L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques
CHARTE DE LA COMMUNE DE LAON.
Établissement de la paix.
1128.
Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Amen. Louis, par la grâce de Dieu, roi des Français [105], voulons faire connaître à tous nos fidèles, tant futurs que présents, le suivant établissement de paix que, de l'avis et du consentement de nos grands et des citoyens de Laon, nous avons institué à Laon, lequel s'étend depuis l'Ardon jusqu'à la Futaie, de telle sorte que le village de Luilly et toute l'étendue des vignes et de la montagne soient compris dans ces limites:
1o Nul ne pourra sans l'intervention du juge arrêter quelqu'un pour quelque méfait, soit libre, soit serf. S'il n'y a point de juge présent, on pourra sans forfaiture retenir (le prévenu) jusqu'à ce qu'un juge vienne, ou le conduire à la maison du justicier, et recevoir satisfaction du méfait selon qu'il sera jugé.
2o Si quelqu'un a fait, de quelque façon que ce soit, quelque injure à quelque clerc, chevalier ou marchand, et si celui qui a fait l'injure est de la ville même, qu'il soit cité dans l'intervalle de quatre jours, vienne en justice devant le maire et les jurés, et se justifie du tort qui lui est imputé, ou le répare selon qu'il sera jugé. S'il ne veut pas le réparer, qu'il soit chassé de la ville, avec tous ceux qui sont de sa famille propre (sauf les mercenaires, qui ne seront pas forcés de s'en aller avec lui), s'ils ne le veulent pas, et qu'on ne lui permette pas de revenir avant d'avoir réparé le méfait par une satisfaction convenable.
S'il a des possessions, en maisons ou en vignes, dans le territoire de la cité, que le maire et les jurés demandent justice de ce malfaiteur ou aux seigneurs (s'il y en a plusieurs) dans le district desquels sont situées ses possessions, ou bien à l'évêque, s'il possède un alleu; et si, assigné par les seigneurs ou l'évêque, il ne veut pas réparer sa faute dans la quinzaine, et qu'on ne puisse avoir justice de lui, soit par l'évêque, soit par le seigneur dans le district duquel sont ses possessions, qu'il soit permis aux jurés de dévaster et de détruire tous les biens de ce malfaiteur.
Si le malfaiteur n'est pas de la cité, que l'affaire soit rapportée à l'évêque; et si, sommé par l'évêque, il n'a pas réparé son méfait dans la quinzaine, qu'il soit permis au maire et aux jurés de poursuivre vengeance de lui comme ils le pourront.
3o Si quelqu'un amène sans le savoir dans le territoire de l'établissement de paix un malfaiteur chassé de la cité, et s'il prouve par serment son ignorance, qu'il remmène librement le dit malfaiteur, pour cette seule fois; s'il ne prouve pas son ignorance, que le malfaiteur soit retenu jusqu'à pleine satisfaction.
4o Si par hasard, comme il arrive souvent, au milieu d'une rixe entre quelques hommes, l'un frappe l'autre du poing ou de la paume de la main, ou lui dit quelque honteuse injure, qu'après avoir été convaincu par de légitimes témoignages, il répare son tort envers celui qu'il a offensé, selon la loi sous laquelle il vit, et qu'il fasse satisfaction au maire et aux jurés pour avoir violé la paix.
Si l'offensé refuse de recevoir la réparation, qu'il ne lui soit plus permis de poursuivre aucune vengeance contre le prévenu, soit dans le territoire de l'établissement de paix, soit en dehors; et s'il vient à le blesser, qu'il paye au blessé les frais de médecin pour guérir la blessure.
5o Si quelqu'un a contre un autre une haine mortelle, qu'il ne lui soit pas permis de le poursuivre quand il sortira de la cité, ni de lui tendre des embûches quand il y rentrera. Que si, à la sortie ou à la rentrée, il le tue ou lui coupe quelque membre, et qu'il soit assigné pour cause de poursuite ou d'embûches, qu'il se justifie par le jugement de Dieu. S'il l'a battu ou blessé hors du territoire de l'établissement de paix, de telle sorte que la poursuite ou les embûches ne puissent être prouvées par le témoignage d'hommes dudit territoire, il lui sera permis de se justifier par serment. S'il est trouvé coupable, qu'il donne tête pour tête et membre pour membre, ou qu'il paye pour sa tête ou selon la qualité du membre un rachat convenable à l'arbritage du maire et des jurés.
