Histoire des légumes
ESTRAGON
(Artemisia Dracunculus L.)
Armoise aromatique à odeur pénétrante qui se trouve dans les plus modestes potagers. Une « pointe » d’Estragon ajoutée à la salade la rend exquise et de plus facile digestion en raison des propriétés stimulantes de la plante. On s’en sert encore comme condiment pour les ragoûts et pour aromatiser le vinaigre.
C’est une plante herbacée, vivace, spontanée dans la Russie méridionale, la Sibérie, la Tartarie. Les Anciens ne l’ont pas connue, quoique Dalechamps veuille l’identifier a une herbe nommée Chrysocome par Dioscoride.
L’Estragon a été introduit au moyen âge et n’est devenu vulgaire qu’au XVIe siècle. Les Orientaux nous ont transmis la plante et son nom dans lequel on retrouve sans peine, malgré la déformation qu’il devait subir en passant par les langues européennes, le vocable arabe Tarkhoun, qui devint d’abord Tarchon, Targon ; puis, afin que ce mot barbare eût au moins le sens d’un nom connu, il fut converti en Dragon. Le nom linnéen Artemisia Dracunculus a conservé le souvenir de cette transformation d’origine populaire. Les Allemands ont Dracon, en Italie Draconcello. Les Anglais ont gardé une forme très ancienne avec leur Tarragon.
De là vient que Sprengel et plusieurs commentateurs ont cru reconnaître l’Estragon dans le Dragantea du capitulaire de Villis de Charlemagne ; mais, d’après les herbollaires du moyen âge, il est certain que l’Herba Dragontea, Dracontia ou Colubrina, est une Aroïdée qu’on appelle aujourd’hui la Serpentaire (Dracunculus polyphyllus L.). D’après un manuscrit du XIIIe siècle : « Serpentaire, dragontée, colebrine, tot est un »[536].
[536] Bibl. Sainte Geneviève, Ms. no 3113. fo 70. verso.
La compilation arabe d’Ibn-el-Beïthar (XIIIe siècle) cite tous les écrivains musulmans, y compris les médecins Rhazès et Avicenne, qui ont parlé de l’Estragon sous le nom de Tarkhoun bien avant que la plante fut connue en Europe. L’Estragon porte encore ce même nom — Tarkhoun — en Orient. D’après Ibn-el-Beïthar : « C’est un légume bien connu en Syrie, mais que l’on trouve rarement en Egypte ». « C’est un légume de table, dit Ali-Ibn-Mohammed, et on y sert ses pousses encore tendres avec la menthe et autres herbes pour exciter l’appétit et parfumer l’haleine »[537].
[537] Traité des Simples, no 1459.
La première mention en Europe est dans Siméon Sethi, médecin qui vivait au milieu du XIIe siècle. Il l’appelle Tarchon[538]. En Italie, Pietro de Crescenzi, au XIIIe siècle, ne fait pas mention de l’Estragon, mais Agostino Gallo (XVIe siècle) en parle comme d’une herbe condimentaire pour la salade et enseigne la manière de la cultiver[539].
[538] Syntagma de Cib. facult. Basilæ. 1538.
[539] Targioni, Cenni storici, 2e éd. p. 70.
En Angleterre, Gerarde connaissait la plante en 1597[540].
[540] Herball, 193.
Toutefois, à l’époque de la Renaissance, l’Estragon ne paraît pas universellement répandu. D’après Dodoens : « l’herbe dragon n’a esté descrite de personne que de Ruellius (1536) et n’est encore cognue sinon dans aucunes villes de ce païs, comme Anvers, Bruxelles, Malines et là où ceste herbe a esté premièrement apportée de France »[541].
[541] Hist. des plantes, trad. De l’Escluse (1557), p. 433.
Le mot actuel « Estragon » doit être issu, par prosthèse, de la langue vulgaire. La Maison rustique de Jean Liébault (XVIe siècle) dit ceci : « Targon, que les jardiniers appellent estragon ».