Histoire des légumes
CÉLERI
(Apium graveolens L.)
Les Céleris cultivés sont des races jardinières issues de l’Ache odorante (Apium graveolens L.), Ombellifère semi-aquatique, peut-être vénéneuse, botaniquement apparentée aux genres Persil, Berle, Ciguë, Œnanthe et autres de la tribu des Cicutées.
Parmi nos plantes potagères on ne saurait donc trouver un plus remarquable exemple des changements avantageux que peut produire la culture sur une plante sauvage dangereuse qu’elle a transformée ici en légume savoureux, très sain, quoique de digestion un peu difficile.
L’Ache ou Céleri sauvage est une herbe bisannuelle, à odeur aromatique forte et désagréable, d’une saveur âcre et brûlante ; ses feuilles luisantes, très découpées, rappellent bien l’aspect du Céleri cultivé, mais la plante sauvage est plus drageonnante, se rapprochant par là des variétés de Céleris dits à couper ; en outre, les feuilles de l’Ache ne présentent pas les côtes larges et épaisses qui rendent comestible le Céleri cultivé ni surtout le renflement bulbeux de la base de la tige du Céleri-Rave.
L’Ache odorante croît abondamment dans les endroits marécageux du littoral des mers européennes. Son aire de dispersion est très étendue comme il arrive fréquemment chez les plantes aquatiques ou semi-aquatiques qui ont une aire moyenne plus grande que les autres. L’Ache se trouve depuis la Suède au Nord jusqu’à l’Algérie au Sud ; en Egypte, en Abyssinie ; en Asie depuis le Bélouchistan jusqu’aux montagnes de l’Inde anglaise[35]. Des botanistes l’ont rencontrée en Fuégie, en Californie et dans la Nouvelle-Zélande. Elle manque à la flore parisienne.
[35] De Candolle, Origine des pl. cultivées, 4e éd., p. 71.
On peut suivre l’histoire du Céleri sauvage et cultivé à travers les âges.
Quoique la culture du Céleri, comme plante alimentaire, ne soit pas ancienne, l’Ache des marais qui en est incontestablement la forme sauvage avait été remarquée dès la haute antiquité et servait à divers usages. Les Grecs et les Romains l’employaient comme plante funéraire. Le moyen âge en fit une plante médicinale importante.
Enfin, au XVIe siècle, l’Ache, sous le nom italien de Céleri, devint légume.
Les commentateurs admettent que la plante nommée Selinon dont il est déjà parlé dans l’Odyssée d’Homère et plus tard chez les poètes grecs Pindare, Aristophane, Anacréon, Théocrite, est l’Ache odorante, de même que l’Eleioselinon de Théophraste et de Dioscoride. Le Céleri sauvage jouait alors un rôle dans les cérémonies funèbres. On en couronnait les morts, on en plantait sur les tombeaux, d’où le dicton « il ne lui manque plus que l’Ache » pour indiquer l’état désespéré d’un malade. Cet usage s’étendait même en dehors du monde gréco-romain. On a trouvé dans des tombeaux de l’ancienne Egypte des guirlandes composées de rameaux de Céleri entrelacés avec des pétales de Lotus bleu[36].
[36] Loret, Flore pharaonique, 2e éd., p. 78.
Dans Virgile et Horace, l’Ache porte le nom latin d’Apium. Un vers d’Horace nous apprend que l’Ache associée aux Roses et aux Lis faisait l’ornement des repas. Mais cet Apium pourrait bien être le Persil, de même que l’Ache verte donnée comme récompense en Grèce, sous forme de couronnes, aux vainqueurs des jeux Néméens.
Il est bien difficile d’identifier certains noms donnés aux plantes par les Anciens et d’en établir la concordance avec les dénominations modernes des végétaux. Les mots Selinon et Apium désignent en grec et en latin tantôt l’Ache, tantôt le Persil, autre espèce du genre Apium que nous distinguons par un nom particulier. Les Romains, si superstitieux, auraient-ils admis dans leurs festins une plante funéraire d’ailleurs malodorante et de mauvais présage ? C’est assez douteux, tandis que le Persil par son gai feuillage et son arome pouvait remplir plus agréablement le rôle de plante décorative des festins. La coutume d’orner les plats et certains mets de branches de Persil ne serait-elle pas une tradition perpétuée d’un usage antique ?
