← Retour

Histoire des légumes

16px
100%

COURGES

(Cucurbita maxima Duch. ; C. Pepo L. ; C. moschata Duch.)

Outre le Melon et le Concombre, la famille des Cucurbitacées fournit à la culture potagère un certain nombre de plantes dont le fruit à chair pulpeuse, plus ou moins farineuse et sucrée, se mange sous forme de soupes, purées ou potages. Ce sont les Courges, Potirons, Giraumons, Citrouilles, mots qui sont à peu près synonymes dans la langue des jardiniers. Ainsi le Manuel de jardinage de Noisette (1825) les a employés indifféremment. Si nous cherchons à leur donner quelque précision, nous trouvons que le mot Courge, d’origine méridionale, réduction et condensation du latin Cucurbita[489], est un terme général employé pour désigner toutes les sortes de Cucurbitacées alimentaires ou d’ornement qui se rapportent à trois espèces botaniques distinctes appartenant au genre Cucurbita : les C. maxima, C. Pepo et C. moschata.

[489] Forme redoublée de curvus (courbe), pour exprimer la plante qui serpente et s’enroule.

Les Potirons sont des variétés du C. maxima. Ce groupe comprend les plus grosses Courges. On a vu des Potirons de 2 m. 50 de circonférence pesant plus de 100 kilogr. La chair est homogène, peu filandreuse, supérieure en qualité à celle des Citrouilles vraies. La forme typique des fruits est celle d’une sphère déprimée aux deux pôles. Qui ne s’est arrêté un instant devant le monstrueux Potiron gros jaune de Hollande qui figure, à l’automne, à l’étalage de tous les fruitiers ? Il semble que ce nom de Potiron ne s’applique que depuis peu de temps, par analogie de forme sans doute, à ces fruits globuleux et ventrus. C’était autrefois l’un des noms vulgaires de l’Agaric champêtre ou Champignon de couche sauvage. Camerarius, au XVIe siècle, appelle notre Champignon Potyron ou Capignon. Duchesne, auteur horticole qui écrivait à la fin du XVIIIe siècle et qui, avant Naudin, a contribué à classer scientifiquement les Courges, fait cette remarque à propos du Potiron : « Je ne sais comment on a pu lui transporter le nom de Potiron qui jusqu’au commencement de ce siècle se donnait à Paris à ce qu’on y nomme aujourd’hui des Champignons[490]. »

[490] Manuscrit fr. 12333, p. 25 (Bibl. Nat.).

Les Giraumons, dont les fruits très sucrés font d’excellents potages, sont des Potirons à œil hypertrophié par suite de la saillie des carpelles qui forment 3 ou 4 lobes arrondis au sommet du fruit, tels les Potirons Turbans ou Bonnets turcs, ainsi nommés à cause de leur physionomie spéciale. De Combles, dans son Ecole du Potager (1749), a signalé en ces termes l’introduction du mot Giraumon dans la langue horticole : « Il nous est venu depuis peu une nouvelle espèce (de Citrouille) qu’on appelle giromon » (sic). Il est difficile de déterminer la Cucurbitacée qui portait ce nouveau nom. Les groupes des Giraumons et des Patissons sont si mal définis que Naudin, il y a 50 ans, appelait Giraumons des Courges longues, comme la C. des Patagons et la Courge d’Italie classées aujourd’hui dans les Citrouilles vraies. Seringe, qui donna en 1847 la liste des Courges cultivées qu’il connaissait, appelle Patisson la Courge Turban, réservant le nom de Giraumon au vrai Patisson des jardiniers actuels, qui se rapporte au Cucurbita Pepo. Suivant un étymologiste, Duchesne, le Giraumon aurait pris ce nom à cause : 1o de sa rondeur, du latin gyrus ou girus, tour, rond, comme girasol (italien girasole) dit aussi tournesol ; 2o de la grosseur souvent extraordinaire de ce fruit et c’est cette grosseur qui a suggéré apparemment le second élément du mot français giro-mont. Duchesne croit que ce nom a été formé aux Antilles. On définit la plante, dit-il, Courge d’Amérique.

