L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques
CONCILE DE CLERMONT.
1095.
Aussitôt que le pape Urbain fut arrivé sur le sol de notre pays, les habitants des villes, des bourgs et des campagnes l'accueillirent avec joie et se portèrent en foule à sa rencontre, car personne ne se souvenait d'avoir entendu dire que le Pape fût jamais venu visiter ces contrées. L'année 1095 s'approchait de sa fin, lorsque le Pape convoqua un concile, en fixant le lieu de sa réunion dans la ville des Arvernes, qui a changé de nom et qui s'appelle maintenant Clermont, illustrée par Sidoine, le plus éloquent des évêques. Ce concile fut d'autant plus populaire que chacun était désireux de contempler le visage et d'écouter les paroles d'un aussi grand personnage et qu'on n'avait pas l'habitude de voir; aussi, indépendamment des évêques et des abbés qui siégèrent sur les bancs les plus élevés, au nombre de quatre cents environ, selon quelques personnes qui les comptèrent, tous les hommes lettrés de la France entière et des comtés qui en font partie arrivèrent à Clermont, et l'on vit ce pape tout intelligent présider l'assemblée avec une gravité calme, une politesse mesurée, et, pour parler comme Sidoine, répondre avec une éloquence persuasive à toutes les objections qu'on lui faisait. Cet homme très-illustre écouta avec une grande bonté, qui fut bien remarquée, les interminables discours de ceux qui soutenaient devant lui leurs procès, et il eut toujours soin de traiter tout le monde également et de ne faire d'autres distinctions que celles exigées par la loi de Dieu.
Le roi Philippe (Ier) était alors dans la trente-septième année de son règne; il avait répudié Berthe, sa femme légitime, pour épouser Bertrade, femme du comte d'Anjou. Le Pape n'hésita pas à excommunier le roi des Français, repoussa les sollicitations des grands aussi bien que les plus riches présents, et ne se laissa point intimider par la considération qu'il se trouvait en ce moment dans l'intérieur du royaume. Comme il l'avait résolu avant de venir en France, et parce que c'était le principal but de son voyage, le Pape fit à tous ceux qui assistaient au concile [80] un long discours dans lequel il fit connaître ses projets, mais dont aucun de ceux qui l'entendirent ne conserva le souvenir complet. Son éloquence était aidée par sa science littéraire, et il parlait en latin [81] avec la facilité d'un avocat qui parle sa langue maternelle [82]. Lorsque le Pape eut fini son discours, il donna l'absolution, par le pouvoir de saint Pierre, à tous ceux qui feraient le vœu d'aller en terre sainte, et la confirma en vertu de son autorité apostolique. Il établit ensuite un signe qui devait faire connaître ceux qui auraient pris cette bonne résolution, et qui leur servirait en quelque sorte comme de ceinture de chevaliers. Il voulait marquer ceux qui allaient combattre pour Dieu du sceau de la Passion du Seigneur, et il leur ordonna de coudre sur leurs habits ou leurs manteaux, un morceau d'étoffe coupé en forme de croix. Le Pape décida en outre que, si après avoir pris cette marque distinctive, ou après avoir fait son vœu publiquement, quelqu'un renonçait à cette bonne intention en cédant à de coupables regrets ou aux prières de ses parents, il serait excommunié pour toujours, à moins que, se repentant, il n'accomplît le vœu qu'il aurait honteusement refusé d'accomplir. En même temps le Pape menaça de l'excommunication tous ceux qui pendant trois ans seraient assez impies pour faire du mal aux femmes, aux enfants, et aux biens de ceux qui feraient partie de l'expédition. Enfin le Pape confia le soin de diriger l'entreprise à un homme digne des plus grands éloges, l'évèque du Puy (Adhémar de Monteil).