Histoire des légumes
RADIS
(Raphanus sativus L.)
Evidemment ce n’est pas pour leur valeur alimentaire que sont cultivés les jolis petits Radis au frais coloris rose ou écarlate. L’art culinaire les accepte comme un hors-d’œuvre appétissant en même temps qu’une décoration pour les tables. Gros Radis d’été, Radis noir d’hiver, à la chair ferme et piquante, ne sont aussi que des condiments apéritifs… pour ceux qui possèdent l’intégrité de leurs facultés digestives.
Les Radis appartiennent au genre Raphanus de la famille des Crucifères, voisin des Sinapis (Moutarde) et des Brassica (Choux, Colza, Navets-Raves). Comme ces dernières plantes, il comprend deux classes de variétés : des Radis à graines nombreuses et oléagineuses, mais dont la racine n’est pas charnue. On les cultive en Chine, en Orient, pour extraire l’huile des graines. Nos Radis ne sont que des plantes potagères ; chez ceux-ci, la base de la tige renflée se confond avec la racine pivotante pour former une sorte de tubercule comestible globuleux, ovoïde ou allongé.
L’origine du Radis est incertaine. On peut soupçonner le Raphanus maritimus d’être son type primitif. Dans tous les cas, cette espèce sauvage commune dans la région méditerranéenne est la plante la plus voisine de notre Radis, tant par sa racine vivace qui produit la seconde année un pivot assez gros, allongé, que par l’important caractère de son fruit, presque semblable à la silique ventrue et subéreuse du Radis cultivé.
Pour le botaniste J. Gay, le Radis des anciens Grecs n’est autre que le Raphanus maritimus dont l’habitat s’étend de Gibraltar à la Mer Caspienne[322]. L’origine géographique de la plante concorde avec les données des anciens auteurs. Ce serait le Raphanis agria de Dioscoride, lequel, selon Pline, se nommait Armon ou Armor dans le Pont, d’où l’Armoracia des Latins, nom qui a été abusivement appliqué par Pline au grand Raifort (Cochlearia Armoracia). La linguistique reconnaît une origine arienne au terme Armoracia. Le mot existe dans l’arménien et le cymrique avec le sens de racine. L’identification de l’Armoracia avec notre Radis paraît d’autant plus juste que les Italiens ont conservé le mot Ramoraccio pour désigner cette plante potagère, tandis qu’ils ne connaissent le Raifort que sous le nom de Raffano.
[322] De Candolle, Géographie botanique, II, p. 826.
D’après Linné, beaucoup d’auteurs ont indiqué le Radis comme originaire de l’Extrême-Orient. Il est vrai que la Chine et le Japon possèdent depuis la plus haute antiquité de nombreuses races de Radis, les unes oléifères, d’autres comestibles, quelques-unes à racines énormes. Une telle abondance de formes n’a pu se produire qu’à la suite d’une longue culture. En effet, le Radis est mentionné dans le Rhya, ouvrage chinois de l’an 1100 avant notre ère[323].
[323] Bretschneider, Botanicon Sinicum, t. II, p. 39.
Si la culture du Radis est aussi très ancienne dans l’Europe méridionale, où doit-on placer le point de départ de sa transformation en plante potagère ? Le transport du Radis cultivé du midi de l’Europe en Chine au travers toute l’Asie, dans les temps non civilisés, serait une exception peu probable à une certaine loi historique : les apports de plantes cultivées se sont faits généralement en sens contraire. Ils ont marché de l’est à l’ouest comme les invasions humaines. L’habitat du R. maritimus paraissant s’étendre à l’est peut-être jusqu’à l’Inde ou à la Chine, certains sujets venus en terre très fertile ont pu devenir accidentellement comestibles à la fois en Extrême-Orient et dans l’Europe méridionale.
Plusieurs botanistes soupçonnent que le Raphanus sativas ou Radis cultivé est simplement un état particulier, à grosse racine et à fruit non articulé du Raphanus Raphanistrum, Ravenelle ou Raveluche, plante très commune de nos moissons, souvent confondue avec la Moutarde sauvage ou Sanve, et qu’on trouve à l’état spontané dans toute l’Europe et l’Asie tempérées[324].
[324] De Candolle, Orig. des pl. cultivées, p. 25.
