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Histoire des légumes

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POIS

(Pisum sativum L.)

Plusieurs espèces végétales très anciennement cultivées ont une origine incertaine. C’est le cas pour le Pois des jardins, dont le grain alimentaire est consommé depuis la plus haute antiquité et qu’on ne trouve pas à l’état sauvage.

Alph. de Candolle, si bien informé d’ordinaire sur l’origine et la patrie de nos plantes domestiques, ne se prononce pas sur cette Légumineuse. Il se peut que le Pois potager soit une forme dérivée du Pois des champs (Pisum arvense), appelé aussi Pois gris, bisaille, pisaille, cultivé en grande culture surtout comme fourrage. Le Pois des champs existe à l’état spontané en Italie et étend de là son habitat vers la région orientale de l’Europe. Il diffère du Pisum sativum par ses fleurs solitaires sur les pédoncules, toujours rougeâtres au lieu d’être blanches et par ses graines anguleuses par suite de leur compression dans la cosse, au lieu d’être rondes. La plante n’est donc pas très distincte spécifiquement du Pois des jardins, qui a bien les fleurs groupées par deux sur les pédoncules, mais parfois elles sont solitaires. En outre, certaines variétés de Pois potagers, particulièrement dans les classes des Pois sans parchemin (Mange-tout) et des Pois ridés ont, les unes des fleurs violettes, d’un coloris plus foncé sur les ailes et la carène ; d’autres ont les graines anguleuses. Ces variétés forment le passage entre les deux types de Pois ; leurs caractères annoncent une étroite parenté. Peut-être un ancêtre commun a-t-il existé ?

En ce qui concerne le Pois potager, le fait qu’il n’est pas complètement rustique sous nos climats indique qu’il procède d’une forme méridionale.

La culture du Pois potager est préhistorique en Europe. Des Pois à grains sphériques, différents par conséquent de ceux du Pois des champs, datant de l’époque de l’âge de la pierre, ont été découverts dans les souterrains d’Aggetelek en Hongrie[451]. M. Heer aurait trouvé le petit Pois rond dans les restes des cités lacustres de la Suisse, à la station de Moosseedorf qui date de l’âge de la pierre, mais il n’a donné des figures que du Pois de l’île de Saint-Pierre, station qui remonte seulement à l’âge du bronze. Les petits Pois exhumés par M. Perrin des palafittes du lac du Bourget sont aussi de l’époque du bronze (1000 à 2000 avant notre ère). Ceux-ci peuvent avoir été cultivés par les peuples aryens. En Asie-Mineure, les professeurs Virchow et Wittmack ont reconnu le Pisum sativum dans les grains carbonisés de la Cité brûlée d’Hissarlik, qui est peut être la Troie d’Homère[452]. Ces graines préhistoriques appartiennent à des races particulières ; elles se distinguent par leur petitesse de celles actuellement cultivées.

[451] De Candolle, Origine, p. 378.

[452] Schliemann, Ilios, éd. 1885, p. 368.

L’Inde a possédé le petit Pois à une époque ancienne, s’il existe, comme le dit Piddington, un nom sanscrit : Harenso, et plusieurs autres noms dans les langues indiennes actuelles. Chez les Hébreux et en Egypte, on n’a pas trouvé le Pois des jardins d’une façon certaine. Dans la Vulgate, traduction latine de la Bible par saint Jérôme, le Pois se montre pour traduire le mot hébreu qâli répété deux fois dans les Saintes Ecritures. Lorsque le roi David fugitif arriva à Mahanaïm, les habitants lui offrirent du Froment, de l’Orge, puis des Fèves, des Lentilles et des Pois grillés. Les graine grillés sont une nourriture très usitée en Orient, ce que voudrait dire qâli[453]. Comme les Arabes et les Orientaux en général ont toujours cultivé, non le Pois des jardins, mais le Pois chiche, on peut supposer que les grains grillés dont parle la Bible appartenaient à cette dernière espèce.

[453] Vigouroux, Dict. de la Bible, article Pois.

En Egypte, le botaniste Newberry a reconnu parmi les grains mêlés accidentellement à l’Orge d’une tombe de la XIIe dynastie, six grains d’un Pisum qui n’est ni le P. sativum, ni le P. arvense. Il ne reste que le Pisum elatius Bieb., spontané dans le Delta[454]. Ce Pois est une espèce distincte, indigène dans la région méditerranéenne. On le cultive en Algérie.

[454] Loret, Flore pharaonique, 2e éd., p. 93.

Les Grecs possédaient une Légumineuse qu’ils appelaient Pisos ou Pison, que l’on est porté, dit Ed. Fournier, à identifier avec notre Pois actuel, mais il y a longtemps déjà que Link a reconnu combien différait du Pois ce légume qui souffrait du froid dans la région méditerranéenne (Pline XVIII, 31), que l’on ne pouvait semer qu’au printemps dans l’Italie méridionale. C’était probablement aussi le Pisum elatius[455].

