Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614
D’un indien condamné à la mort, lequel demanda le Baptesme, avant que de mourir.
Chap. V.
On n’estimeroit jamais, si l’experience n’en eust donné la cognoissance, que voyant simplement à l’exterieur la coque d’une huistre marine broüillee & soüillee de vase & de bourbe, il y eut au dedans une perle si precieuse, laquelle merite bien d’estre logee aux Cabinets des Princes. Qui pourroit croire qu’un Sauvage abysmé en toute iniquité, impureté & immondicité, telle que je n’oserois l’avoir icy recitee, que mesme je croy, que le Diable autheur de ces ordures, en ait honte, n’estoit l’inimitié & superbe contre le Souverain qui le pousse à cela. Qui pourroit dis-je, croire qu’un tel par une divine Providence, eust esté choisi pour le Royaume des Cieux, & tiré de ces abysmes infernales, pour recevoir (à sa mort justement meritee par ses turpitudes) le sacré Baptesme, pour le laver de toutes ses soüillures, & luy rendre le Paradis ouvert, & facile d’entree.
Ce fut un pauvre Indien brutal, plus cheval qu’homme, fuiant par les forests, à cause du bruict qu’il avoit eu, que les François le cherchoient luy & ses semblables pour les faire mourir, & purger la terre de telles ordures à la face du sainct Evangile, & à la candeur de la pureté & netteté de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine : Pris qu’il est, on le garrotte & seurement on l’amene au Fort sainct Louys, où on luy mit les fers aux pieds : on luy donne bonne garde jusqu’à tant que quelques Principaux de ces contrees fussent venus pour assister à son procez, sa sentence & sa mort, ce qu’ils firent. Le prisonnier n’attendit pas qu’on luy commençast son procez, pour se donner à luy-mesme sa sentence : car il dit devant tous, Je suis mort, & l’ay bien merité : mais je voudrois que ceux qui ont peché avec moy, en receussent autant.
Son procez faict, & sa sentence luy estant signifiee, on eut soin de son Ame, en luy remonstrant que s’il vouloit recevoir le Baptesme, nonobstant sa mauvaise vie passee, il iroit droict au Ciel, à l’instant que son Ame sortiroit de son Corps. Il creut cecy, & demanda lors d’estre baptisé. Le Sieur de Pesieux pour cet effet me vint trouver en nostre loge de sainct François de Maragnan, & ayant pris conseil ensemble, s’il estoit expedient que moy-mesme luy donnasse le Baptesme, nous trouvasmes que non, pour les raisons suivantes : à sçavoir, que les Sauvages avoient ceste croyance de nous autres pays, que nous estions gens de misericorde, & que nous nous employons volontiers vers les Grands, pour obtenir la vie de ceux qui estoient condamnez à la mort. D’avantage que les Grands nous aymoient, & ne nous refusoient chose aucune. De plus que nous preschions que Dieu ne vouloit point la mort, mais la vie du pecheur, & que nous estions venus pour cet effect, afin de leur donner ceste vie, tellement que si je l’eusse baptisé publiquement, avant que de mourir, j’eusse infailliblement donné plusieurs fantaisies à ces esprits encore tendres & incapables, sur la bonne opinion qu’ils avoient de nous : chose qui eust beaucoup prejudicié pour venir au but de nos intentions : joint que j’eusse donné matiere de murmure aux Sauvages, qui eussent peu dire cecy : Si les Peres ayment la vie, pourquoy laissent-ils aller cettuy-cy qui est Chrestien à la mort ? S’ils ayment tant les Chrestiens, pourquoy n’ayment-ils cettuy-cy ? Si les Grands ne leur refusent rien, pourquoy ne le leur ont-ils demandé ? Somme, tant pour ces raisons que pour autres que je laisse, nous trouvasmes qu’il estoit non seulement expedient, mais tres-necessaire, que je ne le baptisasse point. Par ainsi je priay le dict Sieur, qu’apres l’avoir bien faict instruire par les Truchemens, il luy conferast, peu auparavant que d’aller au supplice, le Baptesme sans les ceremonies de l’Eglise : ce qu’il accepta & fit pareillement.
