Histoire des légumes
TOMATE
(Lycopersicum esculentum Miller)
Après avoir été longtemps cultivée pour la seule curiosité ou l’agrément, la Tomate est devenue presque de nos jours une plante potagère. On en fait une consommation surprenante en Angleterre, plus encore aux Etats-Unis. En France, depuis 40 ans surtout, le fruit de cette Solanée annuelle est entré largement dans l’alimentation qui l’utilise pour les sauces et les assaisonnements. On la mange aussi farcie.
La Tomate était inconnue avant la découverte de l’Amérique. On ne la trouve pas cependant à l’état sauvage sur le Nouveau Continent, au moins sous la forme que nous lui connaissons ; mais le genre de Solanées auquel Tournefort a attribué le nom de Lycopersicum est exclusivement américain. L’on rencontre seulement à l’état spontané sur le littoral du Pérou, dans le Pérou oriental, aux Antilles, au Sud du Texas, etc., la forme à très petits fruits sphériques connue sous le nom de Tomate Cerise (L. cerasiforme) qui paraît être le type normal de la plante. Les sortes à fruits gros ou côtelés ne se voient qu’à l’état cultivé.
Selon la remarque de Candolle, la plante n’a point de nom dans les langues anciennes de l’Asie, ni même dans les langues modernes indiennes. Elle n’était pas encore cultivée au Japon au temps de Thunberg, c’est-à-dire il y a un siècle, et le silence des anciens auteurs sur la Chine montre qu’elle y est moderne[521].
[521] Origine des pl. cultivées, 4e éd. p. 231.
Il est vrai que le genre dont la Tomate est le type porte le nom d’une plante citée par les auteurs de l’antiquité classique : Lycopersicum, de lycos, loup et persicum, pêche — Pêche de loup — en raison de ses propriétés toxiques. Ce pouvait être la Mandragore ou autre Solanée vénéneuse, dont le nom n’a été transféré à une plante américaine que par suite d’une de ces fausses identifications, si habituelles aux botanistes de la Renaissance.
L’origine américaine de la Tomate est donc incontestable. Le centre de l’habitation de l’espèce doit être le Pérou où la culture paraît ancienne. Au commencement du XIXe siècle, le naturaliste de Martius dit avoir vu la Tomate sauvage aux alentours de Rio-de-Janeiro et de Para. Humboldt l’aurait trouvée sauvage au Venezuela où elle était peut-être aussi seulement naturalisée. Unger l’a vue subspontanée aux îles Galapagos, Wilks aux îles Fidji et à l’île de l’Ascension, Grant au centre de l’Afrique. Dans les pays tropicaux, la plante échappée des jardins se propage aisément et finit par retourner à son état primitif. C’est ainsi probablement, dit de Candolle, que l’habitation s’est étendue du Pérou au Brésil et au nord jusqu’au Mexique[522].
[522] Loc. cit., p. 232.
La plante fut apportée de bonne heure en Europe, bien avant la Pomme de terre, le Topinambour, le Maïs et le Tabac. Elle venait du Pérou, d’après le nom adopté par les premiers botanistes descripteurs : Mala peruviana, Pomme du Pérou ; en espagnol Pomi del Peru.
Pomme d’amour est aussi un nom contemporain de l’introduction de cette plante exotique, la Tomate ayant été considérée, à l’origine, comme une sorte de Melongène qui portait ce nom. Love-apple, Liebesapfel ou Pomme d’amour sont encore les noms usuels de la Tomate en Angleterre et en Allemagne. Pomme d’or, qui était également un des synonymes de la Tomate, fait supposer que telle était la couleur du fruit des premières plantes importées (variétés à fruits jaunes).
En France, le nom de Tomate a généralement prévalu sur ces synonymes poétiques. Ce mot appartient sous la forme Tomatl à la langue nahuatl parlée par les anciens Mexicains. Il serait composé d’un radical toma, de signification obscure — peut-être veut-il dire fruit — combiné avec le suffixe tl employé dans le langage des Aztèques pour former les substantifs. Nous avons reçu le mot des Espagnols qui l’écrivaient Tomata ou Tomate.
Les anciens Mexicains faisaient grand cas de la Tomate[523]. C’était, avec le Maïs, le Haricot et le Piment annuel, une de leurs principales cultures. Hernandez, dans son Histoire de la Nouvelle Espagne, a un chapitre de Tomatl, seu planta acinosa vel solano et il a décrit plusieurs sortes sous leurs noms mexicains (éd. 1651, p. 295). C’est Guillandinus, de Padoue, qui a introduit pour la première fois le nom de Tomate dans la nomenclature scientifique. Dans son traité De Papyro (1572), il décrit cette plante comme une espèce de Pomme d’amour, sous le nom de Tomatle Americanorum. Auparavant, Matthiole (1554), qui l’appelle Pomo d’oro, l’avait représentée comme une sorte de Mala insana, c’est-à-dire d’Aubergine. Il dit qu’elle était apparue récemment en Italie.
[523] Bancroft, Native races, t. I, p. 653 ; t. II, p. 356.
