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Histoire des légumes

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RAIPONCE

(Campanula Rapunculus L.)

La Campanule Raiponce a été autrefois beaucoup plus cultivée qu’aujourd’hui pour sa blanche racine à chair croquante mangée en salade crue ou cuite. Pourquoi cette excellente salade de nos pères est-elle délaissée maintenant au point que sa culture est réduite à peu de chose ? Admettons un changement dans les goûts culinaires qui, par contre, a fait admettre sur les meilleures tables des salades anciennement abandonnées aux pauvres gens, comme le Pissenlit et la Mâche.

Cette Campanule bisannuelle à racine pivotante et charnue croît à l’état sauvage en Allemagne, Angleterre, Suisse, Nord de l’Italie ; elle est particulièrement commune en France sur la lisière des bois humides, au bord des chemins, dans les prairies et pâturages. La racine, déjà mangeable, mais assez maigre de la plante sauvage, a subi sous l’influence de la culture l’accroissement en taille et en grosseur que donne toujours un sol riche et meuble.

Cette culture peut remonter à quelques siècles. Il n’en est pas question durant le moyen âge. Nous ignorons aussi si les Anciens ont fait usage de la Raiponce que Fée assimile avec doute à une plante de Pline, l’Erineon[218].

[218] Hist. nat., XXIII, 65.

A partir du XVe siècle on voit la Raiponce assez fréquemment citée dans les poésies du temps.

Un poème du roi René d’Anjou, Les Amours du bergier et de la bergeronne, donne la description d’un repas rustique où figure la Raiponce sauvage :

« Du sel et aussi des noisetes,
Et foison sauvages pommetes,
Des responses et des herbetes,
Des champignons[219] ».

[219] Œuvres du roi René, tome II, p. 121.

L’auteur d’un curieux et rare traité sur l’enfer et les démons, daté de 1508, explique que les gourmands, s’ils sont damnés, seront punis par où ils ont péché. Pour eux plus de mets délectables, plus de ces bonnes salades de Cresson, de Laitue et de Raiponce assaisonnées de Cerfeuil :

« Serfueil n’y aura ne cresson
Ne lettue aussi ne responce[220]. »

[220] Le Livre de la Déablerie, l. II, ch. 22.

On peut inférer de ce document que la salade de Raiponce était un aliment recherché dès le XVe siècle. Rabelais, au milieu du XVIe siècle, classe la Raiponce parmi les mets usités[221]. Pena et Lobel, Matthiole, l’indiquent cultivée dans les jardins. Dalechamps dit : « on la sème aux jardins pour avoir une racine plus grande. » Pour voir l’importance de la Raiponce dans l’alimentation ancienne, il faut lire un passage d’Olivier de Serres (1600) qui en fait grand éloge :

[221] Pantagruel, l. IV.

« Il sera bien à propos d’en apprivoiser au jardin pour en avoir de réserve, à cause de la bonté de telle plante désirable avec raison, se mangeant avec appétit, tout ce qu’elle produit et de racine et de feuille et crud et cuit[222]. »

[222] Théâtre d’Agriculture, 1re éd., p. 531.

Au XVIIe siècle, la Raiponce, salade d’automne et d’hiver, était très en vogue. D’après le cuisinier La Varenne, on la servait dans les repas d’apparat. La culture a diminué à partir du XVIIIe siècle. Pourtant, il y a une centaine d’années, elle était encore commune sur les marchés et largement cultivée au moins en France[223]. D’ailleurs Raiponce, Mâche et Pissenlit ont toujours été des salades françaises appréciées surtout par nos compatriotes.

[223] Hortic. Trans. t. III (1820), p. 19.

Raiponce est en France le nom le plus répandu. Il y a d’autres synonymes moins connus : bâton de Jacob, cheveux d’évêque, pied de sauterelle, rampon ; ce dernier, analogue à l’anglais rampion, viendrait de l’italien ramponzo-olo. Selon le Dictionnaire étymologique de Hatzfeld et Darmesteter, il n’est pas probable que le radical du mot Raiponce soit le latin rapum, rave, car l’orthographe primitive est toujours responce. Au commencement du XIXe siècle, on écrivait encore reponce. Les noms latins ou néo-latins donnés à la Raiponce par les botanistes de la Renaissance : rapunculus (rapontium parvum de Gerarde) auront été forgés par analogie d’après le mot français et, effectivement, la racine de la plante ressemble bien à une petite Rave.

En somme, Raiponce, écrit aussi responce et reponce, est le même mot que Rhapontic, racine d’une Rhubarbe originaire des bords du Pont-Euxin. La syllabe rai représente le latin Rha de Rhaponticum ; la syllabe représente le Rhe de Rheum (Rhubarbe) ; res est l’équivalent graphique de re et ponce découle régulièrement de pontic[224].

[224] Communication due à l’obligeance de M. J.-A. Leriche, professeur honoraire de l’Université.

Sans aucun doute, on peut attribuer à l’entrée de la Pomme de terre dans l’alimentation générale la disparition plus ou moins complète de nos jardins de trois racines comestibles des plus usitées autrefois : Chervis, Panais, Raiponce.

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