ce n’eust esté en l’article de la mort, & aymois mieux laisser cela à ceux qui viendroient apres moy, parce qu’un jour donnant la communion à une Indienne, laquelle j’avois faicte examiner autant qu’il me fut possible avant que de luy donner le precieux corps de Jesus Christ à Pasques, si tost qu’elle eut receu l’Hostie sacree, elle se troubla fort, & ne la pouvoit avaler, tellement qu’elle vint à hausser sa main afin de me redonner l’Hostie, ce que j’empeschay, luy disant qu’il n’y avoit que les Prestres qui peussent la toucher, & qu’elle n’eust point de crainte, & ne se troublast point de recevoir son Dieu, que sa volonté estoit qu’elle le receust & l’avallast hardiment, ce qu’elle fit moyennant un peu de vin, que je luy mis dans la bouche avec le calice : ceste secheresse de la langue & de la bouche ne luy estoit arrivee que d’une trop grandes timidité à recevoir cette saincte viande, ce qui me fit resoudre desormais de les laisser se bien fonder en la cognoissance de cet article, auparavant que de leur administrer le sainct Sacrement : & encore que plusieurs me demandassent le Toupan, je les remettois à la venuë de nos Peres.
On n’a pas grande peine à les faire confesser leurs fautes, mesme les femmes, & des choses, lesquelles par deçà le sexe feminin faict toute difficulté de declarer aux Prestres, tenans la personne de Dieu : Ils vous disent fort librement, l’oüy, & le non, le temps, le lieu, la qualité des personnes, & le nombre de leurs pechez, sans aucune honte sote & mondaine, comme nous voyons par deçà. Ils ne hesitent en rien à croire l’effect du Baptesme, qui est le lavement des peschez, la filiation de Dieu, & l’acquisition du Ciel, & tiennent pour certain que ceux qui sont baptisez vont en paradis avec Dieu : Cela s’entend pourveu qu’ils ne retombent en peché mortel. De tout temps ils ont creu qu’il y avoit un Enfer où estoit Giropari, & avec lequel les meschans alloient : De mesme ils tenoient par tradition que Dieu estoit bien heureux là haut, & que les bons esprits demeuroient avec luy : & quant à leurs Peres qui avoient bien vescu, ils s’en alloient en un lieu de delices, terrestre pourtant, ou rien ne leur manquoit. Suivant cecy il nous fut bien aisé de leur faire entendre ce qu’ils devoient croire du Paradis, de l’Enfer, & d’un troisiesme lieu, dans lequel les ames sont purgees auparavant que d’aller au Ciel, & d’un quatriesme où les petits enfans qui ne reçoivent le Baptesme, mourans avant l’usage de raison, estoient receus pour ne point endurer de mal, aussi ne pouvoir jamais voir Dieu, le Baptesme estant la clef du Ciel.
On ne croiroit jamais, si l’experience ne le faisoit voir, combien ces gens sont curieux de sçavoir les choses de Dieu. Ils nous faisoient tous les jours mille questions quand nous discourions avec eux de ces matieres, ainsi que celles-cy : Comment Dieu avoit faict le monde. Si c’estoit avec ses mains, ou si les bons esprits luy avoient aydé à faire les Cieux, les Estoilles, le Soleil, la Lune, le Feu, l’Air, l’Eau & la Terre, les premiers hommes, les premiers oyseaux, poissons, animaux, reptiles, arbres & herbes. Ce qu’il y avoit devant que le monde fust fait, ce que Dieu faisoit estant tout seul ; & en quelle forme il est là haut au Ciel. Par quel moyen il faict rouler le Tonnerre, & envoye les pluyes : s’il parle aux hommes, si nous estions descendus du Ciel, si nous estions naiz de femmes, si nous avions veu les Anges & les Diables, qui nous avoit apris tout ce que nous leur enseignions, si nous ne mourions point : & apres que nous estions morts comment on faisoit d’autres Pays. S’il y avoit beaucoup de Pays en France, si tous estoient vestus comme nous, s’il y avoit un Roy Pay, pourquoy nous ne voulions point de femmes ny de marchandises, si la Mere de Dieu avoit esté une fille comme une autre, si elle avoit beu & mangé ainsi que nous, pourquoy il estoit mort, s’il ne venoit point quelquefois du Ciel se promener en terre, & parler à nous, si ces Apostres estoient Pays comme nous, combien il y en avoit eu, pour quoy les autres Karaibes François n’estoient pas aussi bien Pays comme nous, si c’estoit nous-mesmes, qui nous fussions faits Pays, ou si c’estoit un autre qui nous eust fait tels.
A toutes ces demandes & plusieurs autres, nous leurs respondions ce qui en estoit, & faisoient paroistre exterieurement par leurs gestes & paroles le contentement qu’ils en recevoient : aussi à la verité le temps s’escouloit doucement parmy toutes ces demandes & confabulations : Et pour ce que je veux mettre cy apres les divers & plus singuliers discours que j’ay eu avec les Mourouuichaues, c’est à dire, les Principaux de Maragnan, Tapoüitapere, Comma, Caietez, Para & Miary. Je ne me veux arrester davantage sur ces questions & demandes : d’autant que vous les verrez au long, & mes responces parmy ces conferences, lesquelles comme j’espere, vous donneront un grand contentement, vous asseurant que je les rapporteray tres-fidelement, & ne m’escarteray que le moins qu’il me sera possible, de la phrase ordinaire qu’ils ont en leurs harangues : en quoy l’on m’excusera, comme aussi du passé, si l’on ne trouve tant d’ornement en ceste Histoire, ainsi que requerroit la curiosité du siecle : mon opinion est, que la beauté d’une Histoire est la verité du faict & la simplicité du stile. Que si je ne rapporte mot à mot ces Conferences, ou que j’use de multiplicité de paroles, c’est assez que je n’offenceray en rien la substance du fait, & que cette abondance de discours sera du tout necessaire & requise, afin de vous faire entendre clairement leur intention & discours.