Il receut donc d’un visage serain & sans tristesse, en la presence des Principaux Sauvages le Baptesme, apres lequel, un de ces Principaux (nommé Karouatapiran, c’est à dire le Chardon Rouge, duquel nous parlerons une autre fois) luy fit cette harangue : Tu as grande occasion maintenant de te consoler, & non de t’affliger, veu qu’à present tu es enfant de Dieu par le Baptesme que tu viens de recevoir de la main de Tatou-ouassou, (qui est le nom du Sieur de Pesieux, en leur langue) lequel a eu permission des Peres de ce faire. Tu meurs pour tes fautes & approuvons ta mort, moy mesme je veux mettre le feu au Canon, afin que les François sçachent & voyent que nous detestons les ordures que tu as commises : mais regarde la bonté de Dieu, & des Peres envers toy, qui ont chassé Giropari d’auprés de toy par le moyen de ton Baptesme, en sorte qu’incontinent que ton ame sortira de ton corps, elle ira droict au Ciel pour voir le Toupan, & vivre avec les Caraïbes qui sont autour de luy : quand le Toupan r’envoyera un chacun prendre son corps, si tu aymes mieux porter les cheveux longs & avoir un corps de femme au Ciel, que celuy d’un homme, tu prieras le Toupan qu’il te face un corps de femme, & tu resusciteras femme, & là haut au Ciel, tu seras mis au costé des femmes, & non au costé des hommes.
Vous excuserez ce pauvre Sauvage non encore Chrestien ny Catecumene touchant le poinct de la Resurrection. Il nous avoit entendus enseigner que tous les hommes resusciteront un jour, chaque ame retournant du lieu, où elle est jusqu’au jour du jugement, pour prendre son corps, luy il adjouste du sien ce qu’il pense estre indifferent à la resurrection, qu’une ame reçoive un corps masle ou femelle, en quoy il se trompoit, & on ne laissa pas passer cela, sans l’informer mieux & le patient aussi : mais j’ay bien voulu mettre le tout simplement comme il le dit, afin que le Lecteur recognoisse combien fidelement je rapporte les choses comme elles sont passees, ainsi que desja l’ay adverty, & advertis derechef pour les harangues que j’ay à mettre cy apres.
Ce pauvre condamné receut ses consolations de bon cœur & avant que marcher au supplice, il dist à toute la compagnie : Je m’en vay mourir & vous perdray de veuë, je n’ay plus peur de Giropari, puis que je suis enfant de Dieu : je n’ay que faire de marchandise, ny de feu, ny de farine, ny d’eau, ny d’aucun ferrement pour faire mon voyage par delà les montagnes, où vous pensez que vos Peres dansent : mais donnez moy du Petun, à ce que je meure allegrement la parole ferme, & sans peur, qui m’estouffe l’estomach. On luy donna ce qu’il demandoit, comme on faict par deçà le pain & vin à ceux qui vont mourir par Justice : coustume qui n’est pas de ce temps, mais de toute antiquité, laquelle presentoit aux criminels le vin myrrhé, & l’hypocras pour provoquer le sommeil aux patiens. Cela faict on le mena au Canon, braqué sur la poincte du Fort Sainct Loüys, panchant dans la mer, & estant attaché par les reins à la gueule d’iceluy, le Chardon rouge mit le feu à l’amorce, en la presence de tous les Principaux assistans là & d’autres Sauvages, & devant les François : Aussitost la bale fendit le corps en deux, une partie tomba au pied de la roche, l’autre partie fut portee en la mer, qui n’a point esté veuë du depuis. Quant à son ame il est à croire que les Anges l’esleverent au Ciel, puis qu’il mourut à la sortie des eaux Baptismales : asseurance tres-infaillible de la salvation de ceux à qui Dieu faict cette grace, qui n’est pas petite ny commune, mais bien aussi rare que la vocation du bon Larron en la Croix, lequel ayant mené une vie débordee jusques à la potence où il estoit attaché, receut neantmoins cette promesse de Jesus Christ : Hodie mecum eris in Paradiso, Tu seras aujourd’huy avec moy en Paradis : Autant en pouvons nous dire de ce mal-heureux bien-heureux Indien, qui nous donne un beau subject d’admirer & adorer les jugemens de Dieu.
Karouatapyran Executeur de ce supplice, monstroit par ses gestes & paroles un grand contentement & obligation aux François d’avoir receu cet honneur, & l’estimoit bien plus que l’honneur & la gloire que cette Nation abusee donne à ceux qui publiquement tuent les Prisonniers, qui est pourtant un des plus grands honneurs qu’on puisse recevoir entr’eux, & est une faveur non petite aux jeunes gens, quand ils sont esleus pour executer le prisonnier, & est comme l’entree de grandeur, pour estre un jour Principal : Par ainsi ce grand Karouatapiran, se loüa fort de ce sien fait, & s’en servoit de moyen à se faire craindre entre les siens, haranguant par tous les villages où il alloit ce qu’il avoit fait, adjoustant qu’il estoit frere des François, leur defenseur & exterminateur des meschants & des rebelles.