← Retour

Histoire des légumes

16px
100%

OIGNON

(Allium Cepa L.)

L’Oignon est un de nos légumes le plus anciennement cultivé. Son emploi remonte à la période préhistorique. Comme pour nos principales espèces légumières, pour l’Oignon certainement, le régime de la cueillette a précédé de longtemps son amélioration par la culture.

Le bulbe de l’Oignon est alimentaire ; il contient des matières nutritives par son mucilage abondant, riche en sucre et en fécule ; son odeur et sa saveur ont dû, en outre, le faire rechercher, à titre de condiment, par les anciens peuples de l’Asie centrale qui paraît être le pays d’origine de l’Oignon.

Des documents historiques montrent cette plante déjà cultivée et usitée dans la magie chez les Chaldéens, plusieurs milliers d’années avant notre ère.

Originaire du plateau de l’Iran, l’Oignon avait déjà été importé en Egypte dès les premières dynasties. Les Egyptiens en faisaient une grande consommation.

D’ailleurs l’Oignon d’Egypte est remarquablement gros, doux et sucré. Nous le savions par la Bible. Le Livre sacré dit que les Hébreux regrettaient amèrement dans le désert Arabique les Oignons et les légumes d’Egypte[244]. Du temps d’Hérodote (500 ans av. Jésus-Christ), il existait encore une inscription lapidaire sur la grande pyramide relatant qu’on avait dépensé 1 600 talents d’argent (environ 7 à 8 millions) pour les Oignons, Aulx et Poireaux fournis aux ouvriers qui érigèrent ce monument.

[244] Nombres, XI, 5.

Nulle plante n’a été plus fréquemment représentée dans les peintures des tombeaux égyptiens. Un prêtre à l’attitude hiératique est souvent figuré déposant une glane d’Oignons sur un autel comme offrande funéraire[245]. On en a même trouvé dans la main d’une momie[246]. Symbolisme religieux ; c’est possible. Toutefois il ne paraît pas douteux que ce bulbe était l’un des aliments les plus estimés du peuple égyptien qui avait pour l’Oignon et les autres Alliacées une vénération singulière. De là naquit l’idée d’un prétendu culte rendu par les Egyptiens à certains légumes. Ce sont les satiristes romains, gens assez malveillants en général, et de plus étrangers aux religions de cette nation qui ont commencé à attirer par leurs moqueries l’attention sur le culte « hortulaire » des anciens Egyptiens.

[245] Wilkinson, Ancient Egyptians, t. I, p. 168.

[246] Loret, Flore pharaonique, 2e éd., p. 37.

Ne donne-t-on pas comme une preuve irréfutable de cette adoration ridicule les vers suivants de Juvénal :

Porrum et cœpa nefas violare et frangere morsu.
O sanctas gentes quibus hæc nascuntur in hortis Numina ![247]

[247] Satires, XV, 9.

« C’est un sacrilège que de presser sous sa dent le poireau ou l’oignon. Oh ! la sainte nation qui voit naître dans ses jardins de pareilles divinités ! »

Or ce passage est tiré d’une satire destinée à ridiculiser les religions et les animaux sacrés des anciens Egyptiens. Ce document n’est, par son exagération même, qu’un témoignage historique de faible valeur.

Le satiriste Lucien dit que l’Oignon était la divinité des Pélusiotes. Les habitants de Péluse semblent en effet s’être abstenus de l’Oignon comme aliment par pratique religieuse. Pline relate que les Egyptiens juraient par l’Ail et l’Oignon, ainsi qu’ils avaient coutume de le faire par les noms de leurs dieux. Plus tard les apologistes chrétiens ont consacré de bonne foi l’opinion, admise aujourd’hui, que les Egyptiens adoraient l’Oignon et d’autres légumes en citant les écrivains de la Grèce et de Rome pour les besoins de leur polémique avec les payens.

Le culte des légumes, s’il a jamais existé, se trouvait sans doute limité à quelques localités, comme Péluse, dont les habitants auraient été fétichistes. Il se peut aussi que l’Oignon ait été simplement l’attribut spécial d’une divinité (de la déesse Isis, par exemple, cette divinité solaire représentant la lune) et alors le culte rendu à ce bulbe ne serait que symbolique. C’est assez l’opinion de quelques mythologues[248].

[248] Voir Mém. Soc. Acad. Savoie, t. XI, p. 325. — De Paw, Recherches sur les Egyptiens et les Chinois.

Les Grecs connaissaient l’Oignon du temps d’Homère. La cuisine romaine l’employait beaucoup ; il semble, d’après Apicius qui en donne de nombreuses recettes culinaires, que l’Oignon servait surtout d’assaisonnements. Columelle, Pallade et autres, qui ont écrit de re rustica, donnent des détails sur sa culture en Italie.

La transplantation était pratiquée. Au XVIe siècle, Ch. Estienne et Olivier de Serres suivaient encore ces vieux errements. Nulle part on ne voit le semis en place comme cela se fait de nos jours.

Au moyen âge, l’Oignon paraît avoir été un légume de grande consommation. Les regrattiers qui alors remplaçaient à la fois les épiciers et les fruitiers d’aujourd’hui vendaient l’Oignon avec les Aulx, Oranges, Citrons, Châtaignes, sous le nom commercial d’aigrun (légumes aigres ou âcres). Sur la voie publique on débitait aussi force Oignons. D’après les Cris de Paris et le Dit de l’Apostoile, au XIIIe siècle, on tirait l’Oignon de Corbeