L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques
PHILIPPE 1er ÉPOUSE BERTRADE, FEMME DU COMTE D'ANJOU.
1092.
Vers cette époque, des désordres honteux éclatèrent dans le royaume de France. Bertrade, comtesse d'Anjou [77], craignait que son mari ne la traitât comme il avait traité les deux précédentes et redoutait de se voir répudiée comme une vile concubine. Pleine de confiance dans sa noblesse et dans sa beauté, elle dépêcha à Philippe, roi des Français, un fidèle serviteur pour lui faire connaître ses projets; elle ne voulait pas être répudiée et devenir un objet de mépris; pour cela, elle était résolue à abandonner la première son mari et à en prendre un autre. Le roi voluptueux, averti des projets de cette femme coquette, consentit au crime et la reçut avec joie lorsqu'elle vint en France après avoir quitté son mari. Alors il répudia sa pieuse femme [78], qui lui avait donné deux enfants, Louis et Constance, et il épousa Bertrade, qui avait demeuré environ quatre ans avec Foulques, comte d'Anjou. Odon, évêque de Bayeux, consacra cette détestable union; et le roi adultère lui donna en récompense de ce funeste service les églises de la ville de Mantes, qu'il posséda quelque temps.
Aucun autre évêque de France n'avait voulu faire cette consécration impie. Tous, voulant suivre rigoureusement les règles ecclésiastiques, préférèrent plaire à Dieu qu'aux hommes, et tous, ayant horreur de cette honteuse union, la frappèrent d'anathème d'un commun accord. Ainsi l'impudente courtisane abandonna le comte adultère pour vivre jusqu'à la mort avec le roi adultère. O douleur! L'horrible crime de l'adultère fut consommé sur le trône du royaume de France. Ainsi furent produites entre deux puissants rivaux des causes de trouble et de guerre. Mais Bertrade, par son adresse apaisa leur ressentiment, et sut par son esprit les réconcilier et les faire asseoir à la même table dans un splendide banquet, où elle les servit l'un et l'autre avec grâce et à leur satisfaction.
Le pape Urbain envoya en France des légats du siége des apôtres. Il tança le roi perverti; il le blâma d'avoir répudié son épouse légitime et de s'être uni, malgré la défense de Dieu, à une femme adultère. Mais Philippe, endurci dans le crime, repoussa les avis des prélats qui l'exhortaient à changer de vie, et resta plongé dans les impuretés de l'adultère, et eut de sa concubine deux fils, Philippe et Florus. Durant près de quinze ans, pendant les pontificats d'Urbain et de Pascal, le roi fut interdit, ne porta jamais la couronne et ne célébra aucune cérémonie royale; partout où il arrivait, aussitôt que le clergé en était informé, les cloches cessaient de sonner et les clercs de chanter; le deuil était public et le culte n'était plus célébré qu'en particulier tant que le roi excommunié restait dans le diocèse. Cependant les évêques dont il était suzerain lui avaient permis, à cause de sa dignité royale, d'avoir un chapelain qui lui disait la messe en particulier ainsi qu'à ses gens.
Orderic Vital, Histoire de Normandie, liv. 8.