Les formes si nombreuses et si variées du Cucurbita Pepo composent le groupe des Citrouilles vraies ou Pépons. Le fruit, à chair filandreuse, est ovoïde, cylindrique ou prismatique, déprimé dans les Patissons. Nous citerons, parmi les Citrouilles vraies, la C. de Touraine, la C. sucrière du Brésil, la Courge à la moëlle, la C. des Patagons, la C. Cou tors, la Coucourzelle d’Italie, etc. La Citrouille, dit Naudin, est la moins recommandable des Courges comme plante potagère, mais la plus riche en plantes ornementales. Le C. Pepo possède, en effet, au plus haut degré, le caractère saillant de la famille des Cucurbitacées c’est-à-dire le polymorphisme des fruits, très décoratifs, qui trouvent leur emploi dans l’ornementation des jardins aussi bien que dans l’art culinaire. Comme le dit excellemment Naudin, « ce qui frappe surtout dans ces altérations communes des trois types de Cucurbita, c’est la prodigieuse variabilité de la forme, du volume et de la couleur des fruits, qui, véritables protées, se montrent indifféremment tantôt allongés en massue, tantôt sphériques ou tout à fait déprimés, les uns à peau molle, les autres à coque dure et ligneuse[491]. »

[491] Naudin, Ann. Sc. Nat. série IV, t. VI, p. 16.

Dans la catégorie des Pépons alimentaires se placent encore les Patissons ou Bonnets d’électeur, objets de curiosité et assez estimés comme aliment pour leur chair fine. Ils sont ainsi nommés par allusion à la forme très déprimée des fruits qui se prolongent sur les côtés en 8 ou 10 cornes (lobes) plus ou moins saillantes, de manière à simuler la toque des magistrats ou certaines pâtisseries.

La troisième espèce de Cucurbita, le C. moschata ou Courge musquée, à cause de la saveur relevée de la chair, a peu de représentants sous nos climats tempérés ; elle exige plus de chaleur que les deux précédentes, aussi est-elle surtout cultivée dans les pays chauds. La Courge pleine de Naples ou C. porte-manteau est une variété de Courge musquée.

La grande diversité des Courges alimentaires, le polymorphisme de leurs fruits, sont autant de preuves de l’ancienneté de la culture de ces plantes potagères. Leur patrie première était naguère inconnue. Dans les temps plutôt modernes, on a attribué une origine indienne à toutes les Courges cultivées. On se fondait peut-être sur des noms sans valeur, tels que Courge d’Inde donné par les botanistes du XVIe siècle. Lobel a figuré un Pepo maximus indicus, qui se rapporte bien à l’espèce Cucurbita Pepo, mais il ne faut pas oublier que l’Amérique s’appelait alors les Indes Occidentales. Le fait que les Anciens ont cultivé des Cucurbitacées alimentaires assimilées par les modernes à nos espèces actuelles, à cause de leurs noms : pepones et cucurbitæ, a pu amener l’idée que ces plantes étaient originaires des contrées chaudes de l’Ancien Monde ; de l’Inde, comme le Concombre et la Gourde. Tous les botanistes qui ont étudié les Cucurbitacées, comme de Candolle, Naudin, Cogniaux, ont pensé ainsi. Dans son Origine des plantes cultivées (4e éd. p. 803), de Candolle admettait cependant la possibilité d’une origine américaine seulement pour le groupe des Citrouilles (Cucurbita Pepo), se basant sur la découverte d’une variété texana, rapportée avec certitude au C. Pepo, et trouvée à l’état très probablement sauvage sur les rives du Guadalupe supérieur. Mais les naturalistes américains : docteur Harris, Asa Gray, Trumbull et aussi Fisher-Benzon, ont démontré, plus récemment, l’origine américaine de toutes les Courges.

