← Retour

L'Histoire de France racontée par les Contemporains (Tome 2/4): Extraits des Chroniques, des Mémoires et des Documents originaux, avec des sommaires et des résumés chronologiques

16px
100%

L'INQUISITION ÉTABLIE A TOULOUSE.
1229.

Innocent III fut à peine monté sur la chaire de saint Pierre, que l'archevêque d'Auch l'ayant informé des progrès que les hérétiques faisaient dans la Gascogne et les pays voisins, il exhorta ce prélat, le 1er d'avril de l'an 1198, à agir vivement de concert avec ses suffragants pour les faire chasser du pays, de crainte qu'ils n'achevassent de l'infecter, et à recourir pour cela, s'il était nécessaire, aux armes des princes et des peuples. Il écrivit, le 21 du même mois, une lettre circulaire aux archevêques d'Aix, Narbonne, Auch, Vienne, Arles, Embrun, Tarragone et Lyon, à leurs suffragants, et aux princes, barons, comtes et peuples du pays, pour leur notifier qu'ayant appris que les Vaudois, Cathares, Patarins et autres hérétiques, répandaient leur venin dans ces provinces, il avait nommé frère Raynier, personnage d'une vie exemplaire, puissant en œuvres et en paroles, et frère Guy, homme craignant Dieu et appliqué aux œuvres de charité, pour commissaires contre ces hérétiques. Il les prie de procurer à ces deux religieux tous les secours dont ils auraient besoin, et de les aider de tout leur pouvoir, soit à ramener les sectaires, soit à les chasser s'ils refusaient de se convertir. Il enjoint en même temps à ces prélats de recevoir et d'observer inviolablement tous les statuts que frère Raynier ferait contre les hérétiques, avec promesse de les confirmer lui-même. Il leur ordonne enfin de faire garder les sentences d'excommunication que ce commissaire prononcerait contre les contumaces. «Outre cela, ajoute Innocent, nous ordonnons aux princes, aux comtes et à tous les barons et grands de vos provinces, et nous leur enjoignons, pour la rémission de leurs pêchés, de traiter favorablement ces envoyés et de les assister de toute leur autorité contre les hérétiques; de proscrire ceux que frère Raynier aura excommuniés; de confisquer leurs biens, et d'user envers eux d'une plus grande rigueur s'ils persistent à vouloir demeurer dans le pays après leur excommunication. Nous lui avons donné plein pouvoir de contraindre les seigneurs à agir de la sorte soit par l'excommunication, soit en jetant l'interdit sur leurs terres. Nous enjoignons aussi à tous les peuples de s'armer contre les hérétiques lorsque frère Raynier et frère Guy jugeront à propos de le leur ordonner; et nous accordons à ceux qui prendront part à cette expédition pour la conservation de la foi la même indulgence que gagnent ceux qui visitent l'église de Saint-Pierre de Rome ou celle de Saint-Jacques. Enfin nous avons chargé frère Raynier d'excommunier solennellement tous ceux qui favoriseront les hérétiques dénoncés, qui leur procureront le moindre secours, ou qui habiteront avec eux, et de leur infliger les mêmes peines.»

Frère Raynier et frère Guy étaient deux religieux, de l'ordre de Cîteaux. Ils furent les premiers qui exercèrent dans la province les fonctions de ceux qu'on nomma depuis inquisiteurs. Ainsi c'est proprement à cette commission qu'on doit rapporter l'origine de l'inquisition qui fut établie dans le pays contre les Albigeois, et qui passa dans la suite dans les provinces voisines et dans les pays étrangers...

Le légat Pierre de Colmieu célébra à Toulouse, au mois de novembre 1229, un concile auquel se trouvèrent les archevêques de Narbonne, de Bordeaux et d'Auch et un grand nombre d'évêques et d'autres prélats, le comte de Toulouse, les autres comtes et barons du pays, le sénéchal de Carcassonne, et deux consuls de Toulouse, l'un de la cité et l'autre du bourg. Ces derniers ayant fait serment sur l'âme de toute la communauté d'observer les articles de la paix, le comte Raymond et les seigneurs l'approuvèrent, en prêtèrent un semblable, et tout le pays suivit leur exemple. On fit ensuite quarante-cinq canons, dans le préambule desquels le cardinal de Saint-Ange s'exprime de la manière suivante: «Quoique divers légats du saint-siége aient fait plusieurs statuts contre les hérétiques, leurs fauteurs ou recéleurs, pour conserver la paix dans le diocèse de Toulouse, la province de Narbonne et les diocèses et les pays voisins, et pour le bien du pays; faisant cependant attention que ces provinces, après avoir été longtemps désolées, sont actuellement pacifiées, comme par miracle, par le consentement et la volonté des grands, nous avons jugé à propos d'ordonner, du conseil des archevêques, des évêques, des prélats, des barons et des chevaliers, ce que nous avons jugé nécessaire pour purger du venin de l'hérésie un pays qui est comme néophyte, et pour y conserver la paix.» Ce concile de Toulouse fut donc une assemblée mixte, et les canons qu'on y dressa émanèrent de l'autorité des deux puissances.

