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Histoire des légumes

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ECHALOTE

(Allium Ascalonicum L.)

Pour la cuisine du Nord de l’Europe, c’est un précieux assaisonnement ; car cette Alliacée n’est que peu ou pas cultivée dans les régions méridionales, comme l’Egypte, la Grèce, la Syrie, où l’on place pourtant, mais à tort, son habitat naturel.

Ici, ouvrons une petite parenthèse. — On prétend, et tous, les ouvrages populaires l’enseignent, que l’Echalote vient d’Ascalon, ville ancienne de Palestine qui serait son pays d’origine — .

Cette opinion repose sur une bévue de Pline. Reproduisant, dans son Histoire naturelle, une phrase de Théophraste qui parle d’une plante nommée Askalônion, il a ajouté ce malheureux commentaire : « ainsi appelée d’Ascalon, ville de Judée ». Que pouvait être au juste l’Askalônion ? Il serait difficile de le dire. Selon Ed. Fournier, l’Echalote ne présente pas les caractères de la plante décrite par Théophraste ; cette dernière, qui est le Cepina de Columelle, ne donnait pas de caïeux ; elle ne peut être, par conséquent, l’Allium Ascalonicum[240].

[240] Daremberg, Dict. des Antiquités, article Cibaria.

Autre argument. Pas plus en Palestine qu’ailleurs, l’Echalote n’a été trouvée à l’état sauvage. Alph. de Candolle n’a relevé dans les flores et les herbiers aucune trace de sa spontanéité. Aussi ce botaniste pense-t-il qu’elle n’est pas une espèce, mais une variété de l’Oignon commun, modification amenée par la culture et survenue à peu près au commencement de l’ère chrétienne[241].

[241] Orig. des pl. cultivées, 4e éd. p. 56.

A cette date, les Anciens s’en servaient dans la cuisine presque autant que nous. Cela n’empêche pas tous les dictionnaires de noter l’Echalote comme rapportée d’Ascalon en Europe par les Croisés, tradition fantaisiste vraisemblablement née de sa prétendue origine syrienne. Au temps des Croisades, on parlait beaucoup d’Ascalon. Cette petite ville sur la Méditerranée a été témoin d’une grande victoire remportée par les chrétiens sur les musulmans lors de la première Croisade. Elle fut prise, reprise, finalement détruite. Tout cela était suffisant pour créer une légende !

Grâce à Pline, Askalônion s’est conservé dans toutes les langues européennes pour désigner une Alliacée non botaniquement distincte de l’Oignon, mais très différente de ce légume au double point de vue culinaire et horticole et qui s’appelle en France Echalote, en Angleterre Shalot, en Italie Scalogno, en Espagne Chalote, etc.

Charlemagne possédait l’Echalote dans ses jardins. Son capitulaire de Villis nomme Ascalonica l’Echalote placée à côté de la Ciboule (Cepa) et de l’Ail (Alia) — l’Oignon étant désigné dans une autre partie de ce document sous son nom latin trivial Unio.

Au XIIe siècle, le Dictionnaire de Jean de Garlande donne, croyons-nous, la première forme française du mot Echalote : « Inula gallice dicitur Eschaloigne ». D’après les Cris de Paris de Guillaume de la Villeneuve, c’était exactement, au XIIIe siècle, la clameur que lançaient dans les rues les petits marchands ambulants : Bonnes eschaloingnes d’Etampes !

Au moyen âge, Etampes et ses environs cultivaient en grand l’Echalote et l’Oignon pour la consommation parisienne.

Inula (mis pour Ascalonica), qui a toujours été appliqué à la grande Aunée (Inula Helenium), est difficilement explicable et pourtant nous retrouvons ce nom sous la forme hinnulis, par graphie vicieuse sans doute, dans un autre document du XIIe siècle, le De naturis rerum, de l’anglais Neckam[242]. Godefroy cite ce mot hinnula, d’après le Glossaire de Glascow : « hec hinnula, escalone » et enregistre en même temps jusqu’à 12 variantes du mot eschaloigne, d’où sort notre terme actuel Echalote.

[242] Rerum britannicarum Medii Ævi scriptores, t. V. c. 166.

La culture de cette Alliacée, comme celle de l’Ail et de l’Oignon, était très étendue en Normandie au moyen âge. M. Léopold Delisle cite deux actes féodaux qui mentionnent l’Echalote : Tarif de la prévôté de Caen au XIIe siècle : « De summa ceparum, vel aliorum, vel caloniorum iiij denarios. » — Accord fait sur les dîmes entre le curé de Chars (Vexin) et les moines de l’abbaye de Saint Denis, en 1261 : « Decime ortorum, linorum, cannaborum, alliorum, scalonniarum[243] ».

[243] Loc. cit., p. 495.

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