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Histoire des légumes

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Plantes potagères abandonnées

Après avoir servi aux usages culinaires pendant plusieurs siècles, certaines plantes potagères sont aujourd’hui plus ou moins délaissées, voire même complètement abandonnées. On ne rencontre plus, par exemple, dans les jardins modernes, le Chervis, le Maceron, la Livèche, l’Anserine Bon-Henri, la Patience et quelques autres légumes tombés en défaveur seulement vers le XVIIe ou le XVIIIe siècle. Quelle cuisinière connaît, de nos jours, la Rue, la Sauge, la Marjolaine, le Baume-Coq, la Trippe-Madame, la Roquette, la Corne-de-Cerf, fournitures très employées autrefois pour assaisonner les mets et les salades ?

Pour expliquer cet abandon, on ne saurait ici accuser les caprices de la mode. Il faudrait plutôt en rechercher les causes dans les progrès de l’Horticulture. C’est l’introduction du Céleri, au XVIe siècle, qui a fait disparaître des jardins le Maceron et la Livèche, ses anciens succédanés. L’Oseille a remplacé, pour les potages aux herbes, les feuilles du Souci, de la Bourrache et de la Buglosse. Quant à ces nombreuses plantes aromatiques destinées aux assaisonnements et devenues introuvables à l’heure présente dans nos cultures, leur disparition tient tout simplement à ce qu’on n’aime plus autant la cuisine très épicée dont se délectaient nos arrière-grands-pères.

La perte de quelques herbes potagères a été largement compensée par d’autres introductions. Une disparition est toutefois regrettable : celle du Chervis. Nous en avons parlé au chapitre des légumes-racines. Qui sait si nous ne verrons pas, tôt ou tard, un revirement s’opérer en sa faveur ?


Les Anciens n’ont pas cultivé le Céleri, et pourtant ils employaient l’Ache, qui est le Céleri à l’état sauvage, comme plante funéraire. Ils remplaçaient ce légume par une autre Ombellifère voisine, le Maceron (Smyrnium Olusatrum L.) c’est-à-dire légume noir, à cause de la couleur foncée du beau feuillage très découpé de cette plante presque ornementale. Le Maceron ou grande Ache est indigène dans les pâturages humides des contrées méridionales de l’Europe. En France, on le trouve en quelques endroits dans l’Ouest sur les rivages maritimes. On le voit aussi subspontané autour des vieux châteaux et anciens monastères. C’est une plante bisannuelle, à racine grosse et blanche, à odeur forte. La saveur se rapproche de celle du Persil.

Cette plante est aujourd’hui complètement abandonnée après quinze siècles et plus de culture générale. Il est facile de suivre son histoire, peu de plantes ayant été plus répandues dans les anciens jardins. Théophraste, chez les Grecs, la connaissait sous le nom d’Ipposelinum (Hipposelinum est le nom correct de Dioscoride et de Galien).

Au commencement de l’ère chrétienne, Dioscoride, médecin grec, dit qu’on en mangeait la racine ou les feuilles à volonté. Pline et Columelle décrivent sa culture. Apicius donne une recette pour sa préparation culinaire. Dans le haut moyen âge c’était un légume ordinaire, puisqu’il figure dans le capitulaire de Villis, de Charlemagne. Son nom Maceron, d’origine inconnue, vient d’Italie, où l’on appréciait beaucoup le Macerone. On le voit largement cultivé en Angleterre, d’après Pena et Lobel (1570). Au XVIIe siècle, on l’appelait souvent Persil de Macédoine (en anglais Alexander). Parkinson (1629) dit qu’on mange les sommités et les racines crues ou bouillies avec huile et vinaigre. La Quintinie (1690) ne se servait plus du Maceron qu’en guise de fourniture de salade, après l’avoir fait blanchir. De Combles cite encore le Maceron en 1749, mais il a dû disparaître des jardins vers le XVIIe siècle.

La plante a néanmoins quelques qualités culinaires. On peut consommer la racine, comme celle du Céleri-Rave, après l’avoir conservée à la cave, dans le sable, durant l’hiver, pour l’attendrir.


La Livèche, plante médicinale très en vogue au moyen âge, a été aussi cultivée pour les mêmes usages culinaires que le Maceron. On l’appelle aussi Ache de montagne. C’est une Ombellifère à odeur fortement aromatique.


Les Romains ont admis dans leurs potagers la Mauve commune. Ils faisaient grand cas des jeunes pousses et des sommités bouillies et assaisonnées avec du sel, de l’huile et du vinaigre. Dans le Midi, on fait encore entrer la Mauve dans les brèdes, sorte de pot-pourri composé de légumes. La plante est nourrissante, car les Malvacées contiennent un mucilage azoté nutritif. La Mauve est en outre laxative par son suc émollient.