Certaines expériences de M. Carrière paraissent donner quelque créance à cette hypothèse. Vers 1865, M. Carrière, alors chef des pépinières au Muséum, entreprit la transformation du R. Raphanistrum en plante potagère. A la quatrième génération seulement, il aurait obtenu des Radis à racine charnue, de forme, de grosseur et de coloris variés, dont il a donné des figures bien faites pour étonner[325]. Mais il y a tout lieu de croire que les Radis de M. Carrière naïvement baptisés du nom de Radis de famille, à cause de leur grosseur, étaient des produits hybrides et le résultat d’un pollen étranger de hasard transmis par la voie éolienne ou mieux par les nombreux insectes qui butinent sur les fleurs des Crucifères. On eût aimé que l’expérimentateur montrât en même temps les états successifs par lesquels ses semis ont dû passer, s’il y a eu véritablement amélioration progressive. Une contre-expérience tentée par M. Decaisne, professeur au Muséum, et conduite avec tout le soin désirable, a été suivie pendant plusieurs années par M. D. Bois, aujourd’hui assistant de la chaire de culture au Muséum, de qui nous tenons ce détail ; elle n’a donné que des résultats négatifs.
[325] Journal Soc. imp. d’Hort. 1869, p. 253, 329.
La déviation accidentelle du type obtenue par M. Carrière n’a pas été remarquée dans la nature. Pourtant le Raphanus Raphanistrum habite les champs cultivés, en terrain fumé, labouré, travaillé, c’est-à-dire que la Ravenelle croît naturellement dans des conditions très favorables aux variations spontanées et identiques à celles créées par le chef des pépinières du Muséum pour ses expériences culturales.
Deux caractères botaniques de premier ordre contredisent en outre la filiation présumée du Radis dans l’hypothèse de M. Carrière. Le Radis cultivé diffère du R. Raphanistrum par sa silique ventrue, non articulée, par la couleur de ses fleurs blanches ou violettes, jamais jaunes. A ces arguments s’ajoute un caractère physiologique : la délicatesse du Radis sous nos climats indique qu’il doit procéder plutôt d’une forme méridionale que d’une plante indigène aussi rustique qu’est la Ravenelle sauvage. Comme tant d’autres plantes domestiques, le Radis serait-il un produit hybride et le résultat d’un croisement entre R. maritimus et R. Raphanistrum ? ou bien serait-il dérivé d’une forme asiatique aujourd’hui disparue de la nature sauvage ? La grande analogie qui existe entre le Radis cultivé, le Mougri de Java, les Radis oléifères d’Extrême-Orient et de l’Inde donnerait créance à cette dernière hypothèse.
Les Anciens ont possédé plusieurs sortes de Radis qu’il n’est guère possible d’identifier. Hérodote, au Ve siècle avant notre ère, appelle surmaia un Radis dont les constructeurs de la grande pyramide d’Egypte ont fait une énorme consommation constatée par une inscription lapidaire qui se voyait encore de son temps.
Des archéologues ont signalé le Radis figuré sur les murs du temple de Karnak, dans l’Ile de Philæ (Haute-Egypte). Une peinture de Pompéi représente une botte de Radis ronds en compagnie d’autres légumes[326].
[326] Pitture d’Ercolano, t. II, p. 52.
On suppose que radicula et syriaca radix de Columelle et de Pline, à chair tendre et douce, sont nos petits Radis roses à forme globuleuse, pendant que la Rave du Mont-Algide (algidense), très allongée, à chair translucide, serait la forme longue de nos Radis[327]. Il est prudent de faire des réserves sur ces identifications, vu la brièveté et l’insuffisance des descriptions anciennes.
[327] Columelle, l. X, c. 114 ; l. XI, c. 3. — Pline, l. XIX, 26.
Le Radis ne paraît pas avoir été largement répandu au moyen âge dans le Nord de l’Europe. En Italie et en général dans le Midi, il devait être plus apprécié. Au XVIIIe siècle, les variétés italiennes étaient réputées les plus délicates pour la table. Nous constaterons, à ce propos, que les légumes aqueux rafraîchissants, les salades et les plantes condimentaires destinées à exciter les fonctions digestives sont entrés de préférence au potager des méridionaux, tandis que le besoin d’une alimentation azotée a obligé les habitants des climats froids à cultiver principalement les légumes très nourrissants, les racines féculentes, les Légumineuses.
Il faut arriver au XVIe siècle pour voir distinctement le Radis dans les Histoires des Plantes des premiers botanistes qui l’ont décrit et figuré. Comme de nos jours, il était mangé avant le repas pour stimuler l’appétit. C’est le Raphanus longus de Tragus, Matthiole, Lonicer et Camerarius ; le R. purpureus minor de Lobel ; le Radicula sativa minor de Dodoens. Ruel, ancien botaniste français (1536), dit que l’on sert quotidiennement cette racine sur les tables sous le nom vulgaire de Radis. Cependant l’appellation usuelle était Raifort cultivé ; le Cran (Cochlearia Armoracia), qui est le véritable Raifort, portait le nom de Raifort sauvage. Entre ces plantes Crucifères voisines : Raifort, Radis et Raves, il y a eu une perpétuelle confusion de noms.
