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Voyage dans le nord du Brésil fait durant les années 1613 et 1614

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Des Aigles et grands Oyseaux & d’autres petits Oyseaux qui sont en ces Pays là.

Chap. XLVII.

Encore que dans l’Isle l’on ne voye ordinairement des Aigles, si est-ce qu’il y en a quantité en la terre ferme, voisine de Maragnan. Ces Aigles ne sont pas droictement si grandes que celles du vieil Monde, mais bien plus furieuses, hardies & fortes, attaquans librement les hommes, & font leur nid, non sur les rochers, comme dict Job, Aquila in petris manet, l’Aigle demeure dans les rochers, ains entre les arbres : à ce subject je vous vay raconter ce que j’ay entendu en Maragnan, de deux Aigles merveilleusement furieuses, lesquelles vindrent nicher dans les Aparituriers d’Ouy-rapiran, qui est un petit village à lieuë & demye du Fort Sainct Loüis sur le bord de la mer : L’on m’a monstré le lieu où elles estoient, allans un jour nous recreer par eau, chez un de nos amys François demeurant en ce village : Ces Aigles avoient couppé des branches plus grosses que la cuisse, & si gentiment accommodé, qu’une douzaine d’hommes n’en eussent sceu faire autant. Là elles avoient faict leurs œufs & esclos leurs petits, & personne n’osait desormais passer en ce lieu. Elles alloient à la chasse des chevreils ; les tuoient, & avec leurs ongles, & avec leur bec, puis les mettoient en pieces, qu’elles apportoient à leurs petits, peschoient pareillement, se jettans sur les poissons nommez Marsoüins, Pirapans, & gros Museaux, qu’elles tiroient de la mer avec leurs griffes, & les traisnant à bord les divisoient en morceaux pour les donner à leurs Aiglons. Elles marcherent plus avant : car elles déchirerent un homme & une femme Tapinambose, ce qui fut occasion de leur mort & de celle de leur petits, pour ce qu’on leur dressa une embusche si dextrement, que le masle fut tué, & la femelle se voyant vesve, se retira en terre ferme, & abandonna ses petits, lesquels passerent par les armes des Tapinambos, en vengeance du crime commis en la personne de ces deux Tapinambos, & leur nid fut dissipé.

La femelle est plus grande que le masle, toutes deux tirent sur la couleur grise, l’œil vif & cruel, une hupe forte & redressee sur le coupeau de la teste, leurs plumes grosses par le tuyau, & grande comme celles d’un coq d’Inde : les Tapinambos se servent d’icelles, specialement pour empenner leurs fleches. Elles ont cecy de special & particulier : que si les Sauvages les mettent avec d’autres plumes, telles que sont les plumes d’Arras & de semblables gros oyseaux : ces plumes d’Aigles les rongent & les mangent, par ainsi ils les mettent à part, & se gardent bien de les accomoder à leurs fleches, avecques une autre sorte de plumes pour la mesme occasion.

Quelque grand oyseau que puisse porter la terre ferme, l’Aigle demeure le maistre & le Roy, non par égalité de force, ains par subtilité & legereté de vol, l’Aigle se guindant en haut, quant il veut combatre les grands oyseaux, & descend à plomb sur iceux, il les abbat & terrasse, leur fendant la teste à coups de bec. Tous les oyseaux les craignent, perdent la voix à leur cry, & se tapissent les voyans voler. Leur principale chasse sont les Aigrettes, qui sont quasi comme colombes blanches, lesquelles vivent sur le rivage de la mer, & se campent sur le bout des branches qui pendent sur la mer, contemplantes la venuë des petits poissons pour se jetter dessus & les prendre. Là les Aigles les vont trouver, qui vous les troussent & emportent en un moment. Elles prennent aussi leur nourriture des Tortuës de mer & de terre, & ne pardonnent à aucun Serpent ou couleuvre qu’elles puissent appercevoir.

Rarement les Sauvages peuvent les aborder pour les flecher : Car elles se tiennent au sommet des arbres, où elles s’espluchent aux rayons du Soleil, tirans avec leur bec les vieilles plumes de leurs aisles & de leur queuë, qu’elles sentent ne leur pouvoir plus servir, à cause de leur vieillesse. Les Sauvages se transportent là pour chercher ces plumes & en user : Elles tirent fort à la forme & couleur des plumes aux aisles des Coqs d’Inde, & sont tres-bonnes pour escrire.

