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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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Formulaire des Harangues que nous faisions aux Sauvages, quand ils nous venoient voir, pour les attirer à la cognoissance de nostre Dieu, & à l’obeissance de nostre Roy.

Chap. VI.

Le moyen par lequel jadis les Atheniens attirerent les peuples à la cognoissance de la Philosophie, & à l’obeissance d’une Republique, estoit representé par le simulachre de leur Palladium qu’ils feignoient estre apporté du Ciel & l’avoient colloqué au lieu plus eminent de leur ville. Telle estoit cette Idole de Pallas, vous la voyez armee de pied en cap, & sortir de sa bouche des raiz de miel, qui tomboient sur ses auditeurs & spectateurs, lesquels s’endormoient de douceur. Les Druides enseignerent la mesme chose aux Gaulois, eslevans la statuë d’Hercule sur le Portail de leurs Temples, portant sur sa teste la hure de Lyon, & sur ses espaules la massuë de ses victoires, & de sa bouche sortoient des chenettes d’or qui alloient prendre par les oreilles, une multitude d’hommes & de femmes, jeunes & vieux, afin de les tirer apres soy. Voicy l’intention des Atheniens & des Gaulois, c’est qu’ils signifioient, que les hommes sont attirez par la douceur & par la raison à l’obeissance des loix divines & humaines, & se maintiennent en ceste obeissance par la protection des armes, que les Souverains portent à ce sujet, pour conserver leurs vassaux.

Le premier de ces deux nous appartenoit quand sa Majesté & nos Peres nous envoyerent par delà, pour amener à la cognoissance de Dieu ces pauvres ames barbares, lesquelles nous recogneusmes avant que nous mettre en besongne, desireuses de la douceur : Et par ainsi nous conclumes ensemble de regler nos paroles & nos façons de faire avec eux au niveau d’une parfaicte douceur, dont nous nous sommes bien trouvez.

J’avois apris ceste leçon du Cantique premier, qu’entre les ornemens que Jesus-Christ avoit donné à son Eglise, la debonnaireté & clemence envers les pecheurs & infideles tenoit un des premiers rangs, selon ces paroles : Murenulas aureas faciemus tibi vermiculatas argento : Nous te ferons des chenettes d’or torses comme petites lamproyes émaillees de fil d’argent en forme de petits vers, pour faire esclatter la beauté de l’or. Les Septante disent, Simulachra auri faciemus tibi, cum vermiculationibus argenti. Nous te ferons des petites Statuës d’or fin, émaillees de fil d’argent en figure de petit verds. Et Rabbi Jonathas adjouste que telles estoient les tables de Saphir, sur lesquelles les Commandements de Dieu estoient gravez : parce que la lumiere de la gloire du Donneur, rendoit le Saphir diaphane de couleur d’or & l’escriture gravee des doigts de Dieu tiree en ligne, rendoit l’émail en figure de petites Lamproyes ou verds de terre. Qui ne diroit qu’il y eust de l’intelligence entre ces divines ceremonies, & celles des Atheniens & Gaulois, les unes & les autres nous signifians par les Statuës & les Chenettes d’or, la force & puissance qu’a la douceur, pour ranger les Ames plus barbares, à l’obeissance des Loix de Dieu : Et vrayement ce n’est pas sans raison, que Jesus-Christ ait émaillé les Chenetes d’or de son Espouse de la figure des vers de terre & des petites Lamproyes : puis que luy mesme s’est faict ver, pour attirer à soy les vers, & est venu en terre pour se conjoindre les vers de terre. Et comme les Lamproyes ne rejettent de soy les serpens, pour frayer avec elle, moyennant qu’ils vomissent leur venin : Aussi Jesus-Christ n’a point mesprisé les hommes, pauvres serpens, pourveu qu’ils se facent quites de leur venin. Que si le Maistre a faict cecy, que doivent faire les chetifs Disciples de sa Majesté ? Quiconque donc s’offre à servir son Dieu en la conversion de ces hommes Sauvages, il doit mouler ses paroles & actions sur la douceur que Jesus-Christ a pratiqué luy mesme en terre.

Tels estoient les articles de nos conferences avec les Sauvages. Le 1. Que nous taschions de leur faire concevoir vivement en leur cœur que nous estions leurs amis, & leurs fideles amis, voire plus que leurs Peres, Meres, ou autres Parens, en leur disant ces paroles & plusieurs autres, Pera-oussou pare Koroyco, Nous sommes vos amis, vos intimes. De ces paroles ils s’esjouissoient extremement & prenoient une grande confiance de converser avec nous : de sorte qu’ils nous estoient importuns, & ne nous donnoient aucun loysir, qu’ils ne fussent à nous regarder & considerer nos gestes. Je vous donneray des exemples de cecy.

