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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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Des Singularitez de quelques arbres de Maragnan[119].

Chap. XXXIX.

La plus-part des arbres de ces pays, sont durs & pesans, & cecy provient, que la solidité és choses mixtes, est causee de la bonne coction de l’humide : Or est-il qu’en ces pays, l’humide & le chaud abondent extremement, & en parfaicte egalité, si vous considerez la saison des mois, en l’annee : parce que les pluyes ont leur temps, pour abreuver la terre, en grande abondance, & la chaleur aussi a son regne, pour cuire & digerer ceste humidité, nourriture des vegetans, specialement des arbres, lesquels estendans leurs racines au fond, & au large de la terre attirent à soy grande abondance d’humidité, & survenant la chaleur forte sur icelle humidité, l’augmentation se resout en corps solide.

Les arbres sont perpetuellement verdoyans, par une succession journaliere & continuelle de nouvelles fueilles aux vieilles, tellement que les nouvelles sortans du bourjon de la branche, attirent à soy l’humeur radicale, laquelle suivant la jeune force de l’inclination attractive, residante en ces nouvelles fueilles, les vieilles demeurent privees de toute nourriture, & par ainsi se seichent & tombent. Nous voyons cela pratiqué en nos Corps, quand un nouvel ungle vient à pousser le vieil, tellement que par une succession de nouvelles fueilles aux vieilles, les arbres demeurent en mesme estat : ce que nous ne pouvons pas avoir en l’Europe, à cause de l’Hyver, qui resserre la chaleur naturelle des arbres en dedans ; Ainsi il faut que les fueilles de nos arbres generalement tombent aussi tost, que la chaleur vient à manquer, abandonnant l’humide, lequel pourrit le pied de la fueille, au lieu de luy donner vigueur, comme il faisoit, estant accompagné de la chaleur radicale : & partant il faut que les fueilles tombent : Au contraire au Bresil le chaud & l’humide se faisans bonne & perpetuelle compagnie, produisent en tout temps, des nouvelles fueilles, sur la vieillesse des autres : Car en toutes choses generalement, il faut remarquer trois Estats d’Estre. Le 1. l’Estre croissant, le 2. l’Estre permanent, le 3. l’Estre diminuant, à la fin duquel la mort vient necessairement : ce que nous voyons en ces fueilles, qui ont un temps pour croistre, un autre, pour demeurer parfaictes, & un autre pour diminuer & mourir.

Entre ces arbres, j’en trouve de dignes d’estre remarquez. Premierement, les Aparituriers, qui sont arbres croissans le long de la mer, & jettent de leurs rameaux, des petits filets, sur le sable de la mer, ou entre les pierres qui couvrent la vase, qui tost prennent racine, se fortifient & grossissent, & ayans eu leur stature parfaicte, commencent eux mesmes de jetter d’autres filets, qui font comme ils ont fait, en sorte que ces arbres se multiplient infiniment, chacun produisant son semblable de main en main, non de la racine, comme les autres arbres, ains de leurs rameaux : En quoy je ne sçay lequel des deux plus admirer, ou la succession perpetuelle de Pere en Fils, ou la generation toute diverse d’avec le commun des arbres. Or la raison pourquoy ces arbres produisent en cette sorte leur semblable, est, que ces Aparituriers sont fort hauts & pesans, & en leur commencement menus & deliez vers la racine, et au contraire fort gros par le milieu : & partant s’ils naissoient de la racine de leur Pere, ils ne pourroient jamais s’eslever en haut, à cause de la foiblesse & delicatesse de leur pied, & de la grosseur & pesanteur de leur milieu, ains faudroit qu’ils demeurassent couchez & rampans le long des sables, à quoy la Nature a pourveu de leur donner deux naissances : La premiere, du rameau de leur Pere, où ils demeurent perpetuellement incorporez, & par consequent bien soustenus, la 2. naissance de la rade de la mer, dans laquelle ils profondent & estendent leurs racines, & attirent une seconde nourriture : à ce qu’ainsi soustenus & nourris, par haut & par bas, ils puissent aisément croistre. Et remarquerez en passant cette belle particularité, qu’ils ont deux naissances, & deux nourritures : la premiere est d’en haut, consubstantielle avec son geniteur, qui faict une mesme essence avec luy, est engendré de luy, sorty de luy, & neantmoins est tousjours avec luy, & inseparable de luy : vit de mesme nourriture que luy : La seconde naissance & nourriture est d’embas, du sein de l’arene de la mer, prenant nourriture de la mesme mer, eslevant en haut cette nourriture, pour la conjoindre & unir avec la nourriture, qu’il reçoit de son Pere, par lesquelles deux nourritures il croist, se fortifie, estend ses branches, desquelles derechef, par une autre naissance, il produit ses filets, qu’il faict prendre racine, dedans la mesme mer qui l’a produit.