Outre ces Aigles, vous avez de grands Oyseaux appellez Ouira-Ouassou, presques aussi grands que les Autruches d’Affrique[134], voire plus hauts en stature, mais non si gros de charnure : les Gruës de deçà ne sont que des Moineaux en comparaison : Que si quelques-uns ont veu celuy que nos gens apporterent en France, qu’ils sçachent qu’il y en a encore une fois d’aussi gros. Les Sauvages les vont prendre quand ils sont petits, espians le temps & l’heure que leurs Parents vont à la chasse. Ces petits sont blancs en leur jeunesse, & peu à peu se muent & changent jusques à ce qu’ils ayent obtenu leur vray plumage & couleur. Ces Oyseaux sont gloutons à merveille, ne peuvent quasi se rassasier : il est bien vray que quand ils ont bien mangé leur saoul, c’est pour plusieurs jours. Si les Guenons & les Monnes pouvoient persuader aux Sauvages d’extirper la race de ces Oyseaux, elles le feroient de bon cœur : car elles tireroient un grand profit, d’autant qu’elles perdent des millions de leurs gens chasque annee à rassasier ces gourmands. Les Tapinambos qui nourrissent de ces oyseaux, cognoissent que la meilleure viande qu’on leur peut donner, sont les Guenons : & pour cela s’en vont aux bois, en tuent, les leur apportent, & les ont bien tost dépeschees.

Il y a plusieurs autres sortes de gros Oyseaux, mais non comparables à ceux-cy, tels que sont les Arras, Canidez & autres, lesquels sont pris & mis en captivité par les Indiens d’une gentille façon. Ils s’en vont par les bois, & espient les arbres où ces Oyseaux ont coustume de passer la nuict, & où volontiers ils reviennent le jour apres la pasture se camper : ce qu’ayans recogneu, ils battissent sur le coupeau d’un de ces arbres, une petite loge toute ronde, capable de tenir trois ou quatre hommes, faicte de branches de Palmes : ils montent là, & attendent la venuë de ces Oyseaux, qui ne se defians d’aucune chose, s’approchent assez pres, & pensans se reposer asseurement comme devant, sont estonnez qu’on leur tire un coup de materas, qui les estourdit sans les tuer, & tombent en bas, où ils sont aussi tost attrapez & faicts prisonniers, & avec le temps s’aprivoisent de telle sorte, qu’encore qu’on leur donne liberté, ils ne veulent plus quitter la maison de leur maistre : ils se mettent sur les loges, font un bruit desesperé, rendans un son comme les Corbeaux de deçà, apprennent à parler ainsi que les Perroquets, fournissent de plumes à leurs hostes, pour se braver & faire leur fanfare[135] : Car au lieu que nos habitans le long de la riviere de Loire, plument leurs Oyes pour mettre aux licts : ces Indiens tirent les plumes de ces Oyseaux, pour en faire leurs mitres & autres paremens de plumaceries.

Ils ont des Herons en grande quantité & de plusieurs sortes : les uns sont fort grands, & les autres mediocres. Ils font leur nids dans les Apparituriers sur le bord de la Mer, vivent du poisson qu’ils peschent, & les apportent tous entiers à leurs petits, à qui ils les font avaler dés ce petit aage : Je me suis estonné de voir un si gros Poisson comme seroit un grand Haran & d’avantage, estre trouvé dans la poche d’un petit Heron qui n’avoit que le poil folet. Les Sauvages vont denicher ces petits parmy les Apparituriers, à la charge pourtant de porter des bastons pour se deffendre du pere & de la mere, qui ne manquent en tel accident, de secourir ceux qu’ils nourrissoient si tendrement & soigneusement, à fin de dilater leur espece.