Plusieurs de ces canons regardent l'établissement de l'inquisition dans le pays pour la recherche des hérétiques. On y ordonna, en effet, que les évêques députeraient dans chaque paroisse un prêtre et deux ou trois laïques de bonne réputation, lesquels feraient serment de rechercher exactement tous les hérétiques et leurs fauteurs, de visiter pour cela toutes les maisons depuis le grenier jusqu'à la cave, et tous les souterrains où ils pouvaient se cacher, et de les dénoncer ensuite aux ordinaires [186], aux seigneurs des lieux et à leurs officiers pour les punir sévèrement. On ordonne ensuite la confiscation des biens, et on statue d'autres peines contre ceux qui leur permettraient dorénavant d'habiter dans leurs terres. Pour ne pas confondre cependant l'innocent avec le coupable, on défendit de punir personne comme hérétique, à moins qu'il n'eût été jugé tel par l'évêque ou par un ecclésiastique qui en eût le pouvoir. On permet à toute sorte de personnes de faire partout la recherche des hérétiques, et on donne ordre aux baillis des lieux de prêter main forte pour cette recherche; avec autorité au bailli du roi de procéder dans les domaines du comte de Toulouse, et au comte et aux autres, dans les domaines du roi. On statue que les hérétiques revêtus, qui s'étaient convertis, n'habiteraient pas les lieux suspects d'hérésie où ils demeuraient auparavant, mais dans des villes catholiques; que, pour preuve qu'ils détestaient leurs anciennes erreurs, ils porteraient deux croix sur la poitrine, l'une à droite, l'autre à gauche, d'une couleur différente de celle de leurs habits, et qu'ils ne pourraient être admis aux charges publiques, ni être capables des effets civils, sans une dispense particulière du pape ou de son légat a latere. On appelait croisés pour le fait d'hérésie ceux qui étaient ainsi condamnés à porter des croix. Il est ordonné ensuite que les autres hérétiques qui ne se seraient pas convertis de leur propre mouvement, mais par la crainte des peines, seroient renfermés et nourris aux dépens de ceux qui posséderaient leurs biens, avec ordre à l'évêque, s'ils n'avaient rien, de pourvoir à leur subsistance. Il est enjoint aux hommes depuis quatorze ans et au-dessus, et aux femmes depuis l'âge de douze ans, de renoncer par serment à toutes sortes d'erreurs, de promettre de garder la foi catholique, de dénoncer et de poursuivre les hérétiques, et de renouveler ce serment tous les deux ans. On déclara suspects d'hérésie tous ceux qui ne se confesseraient pas et ne communieraient pas trois fois l'an. On défendit aux laïques d'avoir chez eux des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, excepté le Psautier, le Bréviaire ou les Heures pour l'office divin, qu'il n'était pas même permis de garder traduits en langue vulgaire; on fut obligé de faire cette défense, qu'on trouve ici pour la première fois, afin d'empêcher l'abus que les hérétiques faisaient des livres saints.

Les canons suivants prescrivent d'autres mesures pour extirper l'hérésie du pays, y entretenir la paix et pourvoir à la sûreté publique; ils défendent de construire de nouvelles forteresses et de relever celles qui étaient détruites; ils maintiennent les églises et les ecclésiastiques dans leurs immunités et priviléges; font défense de payer la taille aux clercs, excepté à ceux qui étoient marchands ou mariés, et de lever de nouveaux péages. On ordonna de plus de se liguer actuellement par serment contre les ennemis de la foi et de la paix, nommément contre Guillaume seigneur de Pierre-Pertuse, qui occupait le château de Puylaurens dans le pays de Fenouillèdes, et Nairaut d'Aniort, qu'on déclara excommuniés s'ils ne se soumettaient quinze jours après l'expiration de la trêve qui leur avait été accordée. On défendit aux barons, châtelains, chevaliers, citoyens ou bourgeois et paysans, de s'engager par serment dans aucune autre ligue, sous peine d'une amende proportionnée à leur condition. Enfin il est ordonné à tous les juges de rendre la justice gratis, et de publier tous les ans ces statuts dans les provinces aux Quatre-Temps de l'année. Ce sont là les principaux canons de ce concile de Toulouse, durant lequel l'évêque de cette ville défraya la plupart des prélats qui y assistèrent.

