Histoire des légumes
OSEILLE
(Rumex acetosa L.)
Il est peu de pays où l’on aime l’Oseille autant qu’en France. On recherche cette herbe potagère à cause de l’acidité des feuilles, due à la présence en quantité notable d’oxalate acide de potasse, soit pour la préparation des soupes, soit pour les sauces et assaisonnements, et souvent comme plat spécial.
Les fermes à légumes et les maraîchers de la banlieue parisienne produisent abondamment l’Oseille en grande culture. Vers 1895, l’approvisionnement annuel des Halles de Paris, d’après une statistique officielle, n’exigeait pas moins de 20 millions de kilogrammes de feuilles d’Oseille.
Mais en Angleterre et dans les pays où l’on parle anglais, ce légume ne semble pas populaire.
Les diverses Oseilles cultivées appartiennent au genre Rumex de la famille des Polygonées dont la plupart des espèces sont spontanées en Europe.
L’Oseille commune descend du Rumex acetosa, plante vivace à feuilles hastées ou sagittées, très répandue en France dans les prairies, pâturages, lisières et clairières des bois. D’autres espèces également cultivées : R. montanus ou arifolius (Oseille vierge) et R. scutatus (Oseille ronde) sont indigènes dans les parties montagneuses de l’Europe.
Les Anciens cultivaient les Oseilles pour usage culinaire. Autant que l’on peut s’en rendre compte, l’importance de cette herbe potagère devait être très secondaire. Un Lapathum cité par Plaute et Horace est sans doute une Oseille.
En général, le Lapathum des Anciens semble être la Patience dont on mangeait les feuilles cuites et la racine douée de quelques vertus médicinales, tandis que l’Oxalis de Dioscoride, l’Oxulapathon de Galien, qui servait à ranimer l’appétit, le Rumex de Pline et de Virgile[126] doivent plutôt comprendre les espèces à feuilles acides du genre Rumex et par conséquent notre Oseille.
[126] Hist. nat. l. XX, 85, 86. — Moretum, vers no 72.
Au XIIe siècle seulement, les glossaires latin-roman commencent à citer son nom : « Acidula, acetosa, acida, en langue romane surele »[127]. Surelle, qui se rattache à l’adjectif sur, sure, est encore un nom vulgaire de l’Oseille à notre époque et il s’est conservé dans l’anglais Sorrel.
[127] Langue romane est ici synonyme de langue vulgaire.
Neckam, moine anglais au XIIe siècle, appelle l’Oseille acidularum dans son ouvrage De naturis rerum. Dans les Herbollaires du moyen âge, le nom latin est toujours acetosa (acide, aigre), qui convient à la saveur de la plante.
Au XIVe siècle, l’Oseille paraît jouer un certain rôle culinaire. Cette herbe formait la base des différentes sauces vertes non bouillies et très usitées, dont le Ménagier de Paris donne quelques recettes[128]. Un passage d’une poésie d’Eustache Deschamps (XVe siècle) fait allusion à cet emploi de l’Oseille :
[128] Ménagier, t. II, p. 229, 231.
[129] Œuvres VII, 40.
Le Ménagier de Paris donne aussi quelques détails de culture ; il recommande de cueillir toujours les grandes feuilles et de laisser croître les petites.
Maints comptes de dépenses des XIVe et XVe siècles citent l’Oseille :
Avril 1385. Compte de dépenses de l’hôtel de Marguerite de Flandre :
« Pour oisille (Oseille) et perressin (Persil), XVI deniers[130] ».
[130] Mém. Acad. Dijon, t. VIII, p. 275.
30 mai 1412. Dépenses pour un dîner : « Pour persil, ozaille et autres herbes 9 deniers[131] ».
[131] Bibl. Ecole des Chartes, 1860, p. 225.
Nous avons trouvé aussi mention de l’Oseille dans les comptes de dépenses de l’hôtel de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et de Charles Quint (XVe et XVIe siècles) sous le nom d’aigret ou esgret[132], terme encore employé aujourd’hui dans le Nord de la France.
[132] Archives Nord, série B. 3429, 3469, 3477.
Une miniature du célèbre livre d’Heures d’Anne de Bretagne figure une herbe dite vinnete, qui est l’Oseille. Vinette est synonyme d’Oseille dans le Poitou, le Centre, la Bretagne et la Normandie. Brantôme, qui cite ce nom, orthographie vignette.
En présence de ces témoignages, on est assez surpris d’entendre Bruyerin-Champier déclarer qu’il avait vu commencer l’usage de l’Oseille de son temps, c’est-à-dire au XVIe siècle.
Au XVIIe siècle, l’Oseille était abondamment cultivée aux environs de Paris. Le voyageur anglais Lister le constate avec quelque étonnement, car cette herbe n’était guère usitée en Angleterre : « On a un tel goût pour l’oseille que j’en vis des arpens tout entiers. Rien au reste n’est plus sain et cela peut très bien remplacer le citron dans le scorbut ou les affections qui s’y rattachent »[133].
[133] Voyage à Paris en 1698, traduct. par de Sermizelles, p. 139.
Olivier de Serres (1600) connaissait deux Oseilles : la longue et la ronde. Le Jardinier françois (1651) cultivait plusieurs sortes dont une qui ne grainait pas. La Quintinie (1690) cite l’Oseille commune, la ronde et la grande qui était probablement une variété améliorée.
Sans avoir beaucoup modifié la plante, la culture a cependant produit une variété fixée, l’Oseille de Belleville, à feuilles moins acides, plus blondes et plus amples que celles du type. Nous trouvons pour la première fois le nom de cette variété dans l’Ecole du Potager par de Combles (1749).
C’est aujourd’hui la sorte la plus communément cultivée. L’Oseille de Lyon, de création récente, est une amélioration sensible de l’Oseille de Belleville. L’Oseille vierge était connue sous ce nom dès le XVIIIe siècle. Les botanistes admettent qu’elle dérive du Rumex montanus. Cette espèce est plus ou moins stérile, par conséquent, la cueillette des feuilles peut se poursuivre sans interruption.
D’après Pictet, la plupart des noms européens de l’Oseille sont tirés de l’acidité des feuilles de cette plante, cependant ils n’offrent pas entre eux d’affinités radicales. Le sanscrit amla désigne l’Oxalis corniculata et signifie acide. L’allemand moderne a conservé une trace du terme sanscrit dans sauerampfer, Oseille.
Quant à notre mot français Oseille, le Dictionnaire étymologique de Darmesteter le dit d’origine inconnue. Littré admet qu’il est dérivé du grec et du latin Oxalis (Oxus, acide) par l’intermédiaire d’une forme non latine : Oxalia. Dalechamps, au XVIe siècle, dit bien « Oxaille » synonyme d’« Ozeile » et il donne aussi le mot comme venant d’Oxalis ; mais, comme on l’a vu plus haut, la forme primitive n’est pas Oxaille. Nous trouvons dans un glossaire du XIIIe siècle : « hec accidula, Osile », puis d’autres textes montrent les variantes Osille, Oisille et enfin Ozaille, Ozeille, Oseille.
Les Oseilles cultivées sont au nombre des plantes les moins modifiées par la culture. Les semis de graines provenant de variétés améliorées retournent facilement au type sauvage à feuilles hastées, et la plante cultivée se distingue à peine de la plante sauvage lorsque celle-ci s’est développée dans des conditions favorables à sa végétation[134].
[134] Vilmorin, Plantes potagères, 3e éd., p. 477.