Pline et Palladius emploient encore le nom d’origine grecque Helioselinum qui veut dire Ache ou Persil de marais. Il s’agit bien du Céleri cette fois. Pline distingue l’Ache sauvage et la variété cultivée dont on fait blanchir les feuilles, dit-il, ce qui diminue beaucoup l’amertume. On ne peut cependant conclure de cette phrase que l’Ache était largement cultivée pour l’alimentation. L’Edit du maximum promulgué en 301, sous Dioclétien, qui tarifie toutes les plantes légumières mises en vente sur les marchés de l’empire romain, ne mentionne pas le Céleri. L’antiquité avait d’ailleurs une autre Ombellifère très voisine pour remplacer l’Ache des jardins, c’était le Maceron (Smyrnium Olus-atrum L.), plante aujourd’hui disparue des jardins. Bien qu’inférieur en qualité au Céleri, le Maceron a été pendant plus de quinze siècles l’objet d’une culture importante. On a consommé, jusqu’au XVIe siècle, ses feuilles, ses pétioles blanchis à la façon du Céleri et ses racines volumineuses en guise de Céleri-Rave. Toutefois l’art culinaire a pu se servir très anciennement, comme condiment, de quelques variétés d’Ache adoucies par la culture ou naturellement dépourvues d’âcreté, car on a remarqué une grande diversité de saveur dans l’Ache sauvage. Le botaniste Forster dit que les matelots du capitaine Cook ont employé l’Ache comme plante antiscorbutique lorsque ce navigateur explora la Nouvelle-Zélande, ce qui indique qu’elle n’est pas toujours vénéneuse.
L’Ache reparaît au moyen âge sous la forme de plante médicinale très estimée. On lui reconnaît des propriétés médicamenteuses contre les opilations, c’est-à-dire les obstructions des conduits naturels. Jusqu’à une époque assez rapprochée de nous, le Céleri sauvage a passé pour être un fondant et un diurétique. D’après l’Hortulus du moine Strabo (IXe siècle), P. de Crescence (XIIIe siècle), Barthélemy de Glanville (XIVe siècle), le Jardin de Santé, le Grant Herbier (XVe siècle) : la commune Ache ouvre les conduits du foie et de la rate, fait bien uriner, brise la pierre et la gravelle, vaut contre jaunisse, hydropisie, morsure de bêtes venimeuses, etc.
Avec tant de qualités il n’est pas étonnant que l’on ait planté l’Ache dans tous les jardins. Toutefois, personne ne paraît l’avoir cultivée comme plante potagère avant le milieu du XVIe siècle, et encore tous les botanistes de la Renaissance : Fuchs (1542), Tragus (1552), Matthiole (1558), Dodoens (1583), Dalechamps (1587), Camerarius (1588), Pena et Lobel (1570), Gerarde (1591), Clusius (1601), ne connaissent que l’Ache médicinale. Même le nom donné par Bauhin au Céleri : Apium vulgare ingratus (sic) n’indique pas que l’on en faisait grand cas pour la cuisine au commencement du XVIIe siècle.
Pendant ces mille ans de culture à titre de plante médicinale, le type varia peu sans doute, cependant l’« ébranlement » finit par se produire et donna naissance aux variétés de Céleris alimentaires.
Le Céleri creux ou Céleri à couper, encore très voisin de la forme sauvage, est la première amélioration obtenue par la culture. Dans cet état, la plante a perdu l’odeur repoussante et l’âcreté qui la rendaient suspecte, mais les tiges sont creuses et filandreuses. On utilise seulement les feuilles et les tendres sommités pour assaisonner les bouillons, ragoûts et comme fourniture de salade.
Bruyerin-Champier (De re Cibaria, 1562), signale l’emploi du Céleri creux dans la cuisine comme plante condimentaire aromatique. Les différentes éditions de la Maison rustique, de Ch. Estienne, mentionnent aussi le Céleri creux, non au chapitre des plantes potagères, mais avec les fines herbes. Olivier de Serres (1600) ne connaissait pas davantage les grandes variétés à côtes, c’est-à-dire à pétioles devenus charnus et tendres après blanchiment. Il cite l’Ache des jardins avec le Persil, Cerfeuil et autres herbes destinées aux assaisonnements.
