L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques
MÊME SUJET.
1213.
Dans le cours de cette même année, pendant l'été qui suivit, une chose étrange et inouïe se passa en France. Possédé par l'ennemi du genre humain, un enfant, véritablement enfant par son âge, et d'une naissance tout à fait obscure, se mit à parcourir les villes et les châteaux du royaume de France, comme s'il eût été inspiré de Dieu; il chantait en mesure dans le langage français: «Seigneur Jésus-Christ, rends-nous ta sainte croix;» et il ajoutait plusieurs autres invocations. Lorsque les autres enfants de son âge le voyaient et l'entendaient, ils le suivaient en foule. On eût dit que les prestiges du diable leur faisaient perdre la tête; ils abandonnaient pères, mères, nourrices et amis, et se mettaient à chanter la même chose, et sur le même ton que leur chef. On ne pouvait les garder sous clef (ce qui est étonnant à dire), et les prières de leurs parents n'avaient aucun effet sur eux; rien ne réussissait à les empêcher de suivre leur guide vers la mer Méditerranée, comme s'ils allaient la traverser; ils s'avançaient processionnellement en chantant et en modulant leur refrain; aucune ville ne pouvait les contenir, tant ils étaient nombreux. Leur chef était placé sur un char orné de draperies; il était entouré de ses compagnons armés et psalmodiant. La multitude de ces enfants était telle, qu'ils s'écrasaient les uns les autres en se pressant. Celui d'entre eux qui pouvait emporter quelques brins ou quelques fils arrachés aux vêtements de leur chef, se regardait comme heureux. Mais enfin, le vieil imposteur, Satan, fit si bien, qu'ils périrent tous sur la terre ou sur la mer.
Matthieu Paris, Grande Chronique, traduite par M. Huillard-Bréholles, t. 2, p. 483.