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Histoire des légumes

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MACHE

(Valerianella olitoria Mœnch)

Bien qu’on cite la Mâche çà et là dans les jardins à l’époque de la Renaissance, la culture potagère de cette plante ne paraît pas remonter en France au-delà de la seconde moitié du XVIIe siècle.

Autrefois simple salade de paysan, on se contentait de la récolter dans la campagne avec le Pissenlit et autres herbes rustiques.

C’est ainsi que le poète Ronsard s’en allait par les champs, en compagnie de son valet, pour cueillir la Mâche sous le nom de Boursette qu’elle porte encore aujourd’hui en certains lieux :

« Tu t’en iras, Jamyn, d’une autre part
Chercher soigneux la boursette toffue,
La pasquerette à la feuille menue,
La pimprenelle heureuse pour le sang
Et pour la ratte, et pour le mal de flanc ;
Je cueilleray, compagne de la mousse,
La responsette à la racine douce
Et le bouton des nouveaux groiseliers
Qui le printemps annoncent les premiers[198]. »

[198] Œuvres, éd. Blanchemain, t. VI, p. 87.

Si le poète, avec ses goûts champêtres, s’accommodait de cette salade vulgaire, au siècle de Louis XIV il eût été presque impoli d’en servir sur une table bourgeoise. Là-dessus nous devons croire La Quintinie qui s’exprime ainsi : « Mâche, salade sauvage et rustique, aussi la fait-on rarement paroître en bonne compagnie »[199].

[199] Traité des Jardins, éd. 1690, t. II, p. 393.

Pourtant on commençait à l’estimer puisqu’un de ses contemporains, Aristote, jardinier de Puteaux, la semait dans les jardins[200].

[200] Instruction ou Art de cultiver les fleurs, 1674.

Le Jardinier solitaire (1704) ne paraît pas la dédaigner : « Mâche, c’est une légume (sic)[201] pour la salade ». Enfin, au XVIIIe siècle, elle est universellement acceptée comme plante potagère.

[201] Légume était au XVIIe et même au XVIIIe siècle du genre féminin.

C’est une petite Valérianée annuelle indigène, peut-être naturalisée, commune dans les champs cultivés, dans les vignes, aux abords des villages ; elle germe à l’automne pour fleurir et fructifier l’année suivante ; ses rosettes de feuilles radicales comestibles fournissent une bonne salade d’hiver avec son accompagnement habituel de Betterave à chair rouge.

La Mâche est répandue dans toute l’Europe tempérée et méridionale, dans le Nord de l’Afrique, l’Asie-Mineure, et les environs du Caucase. Commune en France, elle affectionne exclusivement les terres remuées, le voisinage des habitations, ce qui fait douter de son indigénat. Serait-elle une de ces plantes adventices comme le Bluet, le Coquelicot, la Nielle des Blés, le Miroir de Vénus, qui ont été introduites chez nous avec les Céréales à l’époque préhistorique ?

Les flores italiennes citent la Mâche en Sardaigne et en Sicile dans les prés et pâturages de montagnes, c’est-à-dire à l’état bien spontané. De Candolle soupçonne qu’elle est originaire de ces îles seulement et que partout ailleurs elle est adventive ou naturalisée. Ce qui lui fait penser, dit-il, c’est qu’on n’a découvert chez les auteurs grecs ou latins aucun nom qui paraisse pouvoir lui être attribué ; il ajoute qu’on ne peut citer d’une manière certaine aucun botaniste qui en ait parlé et qu’il n’en est pas question non plus parmi les légumes usités en France au XVIIe siècle, d’après le Jardinier françois de 1651 et l’ouvrage de Lauremberg Horticultura (Francfort, 1632)[202].

[202] Orig. des pl. cultivées, 4e éd., p. 73.

La vérité est que la culture de la Mâche commençait seulement à cette époque. Quant aux anciens botanistes, tous décrivent la Mâche à l’état sauvage ; quelques-uns l’indiquent dans les jardins sous des noms divers qui ont pu tromper A. de Candolle. Cependant Lobel (Observationes, 1576, p. 412), Camerarius (Hort. med., 1588, p. 175), ont donné des figures sur bois représentant la plante qui est parfaitement reconnaissable.

On trouve dans le Pinax, de Bauhin, la synonymie suivante pour la Mâche :

  • Locusta quibusdam, Gesner.
  • Album Olus, Dodoens.
  • Phu minimum alterum, Lobel.
  • Valeriana campestris, Camerarius.
  • Lactuca agnina, Tabernæmontanus.
  • Bupleuron, Cæsalpinus.