L’apparition du mot Céleri dans la langue horticole ou culinaire coïncide justement avec l’introduction des variétés de Céleri à côtes pleines, originaires d’Italie, et les seules véritablement comestibles.
Dans ce nouveau perfectionnement du Céleri creux ou à couper, ce sont les pétioles creusés en gouttières qui ont pris un développement anormal et constituent les « côtes » de Céleris ; en même temps, la partie inférieure de la tige sur laquelle s’insèrent ces pétioles modifiés a grossi proportionnellement de manière à former ce qu’on appelle le « cœur » du Céleri[37].
[37] Duchartre, Journ. Soc. nat. Hortic. Fr. 1885, p. 674.
Selon Targioni-Tozetti, auteur autorisé, on cultivait le Céleri en Italie, pour la table, dès le XVIe siècle. Comme tous les méridionaux, les Italiens ont toujours eu un goût prononcé pour les herbes à forte saveur. La longue culture de l’Ache pour usages médicinaux a pu leur suggérer l’idée d’employer dans la cuisine une plante aussi fortement aromatique, mais on va voir que, même au XVIe siècle, le Céleri était loin d’être un légume populaire en Italie. Le poète Alamanni (chant V de sa Cultivazione, qu’il termina en 1546) note l’Apium comme plante médicinale et adresse des louanges à un autre végétal Ombellifère de genre voisin, au Macerone. Ainsi le Maceron était alors cultivé en Toscane de préférence au Céleri. Vers le même temps, Soderini et Agostino Riccio (1596) disent : « Le Céleri (Sedano) n’est guère en usage dans la cité de Florence ».[38] En Angleterre, Parkinson (1629) considère le « Sellery » comme une rareté. Mais du temps de Ray (1686) il était bien connu. Cet auteur montre que la culture du Céleri a commencé en Italie et s’est étendue graduellement à la France et à l’Angleterre. Selon Van den Groen, le « Seleri » était assez répandu en 1669 dans le Brabant.
[38] Cenni storici, 2e éd., p. 50.
En France, d’après le Catalogue de Guy de la Brosse, on cultivait en 1641 au Jardin royal des plantes de Paris, en même temps que l’Ache sauvage, l’Apium Italorum seu Celerum c’est-à-dire l’Ache des Italiens ou Céleri. Le Jardinier françois (1651) cite le « Sceleri » d’Italie parmi les salades. Mais, mieux que les auteurs horticoles, les livres de cuisine nous renseignent sur l’emploi alimentaire des variétés primitives de Céleris à côtes qui paraissent avoir été recherchées d’abord comme friandise, après préparation spéciale.
Le fameux Cuisinier françois de La Varenne (1651) attache peu d’importance au Céleri ; c’est pour lui un entremets de carême qui se mange cru ou cuit avec huile, poivre et sel. Un autre traité très estimé : Le Maître d’Hôtel (1659) s’étend plus longuement sur le « Sellery » des Italiens, qu’il appelle aussi Apuy, nom évidemment dérivé de l’Apium latin.
Il donne une seule recette qui est très curieuse : « Prenez des cottons (côtes) d’Apuy bien blancs, ratissez-les comme des raves et coupez-les en longueur environ de six doigts. Liez-les par petites bottes et faites-les cuire dans l’eau avec un peu de sel. Lorsqu’ils seront cuits tirez et égouttez. Faites-les ensuite sécher entre deux serviettes : étant secs, dressez-les sur une assiette et garnissez-la de citrons, de grenades et betteraves cuites. »
Comme on le voit, le Céleri n’avait pas dans la cuisine ancienne l’importance qu’il a prise de nos jours. Il a fallu qu’une sélection prolongée perfectionnât les variétés primitives, à côtes trop maigres et à cœurs peu fournis pour que ce légume puisse entrer dans les préparations culinaires sérieuses.