On ignore aujourd’hui que le Souci, la Bourrache et la Buglosse ont été herbes potagères. Les feuilles, jeunes et tendres, s’employaient dans les soupes maigres et bouillons rafraîchissants, comme notre Oseille.


L’Ansérine Bon-Henri ou Epinard sauvage est une Chénopodée vivace indigène qui a été cultivée comme plante alimentaire. Cette herbe est commune au voisinage des habitations ; on l’appelle encore Sarron, Serron, Toute-bonne, à cause de ses propriétés antiscorbutiques. Par ses feuilles hastées, triangulaires, le Bon-Henri ressemble assez à l’Epinard ; il peut servir aux mêmes usages, mais il est inférieur en qualité.


La Patience, Parelle, Epinard perpétuel ou Dogue, Polygonée vivace, originaire de la Turquie d’Europe et de la Perse, a été beaucoup cultivée comme herbe potagère et on l’utilise encore dans les provinces. Au XVIIIe siècle, on la voyait dans tous les jardins. Cette plante est très voisine de l’Oseille, mais ses feuilles sont moins acides. Les Grecs et les Romains ont employé la Patience sous le nom de Lapathon ou Lapathum. Fraas conjecture que le Rumex sativus de Pline est aussi la Patience. Le nom de la plante Patience n’a aucun rapport de sens avec le sentiment qui consiste à souffrir : latin pati, patientia ; mais sa forme primitive a certainement subi des modifications qui l’ont peu à peu identifié avec ce dernier. Nous trouvons dans Varron et Isidore de Séville la variante Lapathium. C’est cette forme qui, scindée en deux parties : La et pathium conduisit apparemment au français la (article) et Patience (substantif)[562].

[562] Communication obligeamment fournie par M. J.-A. Leriche.


Le Fenouil officinal, qui exhale une suave odeur anisée, a été très usité dans la cuisine au moyen âge, dans le Nord de l’Europe surtout.

La plante était cultivée autant pour ses usages condimentaires que médicinaux. A ce dernier point de vue, les fruits aromatiques du Fenouil faisaient partie des quatre semences chaudes de l’ancienne médecine. On enveloppait de Fenouil vert les poissons frits, afin de les imprégner de son agréable odeur. Il y a un témoignage de la grande extension de la culture ancienne de cette plante et des autres que nous mentionnons ici : on les rencontre presque toujours, à l’état subspontané, près des ruines de vieux châteaux ou d’anciens monastères. Combien de fois avons-nous trouvé, dans le voisinage des ruines, avec le Fenouil commun, la Mélisse, l’Hysope, la Rue, la Livèche, l’Epurge, la Podagraire et autres plantes conservées des cultures du moyen âge !


Il est une catégorie de plantes potagères de second ordre, celles destinées aux assaisonnements, qui a eu une grande importance dans les anciens jardins, la cuisine très épicée ayant été de mode depuis l’époque romaine jusqu’au XVIe siècle.

Pour assaisonner les mets, on a cultivé les plantes suivantes :


La Rue (Ruta graveolens L.), petit sous-arbrisseau à feuilles persistantes, d’une odeur forte et désagréable. C’est une plante vénéneuse. Sans doute devait-on l’employer avec modération et d’ailleurs la cuisson peut atténuer, dans une certaine mesure, ses effets dangereux. Chez les Romains, la Rue était le condiment nécessaire du moretum, ce plat national du paysan, fait avec de l’Ail, de l’Oignon, de l’Ache, de la Rue et du fromage broyés dans un mortier. L’usage de cette plante à odeur nauséabonde était général, comme on le voit par maints exemples : Cornelius Cethegus, ayant été élu consul l’an de Rome 420, fit au peuple des largesses de vin aromatisé avec de la Rue. Le poète Martial, invitant à dîner son ami Julius Cerealis, lui promet un mets assaisonné de Rue : « Il y aura, dit-il, la laitue qui tient le ventre libre, avec les filets qui se détachent des poireaux, enfin une tranche de thon où les feuilles de la rue ne seront pas oubliées ».


Les Romains faisaient aussi grand cas de l’Aunée (Inula Helenium L.), Composée vivace indigène, à racines charnues fort âcres et amères. Comme la culture n’enlève pas à la Grande Aunée sa saveur désagréable, il y a lieu de croire que la racine de la plante n’a été usitée que comme condiment ou médicament. Pline dit qu’on l’accommodait de diverses manières pour en vaincre l’âcreté : bouillie, confite dans du miel, etc.[563] Julie, fille d’Auguste, affligée d’une maladie d’estomac, en mangeait tous les jours, l’Aunée passant pour salutaire dans ce cas pathologique. La médecine empirique du temps n’avait pas trop fait fausse route : c’est en effet un amer aromatique, tonique de l’estomac, comme la Gentiane. Au moyen âge, l’Ecole de médecine de Salerne a beaucoup vanté l’Aunée sous le nom d’Enula Campana.

