L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques
CROISADE DE SAINT LOUIS EN ÉGYPTE.
1248-1250.
Prise de Damiette par saint Louis, 1249.
Saint Louis, au rapport de Gémal-Eddin, était un des plus puissants princes de l'Occident; il était roi de France. «Le peuple de France, ajoute-t-il, s'est rendu célèbre entre toutes les nations des Francs. Ce roi était très-religieux observateur de la foi chrétienne. Il voulait conquérir la Palestine, et soumettre d'abord l'Égypte. Il était accompagné de cinquante mille guerriers, et venait de passer l'hiver dans l'île de Chypre. Il se présenta sur la côte, près de l'embouchure de la branche du Nil qui passe à Damiette, un vendredi 4 juin 1249. Le sultan [229] était alors campé à Aschmoun-Thenab, sur le canal d'Aschmoun, non loin de Mansourah; c'est delà qu'il avait ordonné les préparatifs nécessaires. Il avait fourni Damiette de tout ce qui pouvait mettre la place en état de faire une longue résistance; des vivres et des provisions y avaient été amassés pour plus d'une année; une forte garnison en avait la défense; on distinguait entre autres les arabes Kénamites, guerriers fameux par leur bravoure. De plus, le lit du fleuve était gardé par des vaisseaux envoyés du Caire. Enfin, une armée formidable, sous la conduite de l'émir Fakr-Eddin, occupait la côte où les chrétiens devaient aborder.....
«Le roi de France, continue Gémal-Eddin, se mit en devoir d'aborder sur la côte. On était alors au samedi 5 juin. Il débarqua avec toutes ses troupes, et dressa son camp sur le rivage. La tente du roi était rouge. Il y eut ce jour-là un engagement entre les Francs et les Égyptiens, où plusieurs émirs musulmans furent tués. Le soir, Fakr-Eddin repassa le Nil avec son armée, sur le pont qui était en face de Damiette; et sans s'arrêter, il se rendit sur le canal d'Aschmoun, auprès du sultan. Il régnait alors une extrême insubordination dans l'armée, à cause de la maladie du prince; personne ne pouvait plus contenir les soldats. Les Kénamites chargés de défendre Damiette, se voyant abandonnés, quittèrent précipitamment la ville, et se dirigèrent aussi vers le canal d'Aschmoun; les habitants suivirent cet exemple. Hommes, femmes, enfants, tous s'enfuirent dans le plus grand désordre, abandonnant les vivres et les provisions; car ils se trouvaient sans défense, et ils craignaient d'éprouver le même sort que trente ans auparavant [230], sous le sultan Malek-Kamel. En un moment Damiette se trouva déserte. Le lendemain dimanche, les chrétiens ne voyant plus d'ennemis, passèrent aussi le Nil, et entrèrent sans résistance. Il n'y avait pas d'exemple d'un événement aussi désastreux. A cette époque, ajoute Gémal-Eddin, j'étais au Caire, chez l'émir Hossam-Eddin, gouverneur de la ville. Nous apprîmes le jour même, par un pigeon, la prise de Damiette. Ce malheur nous pénétra tous de crainte et d'horreur; il nous sembla que c'en était fait de l'Égypte, surtout à cause de la maladie du sultan. La conduite de Fakr-Eddin et de la garnison fut en cette occasion inexcusable; car la ville eût pu tenir très-longtemps. Dans l'invasion précédente, sous Malek-Kamel, Damiette était sans garnison, sans approvisionnements; et pourtant elle avait résisté pendant un an; encore fallut-il pour la réduire le concours de la famine et de la peste. Sa situation dans la guerre présente était bien plus favorable; même après la retraite de Fakr-Eddin, si les Kénamites et les habitants étaient restés, s'ils avaient seulement tenu leurs portes fermées, ils auraient arrêté tous les efforts des Francs. Pendant ce temps, l'armée serait revenue, et les Francs auraient été repoussés. Mais quand Dieu veut une chose, on ne peut l'empêcher.»
Le sultan fut si indigné contre les Kénamites, qu'il fit pendre tous les chefs. Vainement, suivant Makrizi, ils firent des représentations; vainement, dirent-ils: «En quoi sommes-nous coupables? que pouvions-nous faire, étant abandonnés des émirs et de toute l'armée?» on n'écouta pas leurs excuses; les chefs furent pendus, au nombre de cinquante.
Reinaud, Bibliothèque des Croisades, t. 4, p. 448.