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L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques

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SAINT-LOUIS PREND LA CROIX.
1243.

Coment le roy fu malade à Pontoise.

Tantost comme le roy ot nouvelles du pape et il voult mouvoir pour aler à luy, une fort maladie le prist que les physiciens appellent dissentere. Si fu le roy longuement malade de celle maladie en la ville de Pontoise. La nouvelle ala par le pays que le roy estoit moult griefment malade; si en furent tous courouciés, grans et petis. Les prélas et les barons vindrent hastivement à Pontoise, et orent grant pitié du roy, qu'il trouvèrent en si povre point. Il demourèrent illec une pièce pour savoir que nostre sire en feroit; car il virent que la maladie lui enforçoit de jour en jour plus forment. Si ordenèrent que l'en priast Nostre-Seigneur, qui tout puet, qu'il voulsist donner santé au roy. L'en fist mander par tous les églyses cathédraux que l'en amonnestast le peuple de faire aumosnes; et fist-l'en (fit-on) prières et processions. Oncques la maladie ne cessa d'enforcier tant que on cuida certainement que le roy fust mort, et furent tous esmeus parmi le pays et le palais, et commencièrent tous à crier et à plourer et à regreter leur seigneur, qui tant estoit preudomme et tant aimoit les povres, et deffendoit le menu peuple des grans que nul outrage ne leur fust fait, et vouloit que ainsi bien fust fait droit et raison aux povres comme aux riches.

Nul ne pourroit penser comme le menu peuple de Paris en estoit couroucié forment; et disoient entr'eux: «Sire Dieu, que voulez-vous faire à votre peuple? pourquoy nous tollez-vous celuy qui nous gardoit et deffendoit en paix, le souverain prince de toute bonne justice?» Lors laissièrent tous les menestreus besoingnes à faire, et coururent et hommes et femmes aux églyses et firent prières et oroisons, et donnèrent aumosnes aux povres en grant dévocion, que Nostre-Seigneur voulsist ramener le roy en santé.

Ceste nouvelle courut par tout le pays tant que le pape Innocent le sot (le sut), qui estoit à Lyon sur le Rosne, et luy dist-on aussi comme certainement qu'il estoit trespassé; si en fu moult dolent et moult couroucié; et n'estoit point merveille, car l'églyse de Rome n'avoit autre deffendeur en la tempeste et en la douleur où elle estoit contre l'empereur Federic.

Si comme ceste dolente nouvelle couroit parmi le pays, celuy qui commande aux vens et à la mer et aux élémens, et les tourne quelle part qu'il veut, fu esmeu de pitié; car il voult que le roy fust assouagié [227] de sa maladie, et si luy revint l'esperit. Ceux qui estoient entour luy dirent que son esperit avoit esté ravi. Quant il fu revenu et il pot parler, il requist tantost la croix pour aler oultre mer, et la prist dévotement. Le roy commença à assouagier, tant que Nostre-Seigneur le mist en parfaicte santé. Moult devint aumosnier et religieux après ceste maladie, et fu en moult grant dévocion de secourre la terre d'oultre mer [228].

Les Grandes Chroniques de Saint-Denis, éditées et annotées par M. Paulin Pâris.

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