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L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques

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LE VICOMTE DE BÉZIERS PRIS PAR TRAHISON.

Après la destruction de Béziers, les croisés marchent sur Carcassonne, où était le vicomte de Béziers; mais ils sont repoussés dans plusieurs assauts.

Le légat voyant qu'il ne pouvait s'emparer de Carcassonne par assaut ou autrement, imagina une grande ruse, qui était d'envoyer un des siens vers le vicomte, pour traiter avec lui de quelque arrangement et aussi pour prendre connaissance de l'état dans lequel était la ville; ce qui fut fait. L'homme qu'on envoya au vicomte était adroit, et sa parole était propre à accomplir de pareils actes. Il s'en alla à Carcassonne, demandant une entrevue avec le vicomte pour affaire qui lui devait être avantageuse. Aussitôt que le vicomte apprit qu'il y avait à la porte de la ville un gentilhomme accompagné d'au moins trente autres, de noble mine, il vint et sortit escorté de trois cents hommes bien armés. Le seigneur envoyé par le légat et ses gens lui firent bon accueil et force salutations; et les saluts terminés, ledit seigneur dit au vicomte qu'il déplorait beaucoup ce qui lui arrivait; qu'il était son parent et très-proche, que c'était la vérité et qu'il le jurait; qu'en conséquence il était très-fâché de son infortune, et qu'il voudrait qu'il conclût un accommodement avec le légat; que toutefois il lui donnait le conseil, s'il pouvait avoir du secours, qu'il se hâtât de le faire venir sans délai, car le légat et les barons étaient pleins de mauvais vouloir contre lui et ne désiraient que sa destruction; il promettait cependant de faire tout ce qu'il pourrait pour rétablir la paix. Ainsi parla avec ruse ledit seigneur gentilhomme. Le vicomte y ajouta une foi entière, comme je vais le raconter, et ce fut une folie.

Or, l'histoire dit que le gentilhomme sut persuader le vicomte par ses discours pleins de ruse et de fourberie, à ce point que le vicomte lui dit que s'il voulait en prendre le soin, il lui remettrait la conduite de son affaire et qu'il lui donnerait carte blanche; car le vicomte était très-affecté de voir l'état auquel était réduite la cité. «Si les seigneurs et princes, dit-il, veulent me donner sûreté pour que je puisse aller dans leur camp leur parler et leur exposer les choses telles qu'elles sont, je crois que nous tomberons d'accord.» Et l'autre lui répondit: «Seigneur vicomte, quoique je ne sois pas autorisé, je vous promets et jure par ma foi d'homme noble, que si vous voulez venir dans le camp, comme vous me le disiez, je vous mènerai et ramènerai sain et sauf, si vous ne vous accommodez pas, et que votre personne et vos biens ne courront aucun danger.» Il le promit et le jura de cette manière, et le vicomte y consentit, ce qui fut une grande folie, et pour l'autre une grande perfidie que cette trahison.

Ainsi donc et sans plus de délibération, le vicomte, après avoir parlé à ses gens, partit en belle et noble compagnie, arriva au camp et entra dans la tente du légat, où étaient en ce moment rassemblés tous les princes et seigneurs. Tous furent bien étonnés de le voir. Le vicomte les salua, comme il le savait faire, et les salutations rendues, il exposa son affaire, dit qu'il n'avait jamais été, pas plus que ses prédécesseurs, du parti des hérétiques, que jamais ni lui ni les siens ne les avaient protégés et ne s'étaient associés à leur folie, mais qu'ils avaient toujours obéi à la sainte Église et à ses ordres; que s'il y avait en ce moment quelques infractions, la faute en était à ses officiers, auxquels son père avait, à sa mort, laissé la garde et le gouvernement du pays; qu'il ne savait pas pourquoi on voulait le déposséder de son héritage et lui faire une guerre aussi acharnée; enfin qu'il consentait à se remettre, lui et sa terre, entre les mains de l'Église, et qu'il demandait à être entendu dans une défense contradictoire.

Quand le vicomte eut parlé, le légat prit à part les seigneurs et les princes, qui étaient innocents et ignoraient toutes ces perfidies. Ils convinrent ensemble que le vicomte resterait prisonnier jusqu'à ce que la ville fût en leur pouvoir, dont le vicomte et les gens de sa suite furent bien attristés, et non sans raison.

Chronique languedocienne sur la guerre des Albigeois [165], traduite par L. Dussieux.

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