[455] Daremberg, Dictionnaire, article Cibaria.

On a introduit le Pois en Chine de l’Asie occidentale. Le Pent-sao, rédigé à la fin du XVIe siècle de notre ère, le nomme Pois mahométan. Ces considérations et quelques données linguistiques amènent de Candolle à dire, à propos de l’origine géographique du Pois des jardins, que « l’espèce paraît avoir existé dans l’Asie occidentale, peut-être du midi du Caucase à la Perse, avant d’être cultivée »[456].

[456] Origine des plantes cultivées, 4e éd., p. 264.

Les agronomes latins Columelle et Palladius connaissaient le Pois des jardins qui devait être tenu en médiocre estime, si l’on en juge par la sécheresse de leurs descriptions. Ces auteurs attachent certainement plus d’importance aux autres Légumineuses alimentaires : Lupin, Pois chiche et Gesse. Au reste, de nos jours encore, le Pois potager est un légume de la région tempérée ou tempérée froide plutôt que du Midi de l’Europe.

Au contraire, la consommation du Pois à l’état sec, dans l’ancienne France, devait être extrêmement importante. Un article des lois saliques, que nous avons déjà citées à propos des Fèves et des Lentilles, protégeait les nombreux champs de Pois de l’époque franque contre les déprédations. Au moyen âge, Pois, Fèves et Lentilles, ressources contre les fréquentes famines, ont été cultivés presque autant que le Blé. Ces légumes secs sont remplacés aujourd’hui, en partie, par la Pomme de terre et le Haricot d’origine américaine.

On voit dans une Vie de Charles le Bon, comte de Flandre (1119-1127), que ce personnage ordonna de semer des Fèves et des Pois en vue d’une famine[457].

[457] Collection de Mémoires (Guisot), t. VIII, p. 245.

Aussi riche en matières nutritives, le Pois sec était plus apprécié que la Fève et la Lentille. Les textes abondent qui montrent son rôle dans l’alimentation ancienne. Tout d’abord il fallait s’attendre à trouver le Pois dans les Cris de Paris :

« J’ay pois en cosse touz noviaus » (nouveaux), dit le poète Guillaume de la Villeneuve au XIIIe siècle. Comme de nos jours, le cri de Pois vert ! retentissait dans les rues, mais on le vendait aussi sous forme de purée chaude (pois pilés). Cette purée composait la « pitance » ordinaire donnée aux pauvres à la porte des couvents. Dans les règlements des hôpitaux, il est spécifié qu’on doit délivrer à chaque pauvre une écuelle de soupe aux Pois, dite Pois-potaige. A l’Hôtel-Dieu de Paris, on comptait 150 jours maigres par an pendant lesquels les légumes secs formaient le fond de la nourriture. Aussi, dans les comptes de dépenses de nos Archives, reviennent fort souvent les mentions de boisseaux, setiers, minots et bichets de Pois et de Fèves lesquels payaient la petite dîme.

Les fabliaux et poésies badines nous apprennent que l’on accommodait ces Légumineuses de différentes manières :

Pois à l’huile et fèves pilées,
Fèves frasées (écorcées) et blancs pois,
Pois chaus, pois tèves (tièdes) et pois frois,
Pois conraés (préparés) et civotés (assaisonnés)[458].

[458] Barbazan, Fabliaux, t. IV, p. 93.

Dans la cuisine ancienne, le Pois au lard était fort goûté. Il semble, d’après la fréquence des citations, que le Pois sec, dit Pois blanc, cuit avec du porc salé, a été, jusqu’au XVIe siècle, un mets de prédilection pour toutes les classes de la société. On le servait comme entrée, témoins les descriptions de repas de maints romans de chevalerie ou poésies : « Au premier mets eurent pois au lard. »

Dalechamps (XVIe siècle) dit au chapitre Pois de son Histoire des plantes : « Mesme les riches les font cuire avec de la chair salée ou lard et s’en font une fort bonne viande (nourriture) qui ose mesme comparoir aux grands banquets. »

Le goût des petits Pois verts semble assez moderne. On le vit naître au XVIIe siècle, quand le jardinage put mettre à la disposition des gourmets les variétés de Pois à écosser perfectionnées en Hollande et lorsque l’invention des primeurs due à l’introduction dans le matériel horticole des châssis et des bâches chauffées, permit de récolter ce légume quelques semaines avant l’apparition des produits de la pleine terre.