Un jour de Pasques apres le service, auquel assisterent plusieurs Sauvages, tant de Tapouytapere que de l’Isle, je voulu me retirer pour penser à ce que je devois dire au Sermon d’apres disner & pour cet effect, je feis fermer les portes de nostre loge, à ce que personne n’y entrast ce peu de temps qu’il y avoit jusques à l’heure de la Predication ; mais voicy que ces Sauvages impatiens d’entrer apres avoir faict deux ou trois fois le tour de la loge pour trouver passage, en fin ils arracherent quelques pieux par où ils passerent. Je leur monstray en mon visage quelque mescontentement de ce qu’ils avoient fait, & leur demanday pourquoy ils estoient si importuns ; Ils respondirent, par ce que nous avons envie de te voir & parler à toy librement, lors que les François ne sont point autour de toy, & sommes venus expres pour cette occasion ; Ainsi il me les falut entretenir sans avoir moyen de m’en defaire. Lors que je disois le service divin à part moy dans nostre Chapelle à porte close, on leur voyoit rompre la natte de la Guinée, de laquelle nous avions tapissé nostre Chapelle, pour voir ce que je faisois ainsi à genoux devant l’Autel ; & disoient l’un à l’autre tout bas Ygnéem Toupan, il parle à Dieu, & ne sortoient point de là que je n’eusse achevé.

Pour me delivrer de ces importunitez, je feis faire une closture tout autour de nostre loge & de la Chapelle de S. François bien forte & farcie de branches de Palme piquante qui ont des esguilles plus longues que le doigt, ce nonobstant ils ne laissoient de trouver moyen d’entrer & me venir trouver : En parlant de cecy, il me souvient du dire d’Antalcide, selon que Plutarque l’escrit au Traité des Apophtegmes Laconiques, que Qui veut gaigner les hommes en amitié, il faut qu’il ayt la langue ruisselante de miel, & la main pleine de fruicts, c’est-à-dire, qu’il faut qu’il use de douces paroles, & donne les services selon les paroles. Nous ne pouvions faire davantage vers ces Sauvages que de nous insinuër en leur amitié par douces paroles, & leur offrir la connoissance de Dieu, & les Sacremens de l’Eglise seuls fruicts de la Passion de Jesus-Christ.

Ælian dit au liv. 14. de ses histoires diverses ; qu’Epaminondas eust esté bien fasché s’il fut sorty de son Palais en public, qu’il n’eust aquis & adjousté un nouvel amy au nombre de ses anciens amys. Il ne nous estoit besoin d’aller ny à deux cens ny à trois cens lieuës, pour aquerir des nouveaux amys à Jesus-Christ : car ils venoient assez d’eux mesme vers nous pour cet effet. Gellius. 1. c. 3. rapporte que Pericles un des grands Areopages d’Athenes terminoit les amitiez des hommes jusques aux Autels des Dieux : mais de l’amitié divine entre Dieu & les hommes, fondee & enracinee sur les Autels il n’en a point parlé, par ce que tout Payen qu’il estoit, il ne pouvoit enfoncer la force & impetuosité d’un tel amour, qui ressemble à celuy du propre centre, où chaque creature est destinée de se porter & reposer ; Vous le voyez par les choses graves tendantes d’un poix naturel en bas, & au contraire par les legeres tendantes en haut. Le puissant Roy Darius receut en present d’un sien amy une belle pomme de grenade, laquelle coupant par la moitié il admira la beauté & le nombre de ses pepins, & dit à la compagnie, A la mienne volonté que j’eusse autant de Zopires (c’estoit son plus intime amy) qu’il y a de grains en cette pomme. Ce n’est pas une petite grace ny un petit privilege que Dieu a fait à cet ordre Seraphique de S. François que de luy avoir donné le couteau de la parole à fin d’ouvrir la pomme encore entiere & fermée des terres de Maragnan pour presenter à Jesus-Christ des millions d’Ames, non seulement pour luy estre reconciliees, mais aussi pour luy estre un jour fideles Espouses.

N’est-ce pas à ce sujet que Dieu inspira à Salomon au 4. liv. des Roys, chap. 29. de faire les chapitaux des Colonnes d’airain, avec un rest parsemé de pommes de grenade, signifiant par cela la mission de l’Evangile vers les nations infideles, le rest servant à prendre ces poissons fuiars, par une douce eloquence : & les pommes de grenade pour les lier & unir par amour avec Jesus-Christ, & le reste de ses fideles : & n’y ayant rien plus fort pour gaigner l’amour que le mesme amour : voilà pourquoy je conclus qu’il estoit totalement necessaire que nous fissions reconnoistre à ces Sauvages que nous les aymions tendrement & intimement & que nous leur offrissions nous-mesme & ce que nous avions, leur disans Ore-mae pémareamo, tout ce que nous avons est vostre ; Et pour cette cause, lors que j’avois une grande quantité de poissons comme cela m’estoit assez ordinaire, je leur en donnois à tous, specialement aux Tabaiares nouveaux venus en l’Isle, qui pour ceste raison avoient de la disette, n’ayans pas encore fait leurs jardins, notamment à ceux qui estoient nos voisins.

