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L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques

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MASSACRE DES JUIFS.

La même année que Pierre l'ermite et Godescalc étaient partis avec leurs armées, des troupes innombrables de pèlerins partirent de France, d'Angleterre, de Flandre et de Lorraine. Entraînés par l'amour de Dieu, et portant le signe de la croix, ces pèlerins arrivaient de tous côtés, chargés d'armes, de vivres et d'objets de toute sorte qui leur étaient nécessaires pour faire le voyage de Jérusalem; ces bandes venues de tous les pays et de toutes les villes se réunissaient et formaient de grandes troupes parmi lesquelles on se livrait à tous les excès; des femmes et des filles parties pour le voyage de Jérusalem commettaient aussi les mêmes désordres.

Je ne sais si ce fut par la volonté de Dieu ou par une erreur de leur esprit que ces pèlerins se conduisirent si cruellement contre les juifs établis dans toutes les villes, et qu'ils les massacrèrent, surtout en Lotharingie [86], disant qu'il fallait commencer par là leur expédition et la guerre contre les ennemis de la religion. Le massacre commença d'abord à Cologne; on attaqua les quelques juifs qui y demeuraient; on les blessa et on les tua sans pitié; on détruisit leurs maisons et leurs synagogues, puis les pèlerins se partagèrent le butin. Deux cents juifs, effrayés de ces cruautés, se sauvèrent pendant la nuit et arrivèrent à Neuss en bateau; mais des pèlerins les rencontrèrent, les massacrèrent tous, et s'emparèrent de tout ce qu'ils emportaient.

Après, les pèlerins, en nombre considérable, se remirent en route, selon leur vœu, et arrivèrent à Mayence. Un seigneur très-considérable de ce pays, le comte Émicon, était dans cette ville avec une nombreuse troupe d'Allemands et attendait l'arrivée des autres pèlerins. Les juifs de Mayence, ayant appris le massacre de ceux de Cologne et craignant le même sort, essayèrent de se sauver en se réfugiant auprès de l'évêque Rothard, et confièrent à sa garde leurs trésors, comptant que sa protection leur serait utile puisqu'il était évêque de la ville. L'évêque cacha avec soin l'argent que les juifs lui donnèrent à garder; il les plaça sur une grande terrasse pour les empêcher d'être vus par le comte Émicon et par sa troupe et les sauver, son palais étant l'asile le plus sûr pour eux. Mais Émicon et les siens se décidèrent à aller attaquer le lendemain matin les juifs qui étaient enfermés dans ce lieu élevé et découvert; ils enfoncèrent les portes, assaillirent les juifs à coups de flèches et de lances, en tuèrent sept cents qui ne purent se défendre contre un ennemi trop nombreux; ils massacrèrent les femmes et les enfants. Les juifs voyant que les chrétiens égorgeaient jusqu'à leurs enfants, sans pitié pour leur âge, prirent les armes, mais pour massacrer eux-mêmes leurs femmes, leurs mères et leurs sœurs, et, ce qui est horrible à dire, les mères coupaient la gorge à leurs enfants, aimant mieux les tuer que de les laisser massacrer par les chrétiens.

Un petit nombre de juifs échappa au massacre en se faisant donner le baptême, bien plus pour ne pas être tués que par le désir de devenir chrétien; puis Émicon et toute cette bande innombrable d'hommes et de femmes, chargés de butin, continuèrent leur voyage pour Jérusalem, se dirigeant vers la Hongrie.

Albert d'Aix, Histoire des Croisades, livre I.

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