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Histoire des légumes

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HARICOT COMMUN

(Phaseolus vulgaris L.)

Il est curieux de constater les changements survenus en peu de temps dans la cuisine française par suite de l’introduction de certains légumes de grande valeur : le Haricot et la Pomme de terre. Introduit d’Amérique au XVIe siècle, la vulgarisation du Haricot commun ne remonte qu’au milieu du XVIIe siècle. La Pomme de terre est entrée plus tard encore dans l’alimentation et cependant ces deux légumes, pour ainsi dire récents, ont modifié des habitudes gastronomiques séculaires. Ils ont remplacé, dans les ragoûts et autres préparations culinaires, le Navet et la Fève qui jouaient autrefois le principal rôle comme accompagnement des viandes. Ils ont produit une diminution considérable dans la consommation du Pois sec et de la Lentille, peut-être fait disparaître le Chervis et réduit le Panais à n’être désormais qu’une simple plante condimentaire.

L’origine américaine du Haricot commun est généralement admise aujourd’hui depuis qu’elle a été démontrée par les travaux de MM. Asa Gray et Trumbull, Körnicke, Wittmack et autres[434].

[434] American Journal of Sciences, 3e série, t. XXVI, p. 130 (1883). — Verhandlungen des Naturhist. Ver. der Rheinlande Westphalens, 1885, 4e série, XI, p. 136.

Les botanistes, et avec eux les auteurs horticoles, ont longtemps tenu ce légume pour une plante indienne parfaitement connue des Grecs, des Romains et du moyen âge sous les noms de phaseolus, fasiolos, faselus, lobos, smilax et faséole.

Cette croyance à l’origine asiatique du Haricot commun, traditionnelle autrefois, et que nous avons nous-même partagée[435], s’explique par la grande ressemblance de la graine et des caractères de la végétation qui existe entre un genre de Légumineuses, les Doliques — qui sont les Haricots de l’Ancien Monde — et les Phaséolées américaines. Les Grecs et les Romains ont en effet cultivé pour l’alimentation le Dolichos (Vigna sinensis) et ses variétés, principalement le Dolique à œil noir (D. melanophthalmus) et comme les descriptions vagues de Dioscoride, de Galien, de Pline et des agronomes latins s’adaptent aussi bien au genre Dolichos qu’au Phaseolus, les commentateurs ont identifié les espèces des Anciens avec les Légumineuses nouvelles importées d’Amérique auxquelles ils ont transporté le nom classique de faséole. En somme, la principale preuve de l’existence du Haricot dans l’Ancien Monde, c’est qu’il porte un nom dérivé du grec fasiolos ou du latin Phaseolus.

[435] Gibault, Etude historique sur le Haricot commun (Journal S. N. H. F. 1896, p. 658). — Bonnet (Docteur Ed.), Le Haricot avant la découverte de l’Amérique (Journal de Botanique, XI, 1897). — Wittmack (Docteur), De l’origine du Haricot commun (Journal S. N. H. F. 1897, p. 155).

Nous allons exposer les arguments historiques, archéologiques, et philologiques, extraits des divers auteurs nommés plus haut et qui militent victorieusement en faveur de l’autre opinion.

D’abord, la plante Légumineuse des Anciens est-elle identique au Haricot commun ? Théophraste (300 ans avant Jésus-Christ), dans une description insuffisante qui ne permet pas de reconnaître la plante dont il s’agit, est le premier naturaliste qui parle du Dolichos. Dioscoride a consacré deux chapitres différents à deux formes d’une même Légumineuse. Son Smilax keraea (Smilax des jardins), est une plante grimpante à graine réniforme, à très longue gousse appelée lobos ; ce dernier caractère se rapporte tout particulièrement au Dolique. Le second phasiolos de Dioscoride est une forme naine, non volubile, de la même plante. Le nom de la gousse, lobos, fut transféré à la plante parce qu’on mangeait les graines avec la gousse comme on le fait pour certains Haricots. Le mot a passé du grec aux arabes qui l’appliquent au Dolichos Lubia ou autres variétés, sous la forme Loubiâ. Galien, au IIe siècle de notre ère, dit positivement que Lobos, Phasiolos et Dolichos sont une même plante, ce qui est confirmé par Aetius au VIe siècle. Cet auteur dit que de son temps le Dolichos et le Phasiolos des Anciens sont appelés par les uns lobos, par quelques autres smilax. L’identification de la Légumineuse des Anciens est confirmée par les peintures de deux manuscrits grecs datant du Ve siècle, conservés à la Bibliothèque impériale de Vienne. M. Körnicke a reconnu la variété naine du D. melanophthalmus, figurée sous le nom de phasiolos, dans une miniature de chacun de ces manuscrits, ce qui concorde avec les indications des auteurs qui ont signalé deux formes de Doliques cultivés par les Anciens.

Un fait qui a une très grande importance dans la question controversée, c’est qu’on n’a pas trouvé le Haricot commun dans les cités lacustres, ni dans les fouilles de la Troade qui ont fourni le Pois et la Fève. Le Haricot est absent des sépultures de l’Egypte ancienne. On peut aussi tirer des conclusions de certains détails culturaux donnés par les agronomes latins qui plantaient leur faselus à l’automne, époque de semis qui ne convient pas à notre Haricot. Le longa faselus de Columelle est sans doute un Dolique ; cette épithète s’applique bien à la longue cosse du Dolique. On pense que parfois le faselus des Latins a pu être la Féverolle ou la Jarosse (Lathyrus Cicera) ; ce sont d’ailleurs les seules Légumineuses recueillies dans les ruines de Pompei. Des commentateurs croient reconnaître le Pois des champs dans le faselum vile de Virgile ; l’adjectif vile désignant évidemment une graine commune, sans valeur.

Le Faséole du moyen âge est une plante au moins aussi incertaine que le Faseolus des Latins. Ce doit être tantôt un Pois, ou une Gesse ou un Lupin. Les Faseoli de Pierre de Crescenzi et d’Albert le Grand (XIIIe siècle) caractérisés par une tache noire à l’ombilic, sont bien les Doliques à œil noir, toujours très cultivés en Italie.

Jusqu’à présent rien dans les textes anciens n’indique l’existence du Haricot commun. Mais, avec la découverte de l’Amérique, les renseignements sur ce légume deviennent nombreux et précis. A partir du XVIe siècle, les botanistes décrivent et figurent les espèces du genre Phaseolus spontanées dans l’Amérique méridionale (Ph. lunatus, multiflorus, etc.), et enfin l’on commence à parler de ce légume.

Lorsque les Européens débarquèrent en Amérique, le Haricot était cultivé d’un bout à l’autre du Nouveau Monde par les indigènes. Le fait a été très remarqué par les premiers explorateurs. Pas un seul n’a manqué de parler de ces « fèves » différentes de celles d’Europe, récoltées par les tribus indiennes.

Asa Gray a recueilli tous les récits des voyageurs qui ont fait allusion à cette Fève étrangère à l’Europe et les mots employés pour désigner ce légume indiquent assez qu’ils ne connaissaient pas la plante.

Trois semaines après son débarquement dans le Nouveau Monde, Colomb vit, près de Nuevitas, à Cuba, des champs plantés avec « faxones et fabas », très différents de ceux d’Espagne, et deux jours après il trouva encore une terre bien cultivée « avec fexoes et habas très différents des nôtres ». Fexoes ou faxones, synonymes de frejoles, sont les noms espagnols du Phaseolus vulgaris et c’est par hasard que ces noms ressemblent au Phaséole, car ils appartiennent aux langues caraïbes. Cabeça de Vaca trouva les « Fèves » cultivées par les Indiens de la Floride en 1528. De Soto, en 1539, vit aussi en Floride et à l’ouest du Mississipi des champs de Maïs, de Haricots et de Courges. Oviedo (1525-35) parle des fésoles « dont il y a plusieurs espèces dans les Indes Occidentales ». Il les cite à Saint-Domingue, sur les autres îles et plus abondamment encore sur le continent.

« Dans la province de Nagranda (Nicaragua), dit-il, j’ai vu recueillir des centaines de boisseaux de ces fésoles. » Lescarbot constate en 1608 que les Indiens du Maine, comme ceux de la Virginie et de la Floride, plantent leur Maïs sur billons et qu’entre les intervalles ils sèment des Fèves de couleurs variées et d’un goût délicat. Jacques Cartier, qui découvrit le Saint-Laurent en 1535, trouva à l’embouchure de ce fleuve, chez les Indiens, beaucoup de Maïs et de « fèbves ».

Les trouvailles archéologiques établissent aussi que la culture du Haricot était générale en Amérique avant l’arrivée des Européens. Le docteur Wittmack a eu à déterminer des graines de Phaseolus vulgaris trouvées dans les anciens tombeaux d’Ancon près Lima (Pérou)[436]. En 1869, le capitaine F. Burton exhuma des Haricots de sépultures péruviennes antérieures à la découverte de l’Amérique. M. Wittmack a encore identifié d’autres Haricots préhistoriques recueillis dans les tombeaux de l’Arizona, de l’Utah et des Cliffs-Ruins aux Etats-Unis.

[436] Journal Soc. N. H. F. 1897, p. 155. — De Rochebrune, Recherches d’ethnographie botanique sur la Flore des sépultures péruviennes d’Ancon, 1879, in-8.

Devant l’ensemble de ces faits, on est obligé d’admettre que la culture du Haricot est préhistorique dans le Nouveau Monde. Les indigènes possédaient de nombreuses variétés et chaque peuple américain avait un nom particulier pour désigner cette plante alimentaire, indices d’une culture antique ; et d’ailleurs, on n’a pas trouvé le Haricot à l’état sauvage, ni en Amérique ni dans l’Ancien Monde comme c’est le cas pour le Pois, la Fève et la Lentille, Légumineuses employées par l’homme depuis les temps les plus reculés.

La linguistique appuie par diverses considérations l’origine récente et étrangère à l’Europe du Haricot commun. « Dans la plupart des idiomes de l’Europe, dit M. de Charencey, le nom de ce végétal est formé par voie de composition plutôt que par voie de dérivation, comme c’est le cas pour les plantes dont l’introduction est relativement récente, la Pomme de terre, par exemple »[437].

[437] De l’origine américaine du Phaseolus vulg. Paris, 1904, broch. de 3 p. in-8.

Il n’existe en effet de noms primitifs du Haricot que dans les langues américaines. En France, avant l’emploi du mot Haricot, qui est un ancien terme culinaire, on a appelé ce légume Fève de Rome, Fève peinte (variétés à graines colorées). En Normandie on dit encore Fève ou « feuve » pour Haricot. Kidney-bean signifie en anglais Fève-rognon, en raison de la forme du grain de Haricot. L’allemand a appelé ce légume Welsh-Bohne, Fève italienne, ou mieux étrangère. Klinboome, Fève-lierre, est le nom hollandais, parce que la plante est souvent grimpante. Le basque dit India Baba, Fève d’Inde. Le castillan Arvejas luengas est tiré du nom de la Gesse. A ces noms s’ajoutent Fève turque, et l’espagnol Judias, littéralement plante juive, allusions claires à l’origine du Haricot venu de pays non chrétiens.

D’après M. Hamy, l’éminent professeur d’anthropologie au Muséum, notre mot actuel dériverait d’Ayacotl, nom du Haricot dans la langue nahuatl parlée par les anciens Mexicains. Ce nom américain se serait confondu avec le mot Haricot qui existait dans l’ancienne langue française pour désigner un ragoût soit de mouton ou d’autre viande accommodé avec des légumes, Fèves et Navets principalement.

Haricot se rattache au vieux français haligote, morceau, pièce ; haligoter, haricoter mettre en pièces. On sait que le ragoût connu sous le nom de « haricot de mouton » se compose de morceaux de viande coupés assez menus. Ayacotl se transforma par analogie de consonnance en Haricot, d’autant mieux que le nouveau légume fut bientôt substitué, avec avantage, aux Fèves et aux Navets dans la préparation dudit mets.

Haricot paraît pour la première fois avec le sens de légume dans le lexique de Oudin (1640). Le premier ouvrage horticole qui le signale est le Jardinier françois de Bonnefons (1651). On y voit un chapitre consacré aux petites fèves de Haricot, ou Callicot (sic) ou Féverotte. La Quintinie disait encore, en 1690, Fève de Haricot et Liger (1708) Pois d’Haricot. Le Haricot légume n’est devenu véritablement populaire qu’au XVIIIe siècle. Le Cuisinier françois de La Varenne (1651), et même d’autres traités de cuisine postérieurs, ne le mentionnent pas encore dans leurs menus interminables où paraissent pourtant des légumes peu distingués, comme la Fève, la Lentille, le Topinambour.

Le Haricot est pour la première fois décrit et figuré en 1542 par les botanistes allemands Tragus et Fuchs, puis successivement dans les recueils botaniques de Lonicer, Matthiole, Césalpin, Dodoens, Dalechamps, Clusius. La plupart signalent son origine étrangère et lui donnent le nom scientifique de Smilax hortensis, l’assimilant au Dolique grimpant des Anciens. Les noms vulgaires français, au XVIe siècle, étaient phaséole, fazol de Turquie, fèbve peinte, etc.

Olivier de Serres (1600) fait une très brève mention du « faziol ». Vraisemblablement ce légume si commun aujourd’hui ne jouait encore aucun rôle dans l’agriculture du temps.