L’idéal était d’obtenir des races non drageonnantes, à côtes nombreuses, serrées, épaisses, à chair ferme et cassante, non filandreuse et à cœur très plein.
Ces améliorations, qui se poursuivent encore aujourd’hui, commencèrent vers le XVIIIe siècle.
Alors on ne se contenta plus de manger le Céleri en hors-d’œuvre ou en salade ; les cuisiniers purent l’accommoder au jus, en ragoût, à la sauce blanche.
Dès l’époque de La Quintinie, qui décéda en 1690, on connaissait les divers procédés destinés à attendrir ce légume par l’étiolat : buttage, empaillage. Le jardinier de Louis XIV pratiquait déjà la culture en tranchées. Il ne connaissait qu’une sorte de Céleri. Nous sommes plus riches. En 1904, la 3e édition des Plantes potagères de Vilmorin-Andrieux décrivait plus de 30 variétés suffisamment distinctes ; les différences portant surtout sur les découpures des feuilles, la grosseur et la couleur des pétioles, la taille et la vigueur de la plante.
Les variétés anglaises et américaines sont innombrables.
Nous n’avons pas trouvé de noms ni de représentations iconographiques des variétés primitives de Céleri à côtes. De Combles cite le Céleri long ou tendre, le Céleri court ou dur, enfin le Céleri plein qui ne différait du long que par sa côte pleine et charnue. Les deux premières sortes avaient leurs côtes creuses[39].
[39] Ecole du Jardin Potager, 1749, t. I, p. 321.
Malgré ce défaut, c’est le Céleri long qui a été le plus cultivé, à cause de sa grandeur, du moins jusqu’aux premières années du XIXe siècle. On reprochait au Céleri plein, mal fixé et dur, de dégénérer facilement. Pourtant le catalogue d’Andrieux pour 1778 annonce d’abord le Céleri plein, ensuite le panaché rose. Toutes ces sortes, éliminées par d’autres plus perfectionnées, furent remplacées par un C. plein blanc qu’on améliora encore et qui fut le plus généralement cultivé dans la région parisienne pendant le cours du siècle dernier. Le Bon Jardinier de 1812 signale un C. turc, variété nouvelle originaire de Prusse. C’était une sous-variété du plein commun mais à côtes plus charnues, plus tendres, d’une saveur moins aromatique ; elle figurait sur les catalogues de Vilmorin depuis 20 ans. Le C. turc a été beaucoup cultivé ; vers 1890 on le disait à peu près disparu.
D’après les ouvrages horticoles du temps, on cultivait, vers 1825, le grand Céleri long, le plein blanc, le turc, le nain frisé. Le Bon Jardinier de 1825, place au premier rang le plein blanc, puis le turc, le frisé et quelques variétés nouvelles à côtes colorées ; le plein rouge, le plein rose, le gros violet de Touraine. Ce dernier est resté dans les cultures ; il a produit une multitude de sous-variétés colorées. Vers 1830, il passait pour le plus remarquable des Céleris par l’épaisseur de ses côtes et le volume entier de la plante. Nous avons maintenant un Céleri violet à grosse côte (Vilmorin 1895), issu du Céleri Pascal ; un Céleri plein doré à côte rose (Vilm. 1896) et beaucoup d’autres Céleris colorés d’origine anglaise. Il est à noter que l’Ache sauvage des terrains salés des bords de la mer, son habitat préféré, présente souvent aussi un coloris intense rouge ou violet.
Dans la seconde moitié du siècle dernier, les maraîchers parisiens avaient adopté et estimaient beaucoup le C. court hâtif, à cœur très plein, qu’ils appelaient à tort Céleri turc, nom qui doit être réservé à une forte variété du C. plein blanc.
Les anciennes variétés de Céleris avaient gardé de l’état sauvage une fâcheuse tendance à émettre des rejets ou bourgeons adventifs, au grand détriment de la grosseur des parties comestibles : le cœur et les côtes ; aussi les semeurs s’appliquèrent-ils à produire des races sans drageons. Vilmorin annonçait en 1877, comme une amélioration notable, son C. plein blanc court à grosse côte ne drageonnant pas.
Un autre desideratum était d’obtenir l’étiolat naturel du Céleri, car le blanchiment a l’inconvénient de faire souvent pourrir les plantes.
