L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques
LETTRE DU COMTE D'ARTOIS SUR LA PRISE DE DAMIETTE.
1249.
A sa très excellente et très-chère mère Blanche, illustre reine de France par la grâce de Dieu, Robert comte d'Artois, son fils dévoué, salut, piété filiale et volonté toujours soumise à la sienne.
Comme vous prenez beaucoup de part à notre prospérité, à celle des nôtres et aux bons succès du peuple chrétien, lorsque vous les apprenez avec certitude, votre excellence se réjouira sans doute de savoir que le seigneur notre frère et roi, la reine et sa sœur, et nous aussi, jouissons, grâce à Dieu, d'une parfaite santé. Nous désirons vivement que vous en ayez une semblable. Notre cher frère le comte d'Anjou a encore sa fièvre quarte, mais elle est moins forte qu'auparavant. Le seigneur notre frère, les barons et les pèlerins, qui ont passé l'hiver dans l'île de Chypre, montèrent sur leurs vaisseaux le soir de l'Ascension, au port de Limisso, afin de se diriger contre les ennemis de la foi chrétienne. Après beaucoup de travaux et de contrariétés de la part des vents, ils arrivèrent, sous la garde de Dieu, le vendredi d'après la Trinité, et vers midi, sur la côte, où ayant jeté l'ancre, ils se rassemblèrent sur le vaisseau du roi pour délibérer sur ce qu'il y avoit à faire. Comme ils virent devant eux Damiette et le port gardés par une grande multitude de barbares, tant à pied qu'à cheval, et l'embouchure du fleuve couverte d'un grand nombre de vaisseaux armés, il fut résolu que le lendemain chacun débarquerait avec le seigneur roi.
Le lendemain, l'armée chrétienne, abandonnant ses grands vaisseaux, descendit sur ses galères et ses autres petits bâtiments. Pleins de confiance dans la miséricorde de Dieu et dans le secours de la croix que le légat portait auprès du roi, ils se portèrent vers la terre contre les ennemis, qui lançaient sur eux beaucoup de traits. Cependant, comme les petits bâtiments, à cause du trop peu de profondeur de la mer, ne pouvaient atteindre jusqu'au rivage, l'armée chrétienne, laissant ses bâtiments sous la garde de Dieu, se jeta dans les flots et prit terre, couverte de ses armes. Quoique la multitude des Turcs défendit le rivage contre les chrétiens, cependant, grâce à Notre-Seigneur Jésus-Christ, ceux-ci s'en rendirent maîtres sans aucune perte et tuèrent un grand nombre de cavaliers et de piétons, et quelques uns, dit-on, d'un grand nom. Les Sarrasins se retirèrent dans la ville, qui était très-fortifiée par le fleuve, par ses murs et par de fortes tours; mais le Seigneur tout-puissant la livra le lendemain, qui était l'octave de la Trinité, à l'armée chrétienne, les Sarrasins s'étant enfuis après l'avoir abandonnée. Cela s'est fait par la seule faveur de Dieu. Apprenez que ces mêmes Sarrasins ont laissé cette ville remplie de provisions de toutes espèces et de machines de guerre. L'armée chrétienne, après s'en être abondamment pourvue, en a encore laissé la moitié pour l'approvisionnement de la ville. Le roi, notre seigneur, y a séjourné avec son armée, et pendant son séjour a fait retirer des vaisseaux tout ce qui lui était nécessaire. Nous avons cru que nous resterions jusqu'à la retraite des eaux du Nil, qui devaient, disait-on, inonder le pays et qui auraient fait éprouver des pertes à l'armée chrétienne.
La comtesse d'Anjou a accouché dans l'île de Chypre, d'un beau garçon bien constitué, qu'elle y a laissé en nourrice.
Donné au camp de Jamas, l'an du Seigneur 1249, au mois de juin, la veille de la Saint-Jean-Baptiste.
Traduite par Michaud, dans l'Histoire des Croisades, t. 4, p. 552.