Les preuves archéologiques, historiques et philologiques paraissent décisives. Potirons et Patissons n’ont certainement été connus en Europe qu’après la découverte de l’Amérique. Les Cucurbitacées des Anciens et du moyen âge étaient des Gourdes ou Calebasses (Lagenaria) qui viennent de l’Inde. On s’imagine généralement que les Gourdes, plantes curieuses ou décoratives de nos jardins, ne sont pas comestibles. C’est une erreur. Certaines variétés peuvent servir à l’alimentation, aussi bien que la Courge à la moëlle, par exemple. Duchesne dit que la Gourde trompette est mangeable. Apicius, chez les Romains, a donné des recettes culinaires pour la Gourde. Pline en parle comme d’une plante comestible. Albert le Grand, également, durant le moyen âge. Bauhin a cité deux variétés de Calebasses alimentaires. D’autre part, on n’a jamais trouvé, en Asie, de Potiron (ou autre Courge) à l’état sauvage. Il n’existe aucun nom sanscrit pour cette plante. Aucune espèce semblable ou analogue n’est indiquée dans les ouvrages chinois et les noms modernes des Courges et des Potirons cultivés actuellement montrent une origine étrangère méridionale. On n’a pas constaté la présence d’un Potiron dans l’ancienne Egypte[492]. La Bible ne mentionne, en fait de Cucurbitacées, que le Concombre et la Pastèque.

[492] De Candolle, Origine des plantes, p. 200.

Mais en Amérique il en est tout autrement. Les premiers voyageurs qui visitèrent le Nouveau Monde trouvèrent des Courges dans les Antilles, au Pérou, dans la Floride et aux Etats-Unis avant que les Européens ne vinssent s’y établir. Leur présence est signalée dès Colomb. On lit dans la Relation de son premier voyage, que le 3 décembre 1492, entrant dans une petite rivière (Rio Boma) près l’extrémité orientale de l’île de Cuba, il rencontra un populeux village d’Indiens et vit d’immenses champs « plantés avec plusieurs choses du pays et des calebazzas ». Or ces Calebasses n’étaient certainement pas des Gourdes de pèlerin, mais des Courges. En juillet 1528, Cabeça de Vaca trouva près de Tampa Bay en Floride : « maïs, fèbves et pumpkins en abondance ». Pumpkin est un mot dérivé du Pepo latin et employé dans les langues anglo-saxonnes pour Courge. Dans l’été et l’automne de 1539, de Soto trouve la Floride occidentale, « bien fournie de maïs, beans (Haricots) et pumpkins ». Ces pumpkins étaient meilleurs et plus savoureux que ceux d’Espagne, c’est-à-dire que les Calebasses cultivées en Europe. En 1535, Jacques Cartier, le premier explorateur du Saint-Laurent, vit chez les Indiens du Canada « grand quantité de gros Melons, Concombres et Courges ».

Enfin aucune Courge n’est figurée dans l’Herbarius Pataviæ impressus de 1485, antérieur à la découverte de l’Amérique, tandis que des Potirons se rencontrent dans les œuvres des botanistes de la Renaissance, particulièrement chez Dodoens et Lobel. « Les noms qu’ils donnent à ces plantes indiquent une origine étrangère ; mais les auteurs ne pouvaient rien affirmer à cet égard, d’autant plus que le nom Inde signifiait ou l’Amérique ou l’Asie méridionale[493]. »

[493] De Candolle, loc. cit., p. 202.

Si l’on ajoute à ces preuves historiques, les indices tirés de la linguistique, ceux que présentent le folklore et l’archéologie, on verra que les arguments sont décisifs en faveur de l’origine américaine de nos Courges cultivées.

Les premiers explorateurs ont désigné les Courges américaines par les noms qui étaient en usage chez les indigènes, montrant par là qu’ils les reconnaissaient différentes des Cucurbitacées alimentaires européennes. Ainsi le mot Squash qui a survécu dans les langues anglo-saxonnes est un terme dénaturé de la langue des aborigènes de l’Amérique du Nord. D’après Pierre Martyr, un des premiers historiens de l’Amérique, la Citrouille joue un rôle essentiel dans les fables mythologiques indiennes des peuples Peaux-Rouges, analogue à celui de l’œuf cosmique orphique et brahmanique. Dans le folklore des races européennes, les Cucurbitacées symbolisent la fécondité et l’abondance, en raison du grand nombre de leurs graines et de l’opulence de leurs formes[494].