L’auteur anglais Gerarde (1597) dit que cette salade est usitée par les Français et les Hollandais qui habitent l’Angleterre et qu’on la sème dans les jardins[203]. Il figure deux variétés. L’édition de Dodoens (1616) figure aussi une variété améliorée des jardins, à feuilles rondes, sous le nom d’Album Olus[204]. J. Bauhin décrit deux sortes de Mâches et dit, d’après Tabernæmontanus, qu’on la trouve dans les jardins aussi bien que dans les champs et les vignes[205].

[203] Herball, XXXV, 242.

[204] Pemptades (1616), p. 647.

[205] Hist. pl. (1651), t. III, p. 324.

D’autre part, la multiplicité des noms vulgaires de cette plante témoigne aussi en faveur, sinon de la spontanéité de l’espèce, au moins de son usage alimentaire ancien, car, en général, les légumes indigènes sont seuls pourvus d’une riche synonymie.

La Mâche s’appelle encore doucette, boursette, blanchette, éclairette, pommette, chuquette, orillette, gallinette, poule grasse, coquille, rampon, accroupie, laitue d’agneau, salade de blé, salade royale, salade de chanoine, barbe de chanoine, et autres.

Le mot Mâche est d’origine inconnue. Il ne semble pas entré dans la langue française avant le XVIIe siècle. Le vieux Dictionnaire de Jean Nicot (1606) ne le connaît pas. Le Dictionnaire de Cotgrave (1611) le montre probablement pour la première fois « Mache… une herbe ». La forme primitive étant Mache, le mot ne semble pas dériver du verbe mâcher qui s’écrivait autrefois mascher.

Doucette s’explique par la saveur douceâtre de la plante. On mange la Mâche en salade pendant le carême, d’où salade de chanoine. Laitue d’agneau, parce que la plante est recherchée par les brebis, etc. La plupart des noms étrangers sont des traductions de ces noms vulgaires qui ont aussi formé les dénominations scientifiques de Tabernæmontanus et de Dodoens : Lactuca agnina et Album Olus.

Locusta, nom donné par Gesner, a été conservé par Linné comme nom spécifique dans Valerianella Locusta. Ce nom aurait été donné à la Mâche par les commentateurs de Pline au XVe siècle.

D’après les Ecritures, saint Jean-Baptiste, réfugié au désert, se nourrissait principalement de sauterelles. Les anciens naturalistes interprétant le mot latin locusta, sauterelle, par herbe sauvage, la Mâche leur semblait être la plante alimentaire dont saint Jean-Baptiste avait dû vivre pendant cette période de son existence. Bupleuron de Césalpin, qu’on a appliqué depuis au genre Bupleurum de la famille des Ombellifères, est une plante alimentaire de Pline, absolument indéterminable.

Les botanistes admettent plusieurs espèces de Mâches indigènes, différenciées par certains caractères tirés du fruit, mais rien ne les distingue au point de vue de l’aspect général. Toutes ces espèces ont des feuilles ovales-oblongues disposées en rosette.

La Mâche a été beaucoup améliorée par la culture. Les petites touffes à feuilles étroites, pointues et peu nombreuses du type sauvage sont devenues beaucoup plus volumineuses par suite du développement précoce des bourgeons axillaires, de sorte que, dans les variétés horticoles, la rosette de feuilles radicales se complique des ramifications de la plante à l’état foliacé. La feuille a pris également, avec plus d’ampleur, une forme arrondie, plus spatulée que celle du type.

Vilmorin admet six variétés distinctes. Les maraîchers cultivent surtout les Mâches ronde, verte d’Etampes, verte à cœur plein, dont les feuilles très charnues supportent mieux le transport que les autres sortes à feuilles moins résistantes.

La Mâche d’Italie, dite aussi Régence, grosse Mâche, est une espèce distincte (Valerianella eriocarpa Desv.), originaire de la région méditerranéenne, à touffe volumineuse, à feuilles légèrement velues. Pendant le XIXe siècle, les maraîchers ont beaucoup cultivé la Mâche d’Italie pour les marchés, à cause de son volume et parce qu’elle est lente à monter. Ils préfèrent aujourd’hui la Mâche verte d’Etampes, variété améliorée mise au commerce en 1873.

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