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L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques

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SAINT LOUIS EST FAIT PRISONNIER.

Or je vous dirai comment le roi fut pris, ainsi que lui-même me le conta. Il me dit qu'il avait laissé sa bataille [235] et s'était mis lui et monseigneur Geoffroy de Sargines dans la bataille de monseigneur Gauthier de Châtillon, qui faisait l'arrière-garde; et me conta le roi qu'il était monté sur un petit roncin [236], couvert d'une housse de soie, et dit que derrière lui il ne demeura de tous chevaliers et sergents que monseigneur Geoffroy de Sargines, lequel mena le roi jusqu'à Casel [237], là où le roi fut pris. Le roi me conta que monseigneur Geoffroy de Sargines le défendait contre les Sarrasins, comme le bon valet défend contre les mouches la coupe de son seigneur; car toutes les fois que les Sarrasins l'approchaient, il prenait son épée, qu'il avait mise entre lui et l'arçon de sa selle, la mettait sous son aisselle, et leur courait sus et les chassait d'à côté le roi; il mena ainsi le roi jusqu'à Casel, où on le descendit en une maison et où on le coucha au giron d'une bourgeoise de Paris, comme tout mort, et ils croyaient que il ne devait pas voir le soir [238]. Là vint monseigneur Philippe de Montfort, qui dit au roi qu'il avait vu l'émir [239], avec lequel il avait traité de la trêve; que s'il voulait, il irait vers lui pour refaire la trêve de la manière que les Sarrasins voudraient. Le roi le pria qu'il y allât et qu'il le voulait bien. Il alla au Sarrasin; le Sarrasin avait ôté son turban de sa tête et ôta son anneau de son doigt pour assurer qu'il tiendrait la trêve. Pendant ce temps il advint un grand malheur à nos gens; un traître sergent, qui avait nom Marcel, commença à crier à nos gens: «Seigneurs chevaliers, rendez-vous, le roi vous le mande [240], et ne faites pas occire le roi.» Tous crurent que le roi leur avait mandé, et rendirent leurs épées aux Sarrasins. L'émir vit que les Sarrasins amenaient nos gens prisonniers; il dit à monseigneur Philippe qu'il ne convenait pas qu'il donnât trêve à nos gens, car il voyait bien qu'ils étaient pris.

Joinville, Histoire de saint Louis, traduite par L. Dussieux.

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