En Angleterre, Barnaby Googe a commencé à parler du Haricot en 1572, sous le nom de French bean qui indique une importation française. Gerarde a figuré plusieurs variétés dans son Herball (1597). A cette date, le Haricot ne paraissait en Angleterre que sur les tables des riches. L’agronome Giovanni Tatti, rapporté par le docteur Ed. Bonnet, aurait le premier, en Italie, à la date de 1560, recommandé la culture du Haricot.

Le Haricot commun doit appartenir à la flore de l’Amérique tropicale, attendu que la plus grande partie des espèces du genre Phaseolus est spontanée dans l’Amérique méridionale.

La variabilité du Ph. vulgaris est très grande. Une monographie récente énumère 472 races ou variétés cultivées de Haricot, dues pour la plupart à la variation naturelle ou à la sélection[438]. Les variétés de Haricot à rames à grain noir doivent se rapprocher le plus du Haricot primitif. La variation a produit sur l’espèce type volubile deux modifications très importantes au point de vue économique : les Haricots sans parchemin ou Mange-tout, dont la cosse est comestible, et les Haricots nains. Le nanisme, chez les plantes, est une dégénérescence du type normal. Cependant cette variation pathologique est considérée au point de vue horticole comme un perfectionnement, parce qu’elle est avantageuse dans certains cas.

[438] Comes (Orazio), Del Fagiuolo comune, Napoli, 1909, in-8.

Remontent au XVIIIe siècle les races suivantes qui ont donné de nombreuses sous-variétés : Soissons, de Prague, Riz, Sabre, Princesse, Prédome, Rognon de Caux, Rouge d’Orléans, nain hâtif de Laon, aujourd’hui Flageolet.

Le Haricot de Soissons est une variété locale des plus estimées pour la consommation du grain à l’état sec. A notre connaissance, de Combles (1749) a cité pour la première fois le nom de cette variété cultivée en grand depuis environ 200 ans dans les communes voisines de Soissons. A l’époque de la Révolution, la culture du Haricot de Soissons donnait déjà lieu à un grand commerce d’exportation, menacé aujourd’hui de disparition par suite de la concurrence d’autres régions. Cette variété est abondamment produite maintenant dans les Landes et les départements du Sud-Ouest.

Le Haricot nain hâtif de Laon s’appelle Flageolet depuis une centaine d’années. Le mot Flageolet est une dernière corruption de faziol, faséole, fageole, dérivés de Phaseolus. La forme flagot se trouve dans une liste de mets d’un compte de dépenses de la fin du XVIe siècle[439]. La ressemblance phonétique de flageolet, instrument de musique connu, a pu donner lieu à la dernière variante.

[439] Archives Nord, t. IX, série B. 96.

Parmi les variétés d’obtention moderne, il en est quelques-unes dont l’historique mérite d’être fixé. M. Chevrier, cultivateur à Brétigny, près Montlhéry, a inauguré la série des Haricots à grain vert. La coloration verte du grain de Haricot pour la consommation d’hiver, obtenue d’ordinaire par l’addition de sels de cuivre, au grand détriment de la santé publique, est recherchée. Le Haricot Chevrier, sous-variété du Flageolet, mis au commerce par Forgeot vers 1878, possède naturellement un coloris verdâtre moyennant un traitement spécial : l’arrachage des plantes un peu avant maturité du grain et le séchage des cosses à l’ombre. Ce type a été perfectionné par Bonnemain, l’heureux semeur d’Etampes. On lui doit plusieurs variétés rustiques et à grand rendement : Merveille de France (1883), Roi des Verts (1884), Triomphe des châssis (1892), Roi des noirs (1893), etc. Pour la production du Haricot vert, le Bagnolet, déjà ancien, est très employé. Le Haricot de Chalandray se cultive ordinairement sous châssis ; il a été obtenu vers 1889 par M. Bez, amateur au château de Chalandray, près Montgeron (Seine-et-Oise). Le Haricot Intestin est un gain de M. Perrier de la Bathie (1870), propriétaire à Albertville (Savoie). Le Haricot d’Alger paraît être le plus ancien de la série des Haricots « beurre », ainsi dits de la couleur de la cosse. D’après le grainier Bossin, les Haricots beurre auraient été introduits en France vers 1840.

L’Algérie, Valence, Grenade et Malaga font une exportation importante de Haricots de primeur. Le Haricot de saison est cultivé en grand dans la banlieue sud de Paris, à Limours, Arpajon, Montlhéry, Dourdan, Etampes, Massy.

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