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L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques

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RÉVOLTE DES BARONS CONTRE LA REINE BLANCHE.
1226.

Coment les barons de France murmurèrent contre le saint roy.

En celluy an meisme que l'enfant fut couronné, Hue le conte de la Marche, et Pierre Mauclerc duc de Bretaingne, et Thibaut le conte de Champaigne parlèrent ensemble et commencièrent à murmurer contre le jeune roy; et distrent que tel enfant ne devoit pas tenir royaume, et que celluy seroit moult fol qui à luy obéiroit, tant comme il fust si jeune. Lors firent aliances ensemble et promistrent que il n'obéiroient né à luy né à son commandement. Tantost qu'il se furent départis, le duc de Bretaingne fist garnir deux fors chastiaux et deffensables: l'un a nom Saint-Jacques de Buiron [198], et l'autre Belesme. Le père saint Loys les bailla à garder au duc de Bretaingne, pour ce qu'il estoit fort et deffensable, quant il ala sur les Albigeois.

Nouvelles vindrent au roy que le duc garnissoit ses forteresces et ses chastiaux, et qu'il avoit en son aide le conte de la Marche et Thibaut de Champaigne pour aler contre luy et pour luy grever. Si se conseilla à sa mère et à ses barons: si luy fu loé qu'il alast hastivement contre le duc, pour ce qu'il avoit premier garni ses chastiaux. Lors manda chevaliers et sergens d'armes, et assembla grant ost pour aler là, et se mistrent à voie pour aler droit à la charière de Charcoy [199].

Avec le jeune roy estoit un cardinal de Rome qui estoit venu en France de par le pape, et Phelippe conte de Bouloingne, oncle le roy, et Robert conte de Dreux, qui estoit frère au duc [200]. Quant Thibaut le conte de Champaigne vit l'ost de France venir là où il avoit [201] tant bonne chevalerie et tant bonne gent, si se pensa que s'il se tenoit longuement contre le roy que il luy en pourroit bien mescheoir; si se parti de ses compagnons au point du jour, pour ce qu'il ne l'apperceurent, et s'en vint au roy, et le pria qu'il luy voulsist pardonner son mautalent, et que plus ne seroit contre luy.

Le roy, qui estoit enfant et débonnaire, le receut en grace et luy pardonna son mautalent. Après il manda au duc et au conte de la Marche qu'il venissent à son commandement ou qu'il venissent contre luy à bataille: et il luy mandèrent que volentiers feroient paix à luy, mais que il leur donnast jour et lieu là où il pourroient parler de paix et de concorde. Quant le roy eut oï les messages, si leur assigna jour au chastel de Chinon, et fist retourner son ost en France; et puis s'en ala à Chinon, et là les attendit au jour qui estoit establi. Mais il ne vindrent né ne contremandèrent; si les fist semondre derechief; oncques pour ce ne vindrent. La tierce fois furent semons et sommés. Lors parlèrent ensemble le conte et le duc, et distrent que à ceste fois ne pourroient venir à chief [202] du roy; si luy envoyèrent messages, et distrent que volentiers venroient parler à luy à Vendosme, mais qu'il eussent saufaler et sauf-venir. Le roy leur octroya; lors vindrent à Vendosme, et amendèrent au roy de leur outrage et de leur meffait, tout à sa volenté. Le roy, qui fu jeune et débonnaire, leur octroya paix et amour; mais qu'il se gardassent de mesprendre.

Du descord qui fu entre les barons et le roy de France.

L'an après ensuivant, par le conseil Pierre Mauclerc, duc de Bretaingne, et Hue le conte de la Marche, descort mut entre le roy et les barons de France. Et maintenoient les barons contre le roy, que la royne Blanche, sa mère, ne devoit point gouverner si grant chose comme le royaume de France, et qu'il n'appartenoit pas à femme de telle chose faire. Et le roy maintenoit contre ses barons qu'il estoit assez puissant de son royaume gouverner, avec l'aide des bonnes gens qui estoient de son conseil. Pour ceste chose murmurèrent les barons, et se mistrent en aguait comme il pourroient avoir le roy par devers eux, et tenir en leur garde et en leur seigneurie.

Si comme le roy chevauchoit parmi la contrée d'Orlians, il luy fut annoncié que les barons le faisoient espier pour prendre. Si se hasta moult d'aler à Paris, et chevaucha tant qu'il vint à Montlehery. D'illec ne se voult départir pour la doubtance des barons; si manda à la royne, sa mère, que elle lui envoyast secours et aide prochainement. Quant la royne oï ces nouvelles, si manda tuit les plus puissans hommes de Paris, et leur pria qu'il voulsissent aidier à leur jeune roy: et il respondirent qu'il estoient aprestés du faire, et que ce seroit bon de mander les communes de France, si que il fussent tant de bonnes gens que il peussent le roy jetter hors de péril. La royne envoya tantost ses lettres par tout le pays, et si manda que l'on venist en l'aide à ceux de Paris, pour délivrer son fils de ses ennemis. Et s'assemblèrent de toutes pars à Paris les chevaliers d'entour la contrée et les autres bonnes gens.

Quant il furent tous assemblés, il s'armèrent et issirent de Paris à banières desployées, et se mistrent au chemin droit à Montlehery. Si tost comme il furent acheminés, nouvelles en vindrent aux barons: si se doubtèrent forment de la venue de ces gens, et distrent entr'eux qu'il n'avoient pas tel force de gent qu'il se peussent combatre à eux. Si se départirent et s'en alèrent chascun en sa contrée. Et cil de Paris vindrent au chastel de Montlehery; là trouvèrent le jeune roy, si l'en amenèrent à Paris, tout rengiés et serrés et appareilliés de combatre, s'il en fust mestier.

Les Grandes Chroniques de Saint-Denis, éditées et annotées par M. Paulin Pâris.

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