Le 2. Article de nos conferences estoit de leur exposer les fruicts & esmolumens qu’ils devoient attendre de nostre amitié, à sçavoir, la reformation de leur vie & la connoissance du vray Dieu, & en outre la defence de nostre Roy contre leurs ennemys, qui ne manqueroit à leur envoyer des hommes, & d’armes selon qu’il s’ensuit. Pe moé Koroiout, pere Koramressé : Toupan mombe-oüaue koroiout peam : yande mognan gare rhé opap katou, ahé maè mognan. Yangatouran : yandé renonde vuac oueriko : ahé gneem roupi yandè rekormé. Pepusurom peamo tareumbare soüy yauäeté orerou vichaue : Pepusurom okat araia obooure ouaia pepusurom anouam. C’est à dire : Nous vous aprendrons à vivre plus à vostre aise : & voulons vous enseigner le vray Dieu : lequel est Createur de tout le monde : Il est tres-bon : & nous a preparé le Ciel, si nous suivons sa parole en cette vie. Nous venons vous defendre de vos ennemys. Nostre Roy est fort & puissant qui vous donnera tousjours secours : & vous fournira d’armes & de gens. Ils estoient fort attentifs à tout ce que dessus, & nous respondoient que les François les avoient tousjours assistez : mais à present que nous estions envoyez de nostre Roy en leur terre, à fin de les retirer de la cadene de Giropary : Ils ne doutoient aucunement qu’ils n’aprissent de grandes choses de Dieu, specialement quand nous sçaurions bien leur langue, Car, disoient-ils, les Truchemens n’ont point parlé à Dieu comme vous. Ils ne nous peuvent dire autre chose que ce que vous leur dittes : mais si vous parliez à nous, vous nous diriez ce que Dieu vous a dit. Nos enfans seront plus heureux que nous : car ils pourront apprendre la langue Françoise de vous, ainsi que vous nous avez promis : & auront bien plus de connoissance de Dieu que nous qui sommes ja vieux. Nous n’avons fait que courir & errer par les bois devant la face des Peros[152], mangeans souvent les racines des bois pour toute nourriture. Nos enfans seront asseurez contre leurs ennemys. Les François prendront nos filles, & nos fils les filles des François & ainsi nous serons parens : Vous demeurerez au milieu d’eux & de leurs vilages, & serez leurs Peres : Le Toupan les aymera & Giropary ne leur donnera desormais aucune peine : & les vivres abonderont en toute sorte : car les marchandises des François ne leur manqueront point : ô qu’ils seront heureux ! Mais nous ne verrons point ces choses.

Vespasien Empereur, & Domitian aussi, si tost qu’ils entroient dans un Pays nouveau, pour y planter des Colonies Romaines, avoient coustume de faire jetter en bronze la foy & les fruicts d’icelle qu’ils promettoient publiquement à tout le monde, en cette sorte : C’estoit une Dame qui estendoit la main droite, symbole de la foy, & de la gauche elle presentoit la corne d’abondance pleine de toute sorte de fruicts, voire les premieres monnoyes qu’ils faisoient courir dans les Païs nouveaux estoient frapées à la mesme marque, signifians par là la fidelité qu’ils garderoient à ces Peuples, de laquelle procederoit une infinité de biens & de commoditez à leur Nation. Entendez, si vous voulez, par ceste Dame la saincte Eglise entrante nouvellement dans ces terres Barbares, laquelle estendoit sa main droicte, promettant aux habitans d’icelle, la foy de Jesus-Christ, son Espoux, & la fidelité de ses serviteurs, qui n’espargneroient labeur aucun, non pas mesme leur propre vie pour les ayder à se sauver. Et quant aux fruicts qu’elle leur offroit, c’estoit les Sacremens & la cognoissance de Dieu, & des choses Divines. Ou bien entendez par ceste mesme Dame la France, plantant nouvellement ses Lys dans ces Regions & Contrees du Bresil, donnant la main droicte d’une asseurance de garder & conserver ces Sauvages soubs son obeissance & sa Couronne, & les fruicts du trafic de diverses marchandises que l’on porteroit de France en ces terres, en eschange d’autres meilleures.

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