[563] Hist. nat. l. XXIX, 29.


Une foule de Labiées aromatiques, qui rentrent aujourd’hui plutôt dans la matière médicale, ont été plantes culinaires. On a cultivé pour assaisonnements dans les anciens jardins, la Sauge officinale, la Sclarée ou Toute-bonne, les Menthes, la Mélisse, l’Hysope, la Marjolaine, la Cataire, toutes plantes employées dans les mets après avoir été séchées et pulvérisées, afin d’économiser les épices vraies qui étaient d’un prix inabordable pour les bourses petites et moyennes.

L’Ecole de médecine de Salerne a consacré les vertus de la Sauge par un dicton peut-être un peu hyperbolique : Cur moriatur homo cui salvia crescit in horto ? « Comment pourrait-il mourir celui qui possède la Sauge dans son jardin ? »


Peu de plantes ont été plus populaires que la Marjolaine et, si la plante n’est plus culinaire, son nom est encore poétiquement connu. Toutes les Menthes étaient autrefois employées dans la cuisine, surtout la Menthe Pouliot. Chez les Juifs, la Menthe payait la dîme comme l’Aneth et le Cumin et l’on voit par l’Evangile que les Pharisiens payaient cette petite dîme avec ostentation.

Le Coq des jardins (Balsamita suaveolens), Balsamite, Baume-Coq, Menthe-Coq, Composée vivace, originaire des Alpes, à feuilles dentées en scie, fortement aromatiques, s’est beaucoup mis dans les sauces. La Quintinie en faisait encore blanchir pour la table du roi, comme fourniture de salade. Le mot Coq est une corruption de Cost, la plante ayant été nommée par les herboristes Costus hortensis, par analogie avec le Costus arabicus, plante indienne qui fournissait des aromates.

La Tanaisie elle-même a joué un rôle culinaire.


La Nigelle de Damas, Nielle ou Toute-épice, jolie Renonculacée, a fourni longtemps un condiment estimé pour ses graines carminatives, chaudes et aromatiques. Les semences de la Nigelle remplaçaient le Poivre, les clous de Girofle et la Noix de Muscade. Les Orientaux en ont conservé l’usage. C’est le Gith du capitulaire de Villis de Charlemagne, mot dérivé de l’hébreu Gesah. La plante est citée dans la Bible. Nigella est une allusion à la couleur noire des graines.


Pour assaisonner les salades, on a cultivé quelques plantes condimentaires sans usage aujourd’hui : le Plantain Corne-de-Cerf (Plantago Coronopus L.), plante annuelle commune dans les lieux sablonneux. Les feuilles sont longues, étroites et découpées comme de petits bois de cerf, d’un goût astringent assez agréable.


La Trippe-Madame (Sedum album L.), est une petite herbe indigène, à feuilles cylindriques très succulentes. La plante est astringente, âcre et caustique ; elle est très commune sur les vieux murs, sur les toits de chaume, dans les lieux secs ; néanmoins, comme le Plantain Corne-de-Cerf, on en semait beaucoup sur couche au XVIIe siècle, pour agrémenter les salades. Souvent le nom est orthographié Trique-Madame, mais la vraie leçon est Trippe-Madame. Ce nom grotesque peut s’expliquer par le vieux français trippe, sorte de danse ; tripper, danser en trépignant, probablement en raison des propriétés excitantes de la plante.


La Roquette (Eruca sativa L.), herbe Crucifère annuelle ou bisannuelle, d’une odeur forte et désagréable, a joui d’une grande faveur. Chez les Romains, c’était l’unique assaisonnement des Laitues, du Pourpier, des Endives. Columelle et Martial ont chanté les propriétés stimulantes qu’on attribuait à la Roquette. Le Midi de la France et l’Italie, qui aiment les plantes condimentaires à forte saveur, font toujours entrer la Roquette dans les salades. Nous n’aurions garde d’oublier la Sanemonde (Geum urbanum L.), herbe Rosacée indigène qu’on appelle aujourd’hui Benoite, et dont on mêlait aussi les jeunes feuilles aux salades.


Le Cerfeuil musqué (Myrrhis odorata), inusité maintenant, a été en vogue au XVIe et au XVIIe siècle. C’est l’Alexandre Myrrhis de Cl. Mollet, le Cerefolium majus de Parkinson.


Comme succédanés du Cresson ont été cultivées, avec la grande Passerage, d’autres Crucifères très vulgaires, possédant à peu près la même saveur : le Cresson des prés (Cardamine pratensis L.), et le Vélar ou Barbarée précoce (Erysimum præcox L.).

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