A ces Herons conviennent fort d’autres Oyseaux nommez Furcades par les François & Portugais, à cause de leur queuë qui semble fourchuë lors qu’ils volent : font aussi leurs nids dans les Apparituriers, mais au lieu le plus secret, & peu hanté des hommes qu’il leur est possible de trouver. Là ils pondent & esclosent leurs petits, & vont à la Mer tout le long du jour, pour emplir un gros sachet qu’ils ont soubs la gorge de poisson, à fin d’en repaistre leurs petits : & quand ils n’en ont point, ceste bourse s’emplit de vent, qui les soulage & soustient dans le milieu de l’air, à passer plusieurs jours & nuicts sans aller gister à terre : ains vont fort avant en Mer chercher leur proye, à plus de cinquante ou soixante lieuës de terre. Ils ont la veuë merveilleusement aiguë, tellement que du lieu où ils sont qui est fort haut, ils descouvrent le poisson, sur lequel ils se jettent incontinent & le ravissent. Ils ont une proprieté tres-belle, c’est qu’ils suivent les Poissons de proye qui vont apres les menus Poissons afin de les manger : Ces Oyseaux s’approchent à une lance de l’eau, & ne s’oublient de participer au butin, voire defrauder le poursuivant s’ils peuvent.

Outre ces gros Oyseaux, il y a une milliace d’Oysillons, d’entre lesquels je trouve ceux-cy remarquables. Premierement les Aloüettes de Mer qui sont en si grande quantité qu’elles couvrent les sables de la Mer, quand elle est en son reflux : Elles sont fort bonnes à manger, & cependant elles ne vivent que de la créme que laisse la Mer sur les sables, laquelle elles vont leschant avec leur petit bec : vous en tuez à plaisir avec une harquebuze chargee de dragees, si tant est que vous soyez dans un Canot.

Il y a une autre sorte d’Oyseaux plus admirables que croyables, & cependant c’est une verité que nous avons experimentee, lesquels ont le bec faict comme ces couteaux qui se replient dans leur manche, qu’on appelle communement Jambettes & Rasoirs : ainsi leurs becs sont inutiles à les pourvoir d’aucune nourriture, & aussi dit-on, que ces Oyseaux ne vivent que de vent, & leurs becs trenchans ne servent d’autre chose qu’à leur donner du passetemps, lors qu’ils se promenent és rivages de la Mer, rencontrans en leur chemin quelque Poisson courant au bord, ils le découpent en deux, ainsi qu’avec un couteau, & se contentent de cela. Le jour que nous partismes de Maragnan, un jeune homme qui appartient au Sieur de Sainct Vincent, qui m’assista en tout mon voyage, nous en tua un, dont je fis garder le bec pour apporter en France.

Il y a des Merles comme en France, semblables en plumages & en chant, degoisent leurs ramages à plaisir sur la fin des pluyes, quand le beau temps revient voir les habitans de la Zone Torride, à l’oposite sur la fin du beau temps, & au commencement des pluyes il rend un chant pitoyable, quasi comme regrettant le passé, & apprehandant les orages de l’Hyver, si Hyver se doit appeller.

Plusieurs petits Oysillons se trouvent d’une beauté indicible : les uns pers, les autres violets, les autres azurez, jaunes, & de couleur meslee : Les Sauvages font leur perruques de leurs plumages, sont chers, parce qu’il est bien difficile de les tuer : car ils ressentent naturellement l’envie qu’on leur porte : par ainsi ils demeurent au sommet des arbres tres-hauts, & font leurs petits nids suspendus aux extremitez des branches, ausquels ils sont attachez avec un filet de Pite tres-fort, & à l’autre bout de ce filet qui est pendant sur la terre, ils fabriquent un pot de terre, dans lequel ils font leurs petits, & y entrent par un trou seulement, proportionné à leur grosseur. C’est la nature qui leur apprend cecy, pour conserver eux & leurs petits. J’ay apporté de ces Oysillons en France qui ravissoient en admiration ceux qui les ont veuz.

Ceste terre de Maragnan possede un genre d’Oysillons, qui n’excedent en grosseur le bout du pouce, je dy mesme avec leurs plumes, & ont un chant fort melodieux, revenant à celuy de l’Aloüette, laquelle ils imitent aussi quand ils veulent chanter : car ils se dressent droict le bec en haut, & montent tousjours tant que la voix leur peut durer, & leurs aisles les supporter. Ils font volontiers leurs demeures aupres des fontaines, où souvent ils viennent se plonger & bagner leurs petites aisles, pour plus aisement se guinder en haut. Ils nichent là aupres : vous pouvez penser de quelle grosseur peuvent estre leurs œufs, & en pondent jusqu’à cinq & sept, leurs petits sont encore bien plus admirables en leur petitesse, que leur pere & leur mere, & neantmoins sont si fœconds que les enfans en apportent des Courges toutes pleines. Il y en a de diverses couleurs, jaunes, violets, tannelez, & de mille autres façons.

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