6o Si quelqu'un veut intenter contre quelque autre une plainte capitale, qu'il porte d'abord sa plainte devant le juge dans le district duquel sera trouvé le prévenu. S'il ne peut en avoir justice par le juge, qu'il porte au seigneur dudit prévenu, s'il habite dans la cité, ou à l'officier dudit seigneur, si celui-ci habite hors de la cité, plainte contre son homme. S'il ne peut en avoir justice ni par le seigneur ni par son officier, qu'il aille trouver les jurés de la paix, et leur montre qu'il n'a pu avoir justice de cet homme, ni par son seigneur ni par l'officier de celui-ci; que les jurés aillent trouver le seigneur, s'il est dans la cité, et sinon son officier, et qu'ils lui demandent instamment de faire justice à celui qui se plaint de son homme; et si le seigneur ou son officier ne peuvent en faire justice ou le négligent, que les jurés cherchent un moyen pour que le plaignant ne perde pas son droit.
7o Si quelque voleur est arrêté, qu'il soit conduit à celui dans la terre de qui il a été pris; et si le seigneur de la terre n'en fait pas justice, que les jurés la fassent.
8o Les anciens méfaits qui ont eu lieu avant la destruction de la ville, ou l'institution de cette paix, sont absolument pardonnés, sauf treize personnes, dont voici les noms: Foulques, fils de Bomard; Raoul de Capricion; Hamon, homme de Lebert; Payen Seille; Robert; Remy Bunt; Maynard Dray; Raimbauld de Soissons; Payen Hosteloup; Anselle Quatre-Mains; Raoul Gastines; Jean de Molriem; Anselle, gendre de Lebert. Excepté ceux-ci, si quelqu'un de la cité, chassé pour d'anciens méfaits, veut revenir, qu'il soit remis en possession de tout ce qui lui appartient et qu'il prouvera avoir possédé et n'avoir ni vendu ni mis en gage.
9o Nous ordonnons aussi que les hommes de condition tributaire payent le cens, et rien de plus, à leurs seigneurs, et s'ils ne le payent pas au temps convenu, qu'ils soient soumis à l'amende suivant la loi sous laquelle ils vivent. Qu'ils n'accordent que volontairement quelque autre chose à la demande de leurs seigneurs; mais qu'il appartienne à leurs seigneurs de les mettre en cause pour leurs forfaitures et de tirer d'eux ce qui sera jugé.
10o Que les hommes de la paix, sauf les serviteurs des églises et des grands qui sont de la paix, prennent des femmes dans toute condition où ils pourront. Quant aux serviteurs des églises qui sont hors des limites de cette paix, ou des grands qui sont de la paix, il ne leur est pas permis de prendre des épouses sans le consentement de leurs seigneurs.
11o Si quelque personne vile et déshonnête insulte, par des injures grossières, un homme ou une femme honnête, qu'il soit permis à tout prud'homme de la paix, qui surviendrait, de la tancer, et de réprimer, sans méfait, son importunité par un, deux ou trois soufflets. S'il est accusé de l'avoir frappé par vieille haine, qu'il lui soit accordé de se purger, en prêtant serment, qu'il ne l'a point fait par haine, mais au contraire pour l'observation de la paix et de la concorde.
12o Nous abolissons complétement la mainmorte [106].
