Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
Sommaire Relation de quelques autres choses plus particulieres qui ont esté dictes de bouche aux Peres Capucins de Paris par Monsieur du Manoir.
Monsieur du Manoir[171] (qui est un des Capitaines desquels il est parlé en la lettre precedente qu’ils trouverent en ce pays-là avec le Capitaine Gerard) estant revenu en France ces jours derniers, et leur ayant luy mesme apporté la susdite lettre avec plusieurs autres (quelques unes desquelles nous avons bien voulu mettre icy, à ce que les merveilleuses œuvres de Dieu desquelles ces lettres font foy, ne soyent ensevelies dans le tombeau d’oubly : ains qu’elle soient mises au jour à ce que les hommes ayent sujet de loüer la sagesse, providence et bonté du Createur), leur a dit de bouche plusieurs particularitez de leurs Peres, qui ne sont pas contenuës dans la susdite lettre, ny dedans les suivantes. Il dit donc que les Peres estans arrivez en ce pays. Ils commencerent à planter leur pavillon faisant une maniere de Chapelle pour y dire la Messe, et quelques petites cellules pour se loger, à quoy faire ces pauvres Sauvages leur aidoyent eux mêmes avec des toilles et rameaux d’arbres. Ce qu’estant achevé, un jour comme un Pere disoit la Messe, voicy venir un de ces Sauvages des plus anciens (qu’ils tiennent comme leurs gouverneurs, les honorant, et respectant à cause de la vieillesse) lequel en amena trente autres avec luy pour entendre la Messe, ce qu’ils firent, et ce avec un grandissime estonnement et admiration voyant tant de si belles ceremonies, et de si beaux ornements qu’ils n’avoyent accoustumé de voir (car ils vont tous nuds tant hommes que femmes). Or quand le Prestre approcha de la consecration comme vers l’offertoire, ils tirerent un rideau qui estoit entre le Prestre et le peuple, de sorte que ces pauvres gens ne pouvoient plus voir le Prestre, ny ce qu’il faisoit la derriere, ce qui les scandaliza fort de ce que l’on leur avoit faict un tel affront, qui fut cause qu’apres la Messe ils allerent trouver les Peres, leur demandant la cause pourquoy ils leur avoient ainsi faict cest affront, à quoy les Peres respondirent : que ce qu’ils en avoient faict, n’estoit pas pour les braver mais que c’estoit pour ce qu’ils estoient encore Payens, et que par consequent ils ne pouvoient pas celebrer la Messe en leur presence, leur estant ainsi enjoint de l’Eglise, ce qu’entendant s’appaiserent, et se rendirent fort capables : puis s’en retournerent racontant le tout à leurs femmes, lesquelles desireuses de voir ces grands Prophetes de Dieu et de Ioupan, s’assemblerent grand nombre pour les venir voir : mais les Peres ne leur voulant ouvrir la porte de leur petite cabane, à cause qu’elles estoient toutes nuës, elles n’eurent pas la patience du second refus : car rompant la porte (qui n’estoit pas difficile à rompre) elles entrerent dedans, et regardans et contemplans ces Prophetes, elles ne se pouvoient souler de les regarder, y estans toutesfois un peu trop long-temps, les Peres les prierent de se retirer, ce qu’elles firent. Apres ceste visite ces Anciens vieillards desquels nous avons parlé, s’assemblerent grande multitude pour adviser entre eux quel present ils devoient faire à ces Prophetes en signe de bienvueillance, et de resjouissance de leur arrivée. Il voulurent finalement qu’attendu qu’ils couchoient sur la dure, qu’il leur failloit faire present d’un mattelas de cotton pour chacun (car le cotton croît en ce pays) avec chacun une des plus belles filles, qui est un des plus grands presens qu’ils ayent accoustumé de faire. Ayans donc apporté quatre mattelas, et amené quatre belles filles, ils les offrirent aux Peres : Mais les bons Peres se riant de cela : ils accepterent fort volontiers leurs mattelas, leur rendant leur filles avec un remerciement. Ce qui estonna fort ces Sauvages, disant les uns aux autres. Quoy ? ces Prophetes-cy ne sont-ils pas hommes comme nous ? Pourquoy donc n’acceptent-ils pas ces filles estant chose impossible qu’un homme s’en puisse passer ? Pourquoy nous font-ils un tel affront : mais nos Peres prenans la parole ils respondirent que ce n’estoit pas qu’ils reprouvassent le mariage, quant il estoit selon les loix de Dieu, tant s’en faut qu’ils le loüoient, mais que Dieu leur ayant octroyé des graces plus particulieres qu’aux autres hommes à cause qu’ils le servent plus perfaictement, ils pouvoyent facilement par le moyen d’icelles graces se passer de l’usage des femmes. Ce qu’ayant oüy ces pauvres gens ils demeurerent tous estonnez, et comme hors d’eux mesmes admirant la saincteté de ces Prophetes, et de la en avant ils les ont eu en plus grande veneration, s’estimans bien-heureux de leur donner leurs enfans à ce qu’ils les baptisent et instruisent en nôtre saincte foy ; ainsi qu’il se pourra voir par la lettre suivante, que lesdits Peres ont escrit à un honnorable marchant de Roüen nommé Monsieur Fermanet, qui est un de leurs grands bienfaicteurs, laquelle nous avons bien voulu mettre icy à ce que l’on voye que nous n’y mettons rien du nostre, ains purement et simplement, le mettons selon que nous l’avons leu és lettres, et entendu de personnes dignes de foy, qui les ont veuës, nous mettons aussi ceste lettre pource qu’il y a dans icelle des particularitez qui ne sont point aux autres. La lettre est celle qui suit.