On doit à un habile maraîcher d’Issy (Seine), M. G. Chemin, un C. plein blanc doré Chemin dont les côtes prennent naturellement une teinte jaune pâle de sorte que ce Céleri n’a besoin d’être soumis que peu de temps à l’étiolat. Cette nouvelle race, trouvée et sélectionnée par M. Chemin en 1875, fut mise au commerce en 1885, date de l’introduction d’un Céleri analogue, le C. plein blanc d’Amérique à côtes naturellement blanches et intéressant par la teinte argentée de son feuillage.
Une nouveauté de 1890, le C. Pascal, à côtes vertes, mais très tendres et blanchissant facilement, réunit peut-être toutes les conditions requises pour un Céleri parfait : étiolat rapide, côtes épaisses et charnues, longue conservation.
Quelle piteuse figure ferait le Céleri cultivé il y a 200 ans par La Quintinie à côté de ce produit perfectionné !
Chez d’autres sortes, la variation a modifié aussi le feuillage qui est devenu curieusement découpé comme dans le C. Corne de Cerf (1891), le C. plein à feuille de Fougère (Vilm. 1894) ; ou bien frisé dans le C. plein blanc doré et frisé (Rivoire, 1906).
Il y a des races géantes, moyennes, courtes et naines. Parmi ces dernières, citons un Céleri de fantaisie, le C. Scarole (Forgeot, 1886) qui ne dépasse pas 10 à 12 centimètres de hauteur.
Céleri-Rave.
Un second type de Céleri, dont l’importance n’est pas moindre pour l’art culinaire, le Céleri-Rave, est celui qui a été le plus profondément modifié par cette mystérieuse faculté qu’ont les plantes de varier sous l’influence de la culture. Ici, les pétioles creux et amers, comme à l’état sauvage, sont inutilisables. La variation s’est portée sur la base de la tige et le haut de la racine amenant un développement anormal de ces parties de la plante qui se sont réunies pour former une tubérosité à chair moelleuse constituant un mets très fin.
Contrairement à l’opinion généralement admise, le Céleri-Rave est plus ancien que le Céleri à côte. Ce qui l’a fait croire d’origine récente, c’est que sa culture a toujours été localisée et peu étendue. Les marchés ne le reçoivent que depuis un petit nombre d’années.
Les Anciens, qui consommaient les racines moins succulentes du Maceron, n’ont pas eu l’idée de développer la souche déjà volumineuse du Céleri sauvage pour la rendre comestible. Qui pourra jamais dire où et quand s’est fait ce perfectionnement ?
Quelques botanistes de la Renaissance, en particulier Ruellius (De naturâ stirpium, 1536) témoignent que l’on mangeait de leur temps la racine de l’Ache soit crue, soit cuite. L’Italie a probablement commencé la culture de ce légume. Le savant Porta dit avoir vu le Céleri-Rave qu’il appelle Apium capitatum dans les jardins de Theano, Santa-Agatha et autres lieux en Apulie. Il décrit le bulbe comme étant de la grosseur de la tête d’un homme, et d’un goût doux, agréable et parfumé[40].
[40] Villæ libri XII, 1592.
Le botaniste Rauwolf, qui voyageait en Orient en 1573, parle de l’Eppich — nom germanique de l’Ache — dont on mangeait les racines après cuisson, avec sel et poivre, à Tripoli, et à Alep en Syrie[41].
[41] Gronowius, Orient. 1755, p. 35.
Bauhin cite un Selinum tuberosum qui est incontestablement le Céleri-Rave. Au milieu du XVIIe siècle, le Cuisinier françois de La Varenne et les autres traités similaires donnent des recettes culinaires pour la préparation de la racine de Céleri. On la mangeait surtout en salade. Puis ce légume passe de mode et s’éclipse au point que De Combles parlant en 1749 du Céleri à grosse racine, pouvait dire : « Ce Céleri n’est guère cultivé en France, mais on en fait grand cas en Allemagne et on a raison ; il n’y a point de soupe, ni presque de ragoût où on ne l’emploie ». Cependant la culture du Céleri-Rave n’a jamais été abandonnée dans le Nord et l’Est de la France. Il y a 60 ans, Victor Pâquet, publiciste horticole, d’origine normande, affirmait que le Céleri-Rave a été très anciennement cultivé dans le Bessin normand où on le connaissait sous les vieux noms de Persil de marais ou de Sellery-Navet[42].
