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L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques

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CHANT DE MORT DE LODBROG [26].
865.

Nous avons frappé de nos épées, dans le temps où, jeune encore, j'allais vers l'Orient apprêter aux loups un repas sanglant, et dans ce grand combat où j'envoyai au palais d'Odin tout le peuple de Helsinghie. De là nos vaisseaux nous portèrent à Yfa, où nos lances entamèrent les cuirasses, où nos épées rompirent les boucliers.

Nous avons frappé de nos épées, le jour où j'ai vu des centaines d'hommes couchés sur le sable, près d'un promontoire anglais; une rosée de sang dégouttait des épées; les flèches sifflaient en allant chercher les casques: c'était pour moi un plaisir égal à celui de tenir une belle fille à mes côtés sur le même siége.

Nous avons frappé de nos épées, le jour où j'abattis ce jeune homme, si fier de sa chevelure, qui dès le matin poursuivait les jeunes filles et recherchait l'entretien des veuves. Quel est le sort d'un homme brave, si ce n'est de tomber des premiers? Celui qui n'est jamais blessé mène une vie ennuyeuse, et il faut que l'homme attaque l'homme ou lui résiste au jeu des combats.

Nous avons frappé de nos épées. Maintenant j'éprouve que les hommes sont esclaves du destin et obéissent aux décrets des fées qui président à leur naissance. Jamais je n'aurais cru que la mort dût me venir de cet Ælla, quand je poussais mes planches si loin à travers les flots et donnais de tels festins aux bêtes carnassières. Mais je suis plein de joie en songeant qu'une place m'est réservée dans les salles d'Odin, et que là bientôt, assis au grand banquet, nous boirons la bière dans de larges crânes.

Nous avons frappé de nos épées. Si les fils d'Asslanga [27] savaient les angoisses que j'éprouve, s'ils savaient que des serpents venimeux m'enlacent et me couvrent de morsures, ils tressailliraient tous et voudraient courir au combat; car la mère que je leur laisse leur a donné des cœurs vaillants. Une vipère m'ouvre la poitrine et pénètre jusqu'à mon cœur; je suis vaincu; mais bientôt, j'espère, la lance d'un de mes fils traversera les flancs d'Ælla.

Nous avons frappé de nos épées dans cinquante et un combats. Je doute qu'il y ait parmi les hommes un roi plus fameux que moi. Dès ma jeunesse j'ai versé le sang et désiré une pareille fin. Envoyées vers moi par Odin, les déesses m'appellent et m'invitent. Je vais, assis aux premières places, boire la bière avec les Dieux. Les heures de ma vie s'écoulent mais c'est en riant que je mourrai [28].

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