Manger des petits Pois de primeur était une mode de bon ton à la cour de Louis XIV. On lit dans une lettre de Mme de Maintenon, datée du 16 mai 1696 : « Le chapitre des Pois dure toujours ; l’impatience d’en manger, le plaisir d’en avoir mangé et la joie d’en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis quatre jours. Il y a des dames qui, après avoir soupé avec le roi, et bien soupé, trouvent des Pois chez elles avant de se coucher, au risque d’une indigestion. C’est une mode, une fureur et l’une suit l’autre. »

Le grand roi donnait l’exemple et son amour immodéré des petits Pois lui valut de nombreuses indispositions que relate d’une façon très réaliste le Journal de la santé du roi Louis XIV, rédigé par son médecin Fagon.

Cet engouement pour les petits Pois de primeur a laissé des traces dans la littérature du temps. Une comédie écrite en 1665 par Villiers, intitulée Les Costeaux ou les friands Marquis, roule entièrement sur la bonne chère. On y voit un certain marquis qui ne veut manger des Pois que dans leur nouveauté, lorsqu’ils coûtent 100 francs le litron[459]. Par contre, un autre estime que les Pois « précipités » sont certainement malsains, étant nés de la pourriture du fumier[460].

[459] Mesure qui contenait 3½ setiers ou ¾ de pinte.

[460] Gibault. Origines de la culture forcée (Journal S. N. H. F. 1898, p. 1109).

Des races de Pois cultivés au moyen âge nous ne connaissons rien. Le capitulaire de Villis note un Pois mauresque (Pisum mauriscum) qu’il n’est pas possible d’identifier. Jean Ruel (De naturâ stirpium, 1536) connaissait un Pois dont on mangeait les gousses jeunes avec les grains (Pois Mange-tout). De son temps les botanistes distinguaient bien les Pois ramés (Pisum majus) et les variétés naines (P. minus). Ces dernières dues à la culture et à la sélection. Comme on le voit, la variation a produit chez cette Légumineuse alimentaire exactement les mêmes phénomènes que nous avons signalés à propos du Haricot.

C’est en Angleterre, à l’époque de la Renaissance, que nous trouvons les premières variétés dénommées. Le Pois a été et est encore un légume favori des peuples anglo-saxons. Vers le moment de la conquête normande, c’était déjà, d’après les vieilles chroniques, une des principales récoltes des campagnes anglaises ; aussi les mentions du Pois dans les archives anglaises sont aussi fréquentes qu’en France[461].

[461] Sherwood, Garden Peas (J. R. H. S.) vol. XXII, 1898-99, p. 289.

Turner, dans un poème sur les travaux des champs[462], a consacré quelques lignes au Pois Rouncival. Ce devait être un Pois français importé en Angleterre au moyen âge. Rouncival ou Ronceval est une traduction anglaise de Roncevaux, village pyrénéen rendu célèbre par la Chanson de Roland. Au XVIIe siècle, les ouvrages horticoles indiquent plusieurs types de Pois anglais : les Hotspurs ; les Sugar Pease dont il y avait trois variétés ; ceux-ci sont des Pois Mange-tout presque inconnus aujourd’hui dans la cuisine anglaise ; un Pois hâtif, le Fulham Pease ou Pois français. Il y avait cinq variétés de Ronceval ou Hastings, probablement sorte de Pois ridé primitif, le plus goûté des Anglais.

[462] A hundred Good Points of Husbandry, 1557.

Il semble, d’après un passage de Fuller, écrivain qui vivait sous le règne d’Elisabeth, que la qualité de ces anciens Pois, peut-être excellente pour purée, laissait à désirer pour la consommation à l’état vert. Il dit qu’on avait l’habitude de demander à la Hollande des Pois regardés par les dames comme une friandise, car « ils venaient de si loin et coûtaient si chers. »

En France, au XVIIe siècle, on avait des Pois à rames, nains, hâtifs, à couronne. Selon le Jardinier françois (1651), « il y a une espèce qui peut se manger en vert et qu’on appelle Pois de Hollande, elle était fort rare il n’y a pas longtemps. » Vers 1600, M. de Buhy, ambassadeur de France en Hollande, avait apporté un Pois sans parchemin (Mange-tout) très estimé. Un Pois à œil noir, caractérisé par une tache noire à l’ombilic, était populaire sur les marchés parisiens.

Au XVIIIe siècle, les Pois favoris étaient le Michaux, variété hâtive du Pois de Hollande, le Baron, le Dominé, ainsi nommés, selon de Combles, du nom des paysans qui les ont obtenus, le carré vert et blanc, le Marly, etc. Le village de Clamart fournissait aux marchés parisiens une variété locale estimée.

Enfin se firent les premiers essais de fécondation artificielle entre sortes différentes. Il en résulta la création d’un type nouveau — le Pois ridé — à grains anguleux, de qualité plus sucrée et moëlleuse que le Pois rond, dû à M. Thomas Knight, d’Elton, président de la Société royale d’Horticulture de Londres, qui commença ses croisements méthodiques en 1787. Il a relaté en 1799 dans les Philosophical Transactions les procédés qu’il employait et les résultats obtenus. Le Pois ridé de Knight a été introduit en France en 1810 par M. de Vilmorin.