La Tomate fut employée culinairement dès son introduction par les Espagnols et les Portugais. Son usage est relativement ancien en Italie et en Provence, car les fruits aqueux et pulpeux ont toujours été très goûtés des méridionaux. Dans le Nord, au contraire, tenue en suspicion à cause de sa parenté avec les Solanées dangereuses, elle a été plante d’ornement jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les appréciations des anciens botanistes sont en effet peu favorables à la Tomate. Dalechamps, qui la prenait sans doute pour un Piment doux, a donné une figure de la plante et de son fruit au chapitre Poivre d’Inde de son ouvrage. Il connaissait deux variétés de Pommes d’amour : une à fruit rouge avec de profondes cannelures ; une à fruit jaune sans côtelage. « Ces Pommes, dit-il, comme aussi toute la plante refroidissent, toutefois un peu moins que la Mandragore ; parquoy il est dangereux d’en user. Toutefois aucuns en mangent les Pommes cuites, avec huile, sel et poivre. Elles donnent peu de nourriture au corps, laquelle est mauvaise et corrompue. Aucuns tiennent que c’est le Lycopersion (sic) de Galien »[524]. D’après Dodoens, botaniste belge : « Cette herbe est une plante étrangère et ne se trouve point en ce païs sinon ès jardins de quelques herboristes. Les feuilles sont semblables à celles de la Mandragore, par conséquent il est dangereux d’en user[525] ».
[524] Hist. des plantes, éd. 1653, t. I, p. 533.
[525] Hist. des pl. trad. par Clusius, p. 298.
Les anciens auteurs ont noté plusieurs variétés différenciées par le coloris rouge, jaune, orange et blanc, mais jusqu’au milieu du XIXe siècle, c’est la Tomate grosse rouge, très côtelée, type commercial bien connu des maraîchers, qui a été la plus cultivée.
Comme nous l’avons dit plus haut, la culture maraîchère et potagère de la Tomate est moderne. Le plus ancien catalogue de la maison Andrieux-Vilmorin, que nous connaissions, date de 1760. La Pomme d’amour est encore classée, dans ce catalogue, parmi les plantes ornementales annuelles. Dans un autre catalogue d’Andrieux, daté de 1778, la Tomate figure, cette fois, parmi les plantes potagères. Le Bon Jardinier de 1785 l’admet aussi parmi les légumes : « On fait des sauces avec le fruit qui en provient ». La culture devait être bien peu répandue car Rozier, dans son Cours d’Agriculture (1789), dit ceci : « Cette plante n’est pas connue par les jardiniers dans les provinces du nord, et, s’ils la cultivent, c’est plus par curiosité que par intérêt ; mais en Italie, en Espagne, en Provence, en Languedoc, ce fruit est très recherché ».
En 1805, le grainier Tollard constate les progrès de la culture de cette Solanée : « Thomate (sic) ; ce fruit pulpeux qu’on appelle aussi Pomme d’Amour s’est beaucoup multiplié depuis quelques années. » Il s’agissait simplement de la culture bourgeoise, car les maraîchers parisiens n’ont commencé à élever la Tomate pour le marché que vers 1830.
L’usage de la Tomate se généralisa d’abord chez les nations de l’Europe méridionale et les races anglo-saxonnes furent les dernières à la recevoir dans leurs potagers. D’après Sturtevant, Châteauvieux (1812) mentionne leur culture en Italie sur une large échelle pour les marchés de Naples et de Rome. L’usage de la Tomate n’est devenu général aux Etats-Unis que vers 1835 ou 1840. Or il y a aujourd’hui plus de 60 variétés nommées dans les catalogues des grainiers américains[526].
[526] The American Naturalist, t. XXV.
L’amélioration de cette plante potagère et la création de types nouveaux par l’hybridation ne remonte qu’au dernier quart du XIXe siècle, à la suite de l’énorme extension des cultures de Tomates dans tous les pays du monde. La plus grande partie des races améliorées vient de l’Amérique ou de l’Angleterre.
Vers 1850, la Tomate grosse rouge maraîchère était à peu près la seule cultivée. La Tomate Trophy, obtenue vers 1850, est un des premiers résultats des hybridations américaines. Frogmore selected est une amélioration due à M. Thomas, jardinier de la reine Victoria ; puis vinrent Earliest of all, Golden Queen, variété jaune. Perfection a été obtenue par Livingstone à Columbus, Ohio (U. S. A.) vers 1883. La Tomate Chemin est une amélioration de la Tomate Perfection et un gain de M. Chemin, habile maraîcher à Issy[527]. Elle fut mise au commerce par Vilmorin en 1888. Du grainier James Carter, nous citerons Duke of York (1892), Sunrise (1905). Conférence a paru en 1889 pendant le Congrès tenu à Chiswick. La Tomate Champion a été importée d’Amérique par Vilmorin vers 1889. Mikado est aussi une sorte américaine. De même ponderosa, à fruit énorme, qui peut peser plus de 800 grammes.
[527] Rapport (Jal S. N. H. F. 1888, p. 526.)
Le goût général paraît préférer maintenant les Tomates très grosses, rouge écarlate et non côtelées. Les Tomates de primeur viennent des Iles Canaries, de l’Algérie, de quelques départements méridionaux : Vaucluse, Bouches-du-Rhône, Lot-et-Garonne.