C'est donc à ce concile qu'il faut attribuer l'établissement fixe et permanent du tribunal de l'inquisition. On en commença aussitôt les procédures, et le cardinal-légat fit examiner durant l'assemblée tous ceux qui étaient les plus suspects. Pour y mieux réussir, il fit réhabiliter par le concile Guillaume de Solier, hérétique revêtu, qui s'était converti volontairement, afin de se servir de son témoignage contre ses complices. Cette recherche, ou inquisition, fut établie en telle sorte que les évêques entendirent chacun séparément un certain nombre de témoins, que Foulques, évêque de Toulouse, leur administra; et après avoir reçu leurs dépositions, ils en remirent les actes entre les mains de ce prélat, pour les conserver et y avoir recours en cas de besoin; ils expédièrent ainsi cette affaire beaucoup plus vite. On entendit d'abord ceux qui étaient réputés catholiques, et ensuite ceux dont la foi était plus suspecte; mais ces derniers convinrent ensemble de ne rien révéler qui pût leur causer du préjudice; aussi cette procédure fut-elle entièrement inutile. Quelques-uns, plus prudents, prévoyant qu'ils seraient dénoncés, prévinrent les informations, s'avouèrent coupables, et demandèrent pardon au légat, qui leur fit grâce. Il la refusa aux autres, et les ayant forcés à comparaître, ils furent traités durement. Enfin, quelques autres eurent recours aux voies de droit, et demandèrent qu'on leur déclarât les noms de ceux qui avaient déposé contre eux, afin d'examiner s'ils n'avoient pas quelque sujet de récusation et s'ils n'étaient pas de leurs ennemis. Ils suivirent le légat jusqu'à Montpellier pour l'engager à leur accorder cette demande; mais ce prélat, craignant que les accusés n'entreprissent sur la vie de leurs délateurs, éluda leurs instances et leur fit voir seulement en général la liste de tous les témoins; or, comme ils ignoraient ceux qui les avaient chargés, ils n'osèrent en récuser aucun en particulier, se désistèrent de leurs poursuites et se soumirent enfin à ses ordres.

1232. Le pape Grégoire IX informé que plusieurs hérétiques de la province, après avoir abjuré leurs erreurs, les avoient reprises, écrivit au roi et le pria d'avertir Raymond, comte de Toulouse, de n'avoir aucun commerce avec eux; et sous prétexte que les évêques étaient détournés par diverses occupations, il commit, au mois d'avril de l'an 1233, aux frères Prêcheurs [187] l'exercice de l'inquisition contre les hérétiques, dans le Toulousain et le reste du royaume, et spécialement dans les provinces de Bourges, Bordeaux, Narbonne, Auch, Vienne, Arles, Aix et Embrun, avec pouvoir de procéder par sentence contre les accusés. Il recommanda les frères Prêcheurs à tous les prélats du royaume, aux comtes de Toulouse et de Foix et à tous les autres comtes, vicomtes, barons et sénéchaux de France, et à tous les barons d'Aquitaine, les priant de favoriser ces religieux dans l'exécution de leur commission. En conséquence, l'évêque de Tournay, légat du saint-siége, établit à Toulouse deux religieux de l'ordre de Saint-Dominique, savoir: frère Pierre Cellani et frère Guillaume Arnaldi, qui furent les premiers inquisiteurs de leur ordre dans cette ville. Il en établit de même dans chacune des principales villes où ils avaient des couvents, comme à Montpellier, Carcassonne, Cahors, Alby, etc. Depuis ce temps-là, ces religieux érigèrent en France, mais surtout à Toulouse et à Carcassonne, un tribunal, qui a duré pendant plusieurs siècles, et auquel ils firent citer non-seulement tous ceux qui leur furent dénoncés comme hérétiques ou suspects d'hérésie, mais encore tous ceux qui étoient accusés de sortilége, de magie, de maléfice, de judaïsme, etc. Ils suivirent une procédure qui leur étoit propre dans les divers jugements qu'ils rendirent; et ou ils livrèrent les accusés au bras séculier pour être brûlés vifs, ou ils les condamnèrent à être renfermés pour toujours dans des prisons particulières, ou, enfin, ils se contentèrent de leur imposer des pénitences laborieuses, suivant qu'ils étoient plus ou moins coupables. L'usage de renfermer dans une prison perpétuelle ceux qui étoient convaincus d'hérésie ou les relaps fut alors établi dans le pays. Entre les hérétiques qui furent pris à Toulouse, on se saisit de leur principal chef, nommé Vigorosus de Baconia, qui fut brûlé vif.

Dom Vaissette, Histoire générale de Languedoc, t. 3, p. 395.

Chargement de la publicité...