[42] Traité, 1846, p. 208.
En Angleterre, le Céleri-Rave (Celeriac) a été introduit très tard. Switzer, auteur horticole qui écrivait en 1729, ne le connaissait que par ouï dire. Plus tard encore, Miller le disait peu répandu. Comme en France, ce légume n’a fait son apparition sur les marchés anglais que depuis peu de temps.
Le Céleri-Rave était si peu cultivé, vers la fin du XVIIIe siècle, que les catalogues de Vilmorin, le Bon Jardinier, etc. le considèrent comme à peu près nouveau. Le grainier Tollard disait en 1805 : « Le Céleri à grosse racine est un excellent légume trop peu connu en France »[43]. C’était alors ce que nous appelons un légume de fantaisie ; quelques amateurs recherchaient les sous-variétés à bulbes veinés de rouge et de violet. Il faut dire que la masse charnue comestible du Céleri-Rave ancien était racineuse, irrégulière, branchue ou fourchue. A la longue on est arrivé à former des races à bulbes réguliers ou sphériques, lisses et nets, peu feuillus.
[43] Traité des végétaux, 1re éd. (1805).
Ce sont les Allemands qui ont perfectionné le Céleri-Rave, que Tollard croyait même né dans leur pays. Le Céleri-Rave d’Erfurt, à souche beaucoup plus nette et régulière que celle de la race commune, est mentionné pour la première fois dans le Bon Jardinier de 1857. Une autre sorte d’origine allemande, s’appelle Céleri-Rave Géant de Prague, à cause de sa pomme énorme. La variété Lisse amélioré de Paris est une obtention des habiles maraîchers parisiens.
Nous avons dit plus haut que le mot Céleri ne se rencontrait pas avant le XVIIe siècle. Pourtant M. Léopold Delisles a trouvé un exemple unique fort ancien dans ses recherches sur la condition de la classe agricole en Normandie au moyen âge.
L’Ache figure dans un compte de l’Hôtel-Dieu d’Evreux, en 1419 ; elle y est appelée Scellerin[44].
[44] Etudes sur la condition de la classe agricole, éd. 1903, p. 496.
Céleri paraît bien dérivé par altération de Selinon, le mot grec pour Ache ou Persil, latinisé en Selinum, puis Selina, Seleni et enfin Céleri emprunté de l’italien. D’après les anciens glossaires latin-roman : Selinum id est Apium (Selinum c’est l’Ache). Le radical est d’ailleurs toujours conservé dans l’orthographe ancienne : Sellery, Scelleri, etc.
Quant au mot Ache, il vient de l’Apium latin ou plutôt celte dont l’étymologie est tirée des lieux aquatiques que cette plante préfère : apon, eau en celte (même racine que aqua, eau en latin). Apium a fait Ache après avoir passé par les intermédiaires Apcha, Apche, Ache.
La grande diversité des noms de l’Ache odorante : grec Selinon, latin Apium, anglais Smallage, arabe Asalis, égyptien Kerafs, chinois Ch’intsaï, etc., indique que cette plante a été cultivée ou employée isolément, à une date très ancienne, dans des contrées différentes, tandis que le mot Céleri à peine modifié, comme dans la plupart des langues européennes, démontre l’extension récente d’une variété comestible.
L’aptitude à la variation paraît être faible chez l’Ache devenue si tard plante potagère. En somme, sauf chez le Céleri-Rave qui a subi une transformation remarquable, les modifications du type n’ont pas été profondes dans les Céleris à côtes. Miller a essayé autrefois, en Angleterre, de transformer l’Ache sauvage en Céleri comestible. Il lui a été impossible de déterminer l’ébranlement nécessaire à la production des variétés. Sa culture en terreau pur tenu constamment humide et ses semis successifs pendant de longues années ne lui ont jamais donné que de l’Ache d’un superbe développement.