Actuellement le Raifort des Parisiens n’est autre chose que le Radis noir. Les Radis longs sont encore nommés Raves de jardin par les jardiniers.
Au XVIIe siècle le Radis de tous les mois commençait à être largement cultivé. Le Jardinier françois (1651), La Quintinie (1690), le Jardinier solitaire (1704) le sèment sur couche à chaque décours de la lune. Tous l’appellent Raifort ou petite Rave. Plus tard le terme Radis fut réservé aux petits Radis ronds.
L’Italie semble avoir fourni les premiers Radis rouges, tel le Raifort purpuré de Lobel, figuré aussi par Matthiole et Dalechamps. Gérarde, auteur anglais (1597), représente deux variétés de Radis, une à racine globuleuse ; l’autre à racine oblongue. Parkinson (1629) ne connaissait que le Radis noir d’hiver et un Radis blanc dont il existait plusieurs formes.
C’est que nos jolies variétés si agréables à l’œil, appétissants Radis tendres, croquants, à l’eau savoureuse, sont des conquêtes modernes du jardinage, et surtout du jardinage français. L’abbé Rozier, à l’article Rave de son Cours d’Agriculture qui parut en 1789, fixait à 30 années en arrière l’apparition des variétés perfectionnées de Radis. Le Radis typique de l’ancien temps paraissant avoir été un long Radis blanc, gris ou rougeâtre, médiocre au point de vue culinaire.
D’après Miller, le Radis rouge rond ou rose n’aurait été introduit de France en Angleterre qu’en 1802.
De Combles, en 1749, connaissait trois variétés de petites Raves, c’est-à-dire de Radis longs blancs ou rouges et huit sortes de radix, comprenant sous ce terme les petits Radis ronds, les gros Radis d’été et les Radis noirs d’hiver. Des Radis de table, il existe aujourd’hui des variétés sans nombre dont les noms remplissent les catalogues des grainiers. Le petit saumoné, le rose demi-long, le rose à bout blanc, le long écarlate, le rond écarlate et autres ont été tour à tour les favoris de la mode. Nous ne connaissons pas de plus ravissant tableau que la collection des Radis modernes figurée dans une planche coloriée qui accompagne un article sur ce légume dû à la plume autorisée de M. Henri de Vilmorin[328]. Quelles merveilleuses nuances dans les frais coloris ! Quelle diversité dans les formes, depuis le long écarlate, Rave en miniature, jusqu’au rose à bout blanc terminé par une fine queue de rat qui est la véritable racine.
[328] Revue hortic. 1898, p. 84.
Aujourd’hui, le type recherché serait le demi-long, à bout en massue, semblable à un petit Navet Marteau. Les maraîchers connaissent le peu de fixité de ces sous-variétés qu’ils maintiennent difficilement pures, le double jeu de la fécondation croisée et de la variation naturelle les transformant sans cesse.
Quelques Radis d’agrément, sans importance économique, méritent d’être signalés. Ce sont des introductions récentes.
Le Radis rose d’hiver de Chine a été introduit par les missionnaires en 1837 et propagé par les soins de M. l’abbé Voisin. Il figure comme nouveauté dans le Bon Jardinier de 1840.
Le Radis rouge monstrueux de Kashgar, originaire de l’Asie Centrale, a été réintroduit par M. Paillieux en 1890.
En 1874 fut mis au commerce sous le nom de Raphanus acanthiformis un énorme Radis blanc plus tendre que le Radis noir, simple variété du R. sativus cultivée au Japon sous le nom de Daïkon. Dans ce pays on le consomme cru, cuit ou confit dans le sel et il s’en fait une énorme consommation. La presse horticole a beaucoup parlé de ces Radis exotiques que l’on peut manger en guise de Navets dont ils ont assez le goût. MM. Paillieux et Bois ont consacré aux diverses variétés de Radis du Japon ou Daïkon un substantiel chapitre de leur Potager d’un Curieux.
C’est encore à M. Paillieux que l’on doit la réintroduction du Radis serpent (R. caudatus L.) dans nos cultures. C’est une espèce distincte dont les siliques, extraordinairement longues, sont comestibles ; elles se consomment à la croque au sel comme nos Radis dont elles ont le goût. La plante est cultivée dans l’Inde et surtout à Java où elle paraît spontanée. Le nom local est Mougri. Le Radis serpent a été signalé pour la première fois par Linné en 1767 dans son premier Mantissa (p. 95).
Raphanus, le nom latin scientifique du Radis, vient du grec ; ce nom fait allusion à la rapidité de la croissance de la plante. Dans toutes les langues européennes le nom du Radis est dérivé du latin radix, racine. L’ancien français présente les formes suivantes, depuis le XIIe siècle : raïs, raïz, rait, raix, radix.