Histoire des légumes
CHOU-FLEUR
(Brassica oleracea botrytis cauliflora D. C.)
Le Chou-fleur et le Brocoli, qui est un Chou-fleur tardif, constituent une division très distincte parmi les races de Choux potagers.
Ici, la partie comestible du végétal est formée par l’inflorescence tout entière. Ce sont les fleurs plus ou moins avortées qui se mangent, avec les pédicelles hypertrophiés par l’accumulation passagère des sucs nourriciers. Le nom vieux français de Chou flory, aujourd’hui Chou-fleur, est fondé sur ce caractère particulier.
L’introduction du Chou-fleur en France ne remonte guère au-delà du milieu du XVIe siècle.
La région du Levant est probablement la patrie primitive de cet excellent légume, qui s’appelait encore autrefois Chou de Chypre, la tradition lui assignant l’île de Chypre pour pays d’origine, peut-être parce qu’alors les jardiniers se croyaient obligés de faire venir la semence de cette île ; celle récoltée en France était, soi-disant, de mauvaise qualité, ou n’arrivait pas à maturité. La lecture des vieux livres de jardinage nous apprend que pendant plus de deux siècles on a tiré la graine de Chou-fleur de Malte, de Candie et de l’Italie. A un certain moment, il fut même de mode d’aller chercher la semence en Angleterre ou en Hollande. Moreau et Daverne, qui écrivaient en 1845 disent : « Il y a 50 ans, on croyait que la graine de Chou-fleur récoltée en France ne pouvait donner de beaux produits, et on la tirait toute d’Angleterre. A présent, chaque maraîcher récolte sa graine[72]. »
[72] Manuel de culture maraîchère, p. 115.
Les anciens ont-ils connu le Chou-fleur ? Leur Chou de Chypre et surtout le Chou de Pompéi des auteurs latins (Brassica cypria et B. pompeiana) dont Pline dit que « la tige grossit en atteignant les feuilles » peuvent se rapporter au Chou-fleur ou au moins à un Brocoli branchu analogue à notre Brocoli-Asperge, que l’on doit considérer comme la forme primitive du Chou-fleur. Sur ce Chou à jets, les Romains récoltaient les cymæ, ou pousses charnues, très recherchées des gourmets de l’ancienne Rome.
Il est fait mention pour la première fois du Chou-fleur dans les ouvrages des botanistes arabes de l’Espagne. Ibn-el-Awam, auteur d’un Traité de l’Agriculture, au XIIe siècle, en connaissait trois variétés. Il l’appelle Chou de Syrie, ce qui est une indication pour son origine. Ibn-el-Beïthar, botaniste de Malaga, mort à Damas en 1248, décrit le Chou-fleur dans son Traité des Simples, sous le nom de Quonnabit, nom arabe qu’on lui donne encore aujourd’hui. Les Musulmans d’Espagne ont pu importer le Chou-fleur de la Syrie plusieurs siècles avant les contrées du nord de l’Europe, grâce aux relations fréquentes qu’ils avaient avec leurs coreligionnaires de l’Asie-Mineure. Cependant, ce n’est pas par la voie espagnole que ce légume a été introduit en France. Les Génois passent pour l’avoir reçu du Levant et cultivé les premiers, tradition vraisemblable, car la République génoise avait au XVIe siècle le monopole du commerce maritime européen avec l’Orient. De là, le nouveau légume se serait lentement propagé en France, en Allemagne, dans les Flandres.
Au milieu du XVIe siècle, il semble encore bien peu cultivé : Ruel n’en fait pas mention (1536), ni Léonard Fuchs, qui figure pourtant quelques autres Choux dans son Stirpium Imagines (1545), pas plus que Tragus (1552) et Matthiole (1558).
Nous trouvons une première et assez bonne figure du Chou-fleur, en 1554, dans le Stirpium Historia de Dodoens. Le botaniste flamand dit que la graine de ce Chou, appelé par les Italiens cauliflores, vient de Chypre, « car elle ne mûrit nulle part ailleurs, cette espèce étant très sensible au froid ». Quelques années plus tard, en 1557, de l’Escluse, dans sa traduction française de l’Histoire des plantes de Dodoens, avec le même bois gravé, donne cette description du Chou-fleur : « La tierce espèce de Chou blanc est fort estrange et s’appelle Chou-flory. Il a au commencement les feuilles grisâtres comme le Chou blanc et puis après au milieu d’icelles, au lieu de feuilles amassées ensemble, produict plusieurs tigettes blanches, grosses et douces… ces tiges ainsi croissant sont appelées la fleur de ce Chou ».
En 1600, Olivier de Serres mentionne rapidement le Chou-fleur qu’il paraît connaître seulement sous son nom italien : « Cauli-fiori, ainsi dicts des Italiens, encore assés rares en France, tiendront rang honorable au jardin pour leur délicatesse[73] ». Sous Henri IV, le Chou-fleur commençait à entrer dans l’alimentation. Le Pourtraict de la santé, de Joseph du Chesne, nous apprend qu’en 1606 « parmi les Choux, les Choux-fleurs sont les plus rares et les meilleurs ; on s’en sert en potage et en salade avec l’huile et le vinaigre ».
[73] Théâtre d’agriculture, éd. 1804, tom. II, p. 249.
Chose curieuse, le Chou-fleur a été importé dans le Nouveau Monde à une date ancienne ; on le trouvait abondamment à Haïti, dès 1565, à une époque où il était si rare en France[74].
[74] American Naturalist, vol. XXI, p. 702.
En Angleterre, il a été figuré par Gerarde en 1597, mais Parkinson dit que de son temps (1629) il était peu connu. D’après Miller, le Chou-fleur n’a commencé à acquérir une certaine perfection et à être vendu sur les marchés de Londres qu’en 1680. Au XVIIIe siècle, les Anglais, jusqu’alors tributaires de la Hollande pour ce légume, devinrent maîtres dans la culture du Chou-fleur. Quant à l’Allemagne, Gaspard Bauhin qui écrivait au commencement du XVIIe siècle, indique expressément les jardins, en petit nombre, dans lesquels on le cultivait. Henri Hesse rapporte que du temps de sa jeunesse les souverains en avaient seuls dans leurs jardins, et qu’en 1660, la graine qu’on faisait venir de Chypre, de Candie et de Constantinople coûtait deux thalers (7 francs 50) la demi-once. A Erfurt, célèbre localité horticole qui a donné naissance à une race recommandable, le Chou-fleur d’Erfurt, la culture remonte à 1660 ; elle a été perfectionnée, au siècle suivant, par Reichart, qui commença à cultiver le Chou-fleur en vue de la production des graines. La ville d’Erfurt est restée depuis cette époque, le grand centre, pour l’Allemagne, de la culture du Chou-fleur.
Les maraîchers parisiens sont très habiles dans la production de ce légume ; ils obtiennent des pommes d’un gros volume, serrées, bien arrondies, absolument incomparables.
Chambourcy, village de Seine-et-Oise, près Saint-Germain-en-Laye, est renommé pour ses cultures de Choux-fleurs. Les habitants de ce village cultivent près de 3 millions de plants sur une étendue de 250 à 300 hectares. M. Hippolyte Jamet, maraîcher, commença en 1850 la culture en grand du Chou-fleur à Chambourcy pour l’alimentation des marchés parisiens. Gennevilliers, Nogent-sur-Marne, Sarcelles et Groslay sont aussi des centres de production fortement concurrencés d’ailleurs par Roscoff, Saint-Pol-de-Léon, Saint-Malo, Saint-Omer et Angers qui élèvent aussi le Chou-fleur en grand pour Paris et l’exportation.
De Combles, au XVIIIe siècle, nomme les Choux-fleurs tendre, dur et demi-dur. Vers 1835, les maraîchers parisiens adoptèrent une race supérieure, plus précoce, le Gros-Salomon, trouvée par l’un d’eux. Quelques années plus tard, on apprécia aussi le Petit-Salomon. Puis Lenormand, maraîcher, établi rue de Reuilly, propagea en 1849 un de ses gains issu du Gros-Salomon, le Chou-fleur Lenormand. Nous citerons encore parmi les races modernes les plus estimables : Chou-fleur d’Erfurt (nouveauté de 1856) ; Lenormand à pied court (1865) ; Alléaume (Vilmorin, 1882-83) ; Picpus (Vilmorin, 1884-85) ; Trocadéro (Forgeot, 1891).