Je me servois de cette comparaison, pour faire comprendre aux Sauvages le Mystere de l’incarnation du Fils de Dieu, en leur disant : Que le Fils de Dieu avoit deux naissances, une d’en haut, eternelle & Divine, sortant de son Pere, sans en sortir, distingué de son Pere par Hypostase, comme le rameau de l’Apariturier, avec le fils engendré de luy, un toutesfois en essence & substance avec son Geniteur, comme le filet avec son rameau, vivant d’une mesme nourriture Divine & Celeste, sçavoir, l’amour du Sainct Esprit, qui faict la troisiesme Personne de la Trinité : L’autre d’embas, temporelle & humaine, sorti du sein de la Vierge Marie, & nourry de son sacré Laict, & que croissant homme & Dieu tout ensemble, vivant interieurement de la nourriture Divine, & exterieurement de la nourriture corporelle, parvenu à l’aage de trente trois ans & demy, apres avoir communiqué sa doctrine celeste aux hommes, confirmee par ses miracles, il estendit ses branches, permettant qu’on l’attachast sur l’arbre de la Croix, & du milieu de ses playes produit ses Esleus, leur faisant prendre racine dedans sa saincte Eglise, regenerez par l’Eau Baptismale, & nourris des Saincts Sacremens : Chose que les Sauvages concevoient extremement bien, & n’y trouvoient, à ce qu’ils me disoient, aucune difficulté, argumentans ainsi : Si Dieu a donné cette puissance aux arbres, qui n’ont point de sentiment, pourquoy luy mesme n’aura-il pas moyen d’en faire autant ?

Il y a en ces Pays là des arbres, qui semblent à l’escorce & à l’exterieur du tout secs, & ne portent jamais aucune fueilles, & neantmoins quand leur saison est venuë, ils jettent en tres-grande quantité, des fleurs fort belles & toufuës, semblables en forme & en grosseur aux Peaunes doubles de deçà, & sont de diverses couleurs, toutefois pour l’ordinaire elles sont jaunes : La raison de cette particularité est, que la Nature se finit & termine à l’action, qu’elle choisit & eslit entre les autres : tellement que quand elle se rend liberale à fournir à quelque membre, un suracroist de nourriture, c’est aux despens des autres membres : par ainsi si ces arbres donnoient leur suc, à faire une grosse escorce verdoyante & humide, & couvrir d’une belle cheveleure de fueilles le coupeau de leurs rameaux, ils ne pourroient pas produire ces belles fleurs : lesquelles naturellement en tous les vegetans, viennent d’un suc bien digeré & subtil, & par consequent qui monte facilement aux extremitez des rameaux, ne se souciant des autres parties des arbres, pour leur donner quelque espece de nourriture. J’ay recogneu cecy par une belle experience, en France, és Seriziers que l’on chastre, pour les empescher de porter fruict, afin qu’ils jettent tout leur suc, à produire des fleurs larges & doubles, comme roses musquees doubles.

Il se trouve là d’autres arbres, qui ferment leurs fueilles, & les replient l’une sur l’autre, quand le Soleil se veut coucher, & si tost qu’il est levé, les déplient & espanissent : ainsi que nous voyons faire en France, à l’herbe du Soucy, & au Tourne-soleil : Cecy procede de l’humidité, ou serain de la nuit, qui les reserre, à cause que la qualité du froid est constrictive : à l’opposite la chaleur du jour les ouvre, parce qu’elle est aperitive.

J’ay peu facilement trouver des raisons naturelles de plusieurs singularitez, que j’ay veuës en Maragnan : mais je confesse nuëment, que je n’ay sceu jamais trouver la cause naturelle : pourquoy certains arbres, de ce pays-là, au seul toucher que faict l’homme contre leur tronc, avec sa main, incontinent ils ferment generalement toutes leurs fueilles : si ce n’estoit d’aventure, qu’il y eust en ces arbres, quelque proprieté sensitive, comme nous lisons estre en l’Eponge, laquelle si tost qu’elle sent le toucher de l’homme qui la veut coupper, elle se reserre & cache dans le creux & la fente de la pierre marine qui l’a engendree.

Les Acaiouiers qui portent les Acaious, propres à faire vin, naissent naturellement le long de la mer, & pour cet effect ils vivent du suc marin & salé, d’où vient que le vin d’Acaiou est piquant, acrimonieux, chargeant les reins de douleurs à la longue, & fort mauvais pour le Poulmon, J’ay fait une experience de ce vin, le passant par une chausse, & en ay tiré une grande quantité de sel.

Il y a des Espines, que vous diriez estre creées de Dieu, pour representer le Mystere de la Passion[120] de Jesus-Christ, par ce qu’elles croissent par bouquets, quatre en bas, également distantes l’une de l’autre, en forme de Croix, & une au couppeau, qui tourne la pointe vers le Ciel, & est ornee de neuf fueilles, reduites en trois petits bouquets, chacun petit bouquet en possedant trois, lesquelles la saison arrivee, se convertissent en trois fleurs, cette belle Espine consistant au milieu. Ces cinq Espines sont les instrumens de cinq playes de Jesus-Christ : La Couronne d’Espines environnant son Chef, comme cette Espine d’enhaut ornee des fueilles, c’est-à-dire des pechez & vanitez des 3. aages du monde, en la Loy de Nature, Escrite, & de Grace, lesquels pechez & imperfections, se sont changez par le merite du Sang de Jesus-Christ, en fleurs de grace, de bonnes œuvres, & récompence de la gloire.

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