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Histoire des légumes

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CHOU DE BRUXELLES

(Brassica oleracea gemmifera Hort.)

Dans l’histoire du Chou de Bruxelles, tout est mystérieux. D’abord son origine est mal définie. Est-ce un « sport » sélectionné d’un Chou de Milan ou d’un Chou pommé quelconque ? Ne serait-il pas un métis d’un Chou vert ? Par ses caractères généraux, le Chou de Bruxelles se rapproche beaucoup de la forme Milan. D’autre part, comme chez les Choux verts, sa rosette terminale ne pomme pas et sa tige ne présente pas l’atrophie qui existe toujours chez les Choux pommés. Dans les variétés primitives de Chou de Bruxelles, la tige était même très élevée ; l’obtention des races naines est relativement récente (Chou de Bruxelles nain, Vilmorin, 1866).

Pour P. Joigneaux, sans aucun doute, le Chou de Bruxelles est issu d’un Chou de Milan : « Le Spruyt de Bruxelles, dit-il, dans le Livre de la Ferme, est bien certainement une variété de ce que nous appelons en France le petit Chou Milan. Pour s’en convaincre il suffit de semer de la graine prise au-dessus de la tige du Chou à jets ; les plantes qui en proviennent donnent peu de rosettes et se couronnent d’une tête de Chou de Milan qui accuse parfaitement l’origine. »

L’opinion de P. Joigneaux est généralement admise. Les praticiens disent avoir vu maintes fois dans les cultures de Choux de Bruxelles des sujets « dégénérés » retournant par atavisme au type primitif supposé, c’est-à-dire à la forme Milan.

Les observations de M. Carrière donnent lieu à des conclusions différentes. Pour l’ancien Directeur de la Revue horticole « ce qui est à peu près hors de doute, c’est que le Chou de Bruxelles n’est autre qu’une variété de Chou pommé quelconque. Nous disons quelconque, parce que là où on cultive le Chou de Bruxelles sur des étendues considérables, par exemple aux environs de Paris, à Bagnolet, Montreuil, Villemomble, Nogent, Fontenay et surtout Rosny-sous-Bois, l’on voit chaque année, dans les semis provenant de graines pourtant bien épurées, sortir des individus qui diffèrent plus ou moins de la mère, parfois même du tout au tout, lesquels non plus n’ont entre eux rien de commun. On y voit des Choux blancs, des Cœur de Bœuf, des frisés et même des Choux de Milan ».

Ailleurs, Carrière est encore plus explicite : « Il y a toujours dans les plantations de Choux de Bruxelles des individus plus ou moins dégénérés qui, parfois même, changent complètement de nature et, par une sorte d’atavisme, semblent indiquer leur origine. En effet, il se rencontre presque toujours, dans les plantations, des formes intermédiaires qui semblent se rattacher à diverses races, surtout aux Choux cabus blancs ou à grosses côtes. La forme Milan est une rare exception et encore, lorsqu’elle se montre, n’est-elle jamais franche[61]. »

[61] Revue horticole, 1880, p. 595 ; 1885, p. 324.

Sommes-nous mieux renseignés sur un autre problème des plus intéressants : d’où vient le Chou de Bruxelles ?

Son nom semble indiquer une origine brabançonne et, d’ailleurs, certains écrivains belges revendiquent le Spruyt de Bruxelles comme une propriété nationale. D’après ces auteurs, ce Chou, produit du sol, serait cultivé dans le Brabant depuis un temps immémorial. Ed. Morren dit qu’il a été importé en Belgique par les légions romaines de Jules César[62]. Mais, pour appuyer sa thèse, l’éminent journaliste belge n’a pu trouver aucun document dans les annales de l’Horticulture de son pays. Il s’est inspiré d’un article intitulé Jules César et les Choux de Bruxelles, publié dans l’Indépendance belge du 1er mai 1845, lequel article a tout simplement, au point de vue historique, la valeur d’un pur roman.