[494] Gubernatis, Mythologie des plantes, t. II, p. 98.

Des graines de Cucurbita maxima et de C. moschata ont été trouvées dans les tombes péruviennes du cimetière d’Ancon, près Lima, et déterminées par MM. Wittmack et Naudin. Les doutes que l’on pouvait avoir autrefois sur l’époque des tombeaux d’Ancon, sont aujourd’hui tranchés ; ils sont certainement pré-colombiens et correspondent à la période incasique s’étendant du XIIe au XVe siècle.

Malgré la présence de graines de Courge musquée dans les tombes d’Ancon, cette Cucurbitacée peut appartenir à l’Ancien Monde et avoir été transportée en Amérique, comme la Gourde, à une époque inconnue et antérieure à la découverte de Colomb. Un manuscrit du XIVe siècle, d’un Tacuin, traduction latine d’un ouvrage arabe, représente une Courge. On reconnaît, selon le docteur Bonnet, la forme très caractérisée de la Courge d’Afrique ou C. de Naples. Dans le fameux Livre d’heures d’Anne de Bretagne, une figure de Courge est qualifiée de « Quegourde de Turquie » (en latin Colloquintidæ). Decaisne en fait la Citrouille (C. Pepo) et M. le Dr Bonnet dit qu’il est plus probable que c’est le C. moschata, appelé Courge d’Afrique ou C. des Bédouins. Le Livre d’heures d’Anne de Bretagne a été exécuté vers 1508, quelques années seulement après la découverte de l’Amérique.

Potirons et Giraumons exceptés, les Courges sont peu en faveur en France. En Angleterre, la Courge à la moëlle (Vegetable marrow) qui est une variété de la Courge des Patagons, est un légume des plus populaires et très bon marché. La Courge à la moëlle n’est mangée qu’à l’état très jeune ; elle aurait été introduite en Angleterre vers 1700, selon les uns. Cependant Sabine dit que la plante était expérimentée en 1816 dans le jardin de la Société d’Horticulture de Londres. « Je n’ai pu obtenir, dit-il, que des renseignements incertains au sujet de cette Gourde ; elle est certainement nouvelle dans ce pays et je crois qu’elle a été introduite de semences apportées par un moine de l’Inde ou probablement de la Perse où elle est appelée Cicader[495]. » Les Anglais font une grande consommation de cette « moëlle végétale ».

[495] Hortic. Trans. t. II (1re série), p. 255.

La Coucourzelle ou Courge d’Italie, envoyée d’Italie à M. le duc d’Orléans en 1820, fut d’abord cultivée au Potager de Versailles. Un certain nombre de Courges, qui peuvent être rangées dans la classe des Potirons, viennent d’Amérique. La Courge de l’Ohio a été importée des Etats-Unis vers 1820 et reçue en France, d’Angleterre, en 1845. Le Bon Jardinier de 1840 note comme nouveauté la Courge sucrière du Brésil. Cette Courge fut donnée à M. Vilmorin en 1839, par M. Quetel, de Caen. La Courge de Hubbard, introduite en 1857 par Grégory, figure en 1868 dans le catalogue Vilmorin comme originaire des Etats-Unis. Parmi les races très modernes, nous voyons le Potiron rouge vif d’Etampes (Vilmorin, 1873-74) ; le Potiron Mammouth (Vilmorin, 1894-95), à chair supérieure à celle du P. jaune gros qui est la variété la plus populaire aux environs de Paris. Le Potiron bronzé de Montlhéry, nouveauté de 1895, etc. D’après Naudin, le Potiron Turban (ou Giraumon) est probablement d’origine américaine.

Chargement de la publicité...