En 1842, parut le Pois Prince-Albert, dédié au prince Albert de Saxe-Cobourg, amélioration sous le rapport de la précocité des races hâtives. Mis au commerce par la maison Cormack, de Londres, il fut introduit la même année à Paris par le grainier Bossin.

L’amélioration des Pois potagers a été considérable depuis 60 ans. Elle est due, pour la plus grande part, aux croisements raisonnés des semeurs anglais qui ont cherché à obtenir tantôt la précocité de la race, tantôt, avec la qualité du grain, l’accroissement de taille de la cosse, l’augmentation des grains en nombre et en grosseur. De leurs obtentions si nombreuses, nous ne pouvons citer que les plus remarquables.

Un catalogue du grainier James Carter notait encore en 1842 le Ronceval blanc et autres ; mais, dix ans plus tard, les variétés aux noms moyenageux avaient été retirées du commerce, remplacées par Victoria, de J. Carter (1847), Champion of England, propagé par Fairbeard, le grand maraîcher de Camberwell (1853), British Queen, obtenu par Cormack, célèbre grainier et cultivateur à Lewisham. Le populaire Nec plus ultra aurait été obtenu par Fairbeard en 1840 ; mais ce Pois a une histoire très embrouillée. On le donne aussi comme une obtention d’un nommé Payne, de Northampton. Connu d’abord sous le nom de Payne’s Conqueror, il fut acheté par le grainier Jeyes, devint Jeyes’ Conqueror et ne prit que plus tard vers 1853 son nom définitif[463]. Veitch Perfection date de 1859. Caractacus, variété américaine, a été obtenu par Waite vers 1851.

[463] Gardeners’ Chronicle, 1889, II, p. 417.

De 1860 à 1880, le Dr MacLean, de Colchester, a contribué par ses semis heureux au perfectionnement du Pois ridé. Thomas Laxton, décédé en 1893, est le plus célèbre des semeurs de Pois. Il commença ses expériences vers 1865. On lui doit William the First, Fillbasket, Dr Hogg, William Hurst que nous appelons Serpette vert, Alpha, Gradus ; ce dernier considéré comme sa plus belle conquête. Téléphone, Télégraphe, Stratagème sont des gains de Culverwell, jardinier à Thorpe Perrow. Henry Eckford, jardinier fleuriste, très connu par ses cultures de Pois de senteur, a aussi obtenu quelques beaux Pois culinaires. De Sutton, nous citerons les Pois Emeraude, Bijou, etc.

Les variétés à gros rendement : Téléphone et Fillbasket (plein le panier) sont largement cultivés aux environs de Paris pour l’approvisionnement des marchés. Les centres de production du Pois pour la consommation parisienne sont : Meulan, Vaux, Triel, Ivry, Rueil, Puteaux, Nanterre, Marcoussis, pour les environs de Paris ; puis Hyères (Var), Brive, Agen, Bordeaux. Les petits Pois sont envoyés d’Hyères, à partir du 15 mars ; puis d’autres localités du Var et du Vaucluse. Ensuite viennent ceux de Villeneuve-sur-Lot, d’Agen et de Bordeaux, à la fin du mois d’avril. Brive et Tours font leurs expéditions dans le courant du mois de mai. Les petits Pois des environs de Paris ne sont amenés sur le carreau des Halles que vers la fin du mois de mai.

Le mot Pois vient du latin Pisum, lequel se rattache à une racine sanscrite piç, pis, être divisé, être décomposé. Le sanscrit pêci désigne le Pois séparé de sa gousse. L’irlandais a le mot piosa, morceau, miette[464]. Le mot Pois, avant d’arriver à cette forme moderne, a passé par les formes pis, pes, peis. Peis est resté dans la région normanno-picarde, mais dans le dialecte bourguignon et dans celui de l’Ile-de-France il s’est élargi en Pois ; c’est le français moderne. Le Pisum latin a fourni quelques noms patronymiques. Citons le nom de l’illustre famille romaine des Pisons à laquelle Horace a dédié son Art poétique ; le botaniste hollandais Pison qui, au milieu du XVIIe siècle, a décrit les productions naturelles du Brésil.

[464] Pictet, Origines indo-européennes, t. II, p. 359.

Pisum, Pois et pissaria, de la basse latinité, lieux abondants en Pois, ont contribué à la formation de certains noms de lieux habités comme Pis (Gironde), La Pise (Allier), Pizou (Dordogne), Pizeux (Jura), Pizieux (Sarthe), Pisy (Yonne), etc.

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