[62] Annales de Gand, 1848, p. 37.

Le Chou de Bruxelles paraît néanmoins une variété « endémique ». Un mémoire de Jean-Baptiste Van Mons, professeur de chimie et d’économie rurale à l’Université de Louvain et présenté à la Société royale d’Horticulture de Londres le 7 juillet 1818, dit ceci :

« Nous n’avons aucune information sur l’origine de ce légume, mais il se trouve depuis très longtemps dans nos jardins car il est mentionné dans les règlements de nos marchés en 1213, sous le nom de Spruyten, qu’il porte encore aujourd’hui »[63].

[63] Horticultural Transactions, t. III (1re série), p. 197.

Deux pièces de comptabilité des archives du département du Nord donnent encore une indication sur ce problème horticole.

Les archives de Lille conservent un grand nombre de registres de dépenses, remontant aux XVe et XVIe siècles, des différents princes de la Maison de Bourgogne. Dans un « état journalier » de la dépense du duc de Bourgogne, Charles Le Téméraire, en date du 10 février 1472, au château de Male, nous trouvons ce détail intéressant : « Pour les noces de Messire Bauduin de Lannoy et de Michielle Denne, l’une des Demoiselles de ma ditte Dame : un cent de sprocq ». Dans un autre « état journalier » de la dépense de l’hôtel de l’archiduc Maximilien, duc de Bourgogne et comte de Flandre, à Bruges, nous voyons encore à la date du 4 mars 1481 : « dépenses pour les noces d’Alcande de Brébérode qui fut épousée à l’Hôtel : un demi-cent de sprot »[64].

[64] Archives Nord, série B. 3436, 3444.

Que peut signifier le mot sprocq ou sprot s’il n’indique pas les petites pommes du Chou de Bruxelles ? D’après le dictionnaire rouchi-français de Hécart, sprot ou sprout sont les mots flamands du Nord de la France pour Chou de Bruxelles. En Belgique, ce Chou, en quelque sorte national, s’appelle spruyt, et sprout en anglais. Dans les langues germaniques ce mot a le sens de jeune bourgeon ou rejet.

Les documents cités plus haut peuvent faire admettre que la culture du Chou de Bruxelles est très ancienne dans les pays flamands et que probablement cette race de Chou est un produit du sol de la Belgique.

Il est toutefois difficile d’expliquer le silence de tous les anciens livres de jardinage sur un légume aussi précieux pour l’art culinaire. Il est encore étrange qu’une race si particulière n’ait pas attiré l’attention des anciens botanistes. Fuchs, Dodoens, Clusius, Bauhin, Dalechamps, ont décrit ou figuré tous les Choux connus. Aucun d’eux n’a parlé du Chou de Bruxelles.

Seul, Dalechamps figure un Chou à plusieurs têtes, sous le nom de Brassica capitata polycephalos, qu’il note comme une espèce rare et sans usage[65]. Nous avons reproduit le bois gravé de ce Chou curieux qui paraît avoir été cultivé pendant longtemps dans les jardins botaniques. Bauhin connaissait le Chou à plusieurs têtes[66]. On le voit aussi figurer dans l’ouvrage de Morison[67].

[65] Historia plantarum (1587), t. I, p. 521.

[66] Pinax (1623), III.

[67] Plantarum Historia (1715), part. 11. liv. III, tab. I, fol. 3.

Cette production de bourgeons caulinaires qui forment ensuite des pommes de diverses grosseurs est due à la variabilité de l’espèce. Dans notre Chou de Bruxelles, qui doit être sorti d’un sport analogue, les rosettes sont d’égale grosseur, étagées le long de la tige et non groupées au sommet comme dans le Chou de Dalechamps.

BRASSICA CAPITATA POLYCEPHALOS (XVIe siècle) d’après l’Histoire des plantes de Dalechamps.

Dans tous les cas, la fin du XVIIIe siècle est l’époque la plus ancienne où l’on constate avec certitude l’existence du Chou de Bruxelles qui portait alors le nom de Chou frangé ou frisé d’Allemagne.

A partir de 1820 seulement, on le trouve appelé généralement Chou de Bruxelles, appellation qui dénote une grande extension de la culture de ce Chou dans le Brabant vers le commencement du siècle dernier.

En 1845, les cultivateurs français étaient encore tributaires, pour la semence de Chou de Bruxelles, de M. Rampelberg, grainetier du roi Léopold, au Grand-Marché de Bruxelles. Aujourd’hui on récolte partout d’excellentes graines de Chou de Bruxelles, moyennant certains soins donnés aux porte-graines.

Le Traité des Jardins, par Le Berryais, paraît être le premier ouvrage horticole qui ait mentionné le Chou de Bruxelles sous le nom primitif de Chou frisé d’Allemagne[68]. Le Dictionnaire des Jardiniers françois de Fillassier, édition de 1789, décrit aussi cette race nouvelle, qu’il appelle encore Chou des Samnites. En 1804, nous trouvons pour la première fois le synonyme Chou à jets du Brabant, dans une note de la dernière édition du Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serres (éd. 1804, t. II, p. 455). A partir de 1805, le Bon Jardinier consacre chaque année quelques lignes au « Chou frangé ou frisé d’Allemagne ou à rejets du Brabant ». Le nouveau Chou figure aussi dans le Calendrier du Jardinier, de Bastien (1807). Ceci indique qu’il était déjà populaire. Cependant d’importants ouvrages de l’époque tels que l’Encyclopédie méthodique de Lamarck, le Botaniste cultivateur, de Dumont-Courset, etc., qui ont traité le chapitre des Choux d’une manière étendue, ne le connaissent pas encore.

[68] Traité des jardins ou Le Nouveau de la Quintinie (1785), t. II, p. 139.

Dans une causerie faite en 1863 à la Société impériale d’Horticulture, le grainier Bossin et un autre membre de la Société, rappelant leurs souvenirs de jeunesse, fixaient les débuts de la culture bourgeoise du Chou de Bruxelles, aux environs de Paris, entre 1808 et 1815[69]. En 1828, le maraîcher-primeuriste Découflé cultivait le Chou de Bruxelles dans ses jardins de la rue de la Santé comme légume de luxe qu’il vendait à la Halle au prix de 1 franc 20 la livre.

[69] Jal Soc. imp. d’Hortic., 1863, p. 321.

Nous n’avons pas trouvé le nom de Chou de Bruxelles, avant 1818. L’édition de 1818 du Bon Jardinier et celles postérieures abandonnent les anciens synonymes et emploient désormais les noms : Chou de Bruxelles, Chou à jets, Chou rosette.

De Candolle père écrivait en 1822 : « Le Chou à jets est remarquable ; ce Chou se cultive en abondance dans la Belgique et est fort recherché pour sa délicatesse : il est connu sous les noms de Chou à jets, à rejets, Chou de Bruxelles, Chou à mille têtes, etc. Il serait possible que le Brassica capitata polycephalos de Dalechamps se rapportât à cette variété »[70].

[70] Mémoire sur les différentes espèces et variétés de Choux, p. 18.

En France, la culture maraîchère du Chou de Bruxelles n’est pas ancienne. MM. Gardebled et Godinot, de Rosny-sous-Bois, auraient commencé à cultiver ce Chou vers 1838 en petite quantité, car la vente était très limitée ; seuls quelques marchands à la Halle et au marché Saint-Honoré leur achetaient. Ce n’est guère que vers 1842 ou 1843 que la culture du Chou de Bruxelles a pris une grande extension à Rosny-sous-Bois, puis à Fontenay, Nogent, etc.[71].

[71] Revue horticole, 1880, p. 295 ; 1885, p. 323.

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