13o Si quelqu'un de la paix, en mariant sa fille, ou sa petite-fille, ou sa parente, lui a donné de la terre ou de l'argent, et si elle meurt sans héritier, que tout ce qui restera de la terre ou de l'argent à elle donné retourne à ceux qui l'ont donné ou à leurs héritiers. De même si un mari meurt sans héritier, que tout son bien retourne à ses parents, sauf la dot qu'il avait donnée à sa femme. Celle-ci gardera cette dot pendant sa vie, et après sa mort la dot même retournera aux parents de son mari. Si le mari ni la femme ne possèdent de biens immeubles, et si, gagnant par le négoce, ils ont fait fortune et n'ont point d'héritiers, à la mort de l'un toute la fortune restera à l'autre. Et si ensuite ils n'ont points de parents, ils donneront deux tiers de leur fortune en aumônes pour le salut de leurs âmes, et l'autre tiers sera dépensé pour la construction des murs de la cité.
14o En outre, que nul étranger, parmi les tributaires des églises ou des chevaliers de la cité, ne soit reçu dans la présente paix sans le consentement de son seigneur. Que si par ignorance quelqu'un est reçu sans le consentement de son seigneur, que dans l'espace de quinze jours il lui soit permis d'aller sain et sauf, sans forfaiture, où il lui plaira, avec tout son avoir.
15o Quiconque sera reçu dans cette paix, devra, dans l'espace d'un an, se bâtir une maison ou acheter des vignes, ou apporter dans la cité une quantité suffisante de son avoir mobilier, pour pouvoir satisfaire à la justice, s'il y avait par hasard quelque sujet de plainte contre lui.
16o Si quelqu'un nie avoir entendu le ban de la cité, qu'il le prouve par le témoignage des échevins, ou se purge en élevant la main en serment.
17o Quant aux droits et coutumes que le châtelain prétend avoir dans la cité, s'il peut prouver légitimement, devant la cour de l'évêque, que ses prédécesseurs les ont eues anciennement, qu'il les obtienne de bon gré; s'il ne le peut, non.
18o Nous avons réformé ainsi qu'il suit les coutumes par rapport aux tailles [107]. Que chaque homme qui doit les tailles paye, aux époques où il les doit, quatre deniers; mais qu'il ne paye en outre aucune autre taille; à moins cependant qu'il n'ait hors des limites de cette paix quelque autre terre devant taille, à laquelle il tienne assez pour payer la taille à raison de la dite possession.
19o Les hommes de la paix ne seront point contraints à aller au plaid [108] hors de la cité. Que si nous avions quelque sujet de plainte contre quelques-uns d'eux, justice nous serait rendue par le jugement des jurés. Que si nous avions sujet de plainte contre tous, justice nous serait rendue par le jugement de la cour de l'évêque.
20o Que si quelque clerc commet un méfait dans les limites de la paix, s'il est chanoine, que la plainte soit portée au doyen et qu'il rende justice. S'il n'est pas chanoine, justice doit être rendue par l'évêque, l'archidiacre ou leurs officiers.
21o Si quelque grand du pays fait tort aux hommes de la paix, et, sommé, ne veut pas leur rendre justice, si ces hommes sont trouvés dans les limites de la paix, qu'eux et leurs biens soient saisis, en réparation de cette injure, par le juge dans le territoire de qui ils auront été pris, afin que les hommes de la paix conservent ainsi leurs droits et que le juge lui-même ne soit pas privé des siens.
22o Pour ces bienfaits donc et d'autres encore, que par une bénignité royale nous avons accordée à ces citoyens, les hommes de cette paix ont fait avec nous cette convention, savoir: que, sans compter notre cour royale, les expéditions et le service à cheval qu'ils nous doivent, ils nous fourniront trois fois dans l'année un gîte, si nous venons dans la cité; et que si nous n'y venons pas, ils nous payeront en place 20 livres.
23o Nous avons donc établi toute cette constitution, sauf notre droit, le droit épiscopal et ecclésiastique, et celui des grands qui ont leurs droits légitimes et distincts dans les confins de cette paix; et si les hommes de cette paix enfreignaient en quelque chose notre droit, celui de l'évêque, des églises et des grands de la cité, ils pourraient racheter sans forfaiture, par une amende, dans l'espace de quinze jours, leur infraction.
Ordonnance de Louis VI, traduite du latin par M. Guizot, dans son Cours de l'histoire de la civilisation en France.