L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques
LEVÉE DU SIÉGE DE TOULOUSE.
1218.
Après avoir nommé Amaury comte de Toulouse, les croisés ont encore tenté de s'emparer de Toulouse et ont été repoussés avec perte.
Ils restèrent après cela quelques jours si paisibles, qu'il n'y eut entre eux ni combat ni victoire. Mais il ne tarde pas à être pris un autre parti; le cardinal de Rome, l'évêque présent et les autres seigneurs s'assemblent secrètement. Là, Guy de Montfort parle, et dit en confidence: «Seigneurs barons, ce siége n'est pour nous que dommage, et cette entreprise ne me plaît ni ne me convient plus désormais. Nous y perdons tous, corps, parents et chevaux, comme y est déjà mort mon frère, qui seul tenait la ville en crainte. Si nous n'abandonnons pas ce siége, notre savoir y faillira.» «Seigneurs, dit Amaury, ayez égard à moi, que vous avez fait comte tout récemment. Si j'abandonne ainsi honteusement ce siége, l'Église en vaudra moins et moi je ne serai rien; l'on dira par tout pays que plein de vie je suis las de guerroyer, et que la mort de mon père m'est sortie de l'esprit.»—«Amaury, dit don Alard, vous ne songez pas maintenant que toute votre milice est d'avis et pense que si vous poursuivez ce siége, la honte sera plus grande. Vous pouvez bien le savoir: ceux qui étaient vaincus sont victorieux; et jamais vous ne vîtes une autre ville gagner après avoir perdu. Les habitants reçoivent chaque jour des blés et du froment, de la viande et du bois qui les maintiennent gais et joyeux, tandis que vont croissant pour nous le chagrin, le péril et la détresse: et il ne semble pas que vous soyez si riche que vous puissiez tenir ce siége encore longtemps.»—«Seigneurs, dit l'évêque, je suis à cette heure si dolent, que jamais du reste de ma vie je ne pourrai être joyeux.» Le cardinal répond avec chagrin et colère: «Seigneurs, levons donc le siége; mais je vous suis bon garant que partout sera prêchée la croisade, et qu'à la Pentecôte viendra infailliblement ici le fils du roi du France; et nous aurons alors tant d'hommes, que les fruits, les feuilles et les herbes des champs ne suffiront pas à les nourrir, et que l'eau de Garonne leur semblera piment. Nous détruirons la ville; et ceux qui sont dedans seront tous livrés à l'épée; telle est ma sentence.» Alors le siége est levé précipitamment; et le jour de Saint-Jacques, qui est clair, sain et beau, ils mettent le feu et la flamme à toutes leurs constructions et au merveilleux château; mais soudain et sur l'heure par les hommes de la ville il fut éteint. Les Français partent, mais ils laissent là étendus maints morts; d'autres sont perdus et leur comte leur manque; et au lieu d'autre butin, ils emportent son corps à Carcassonne.
Histoire de la Croisade contre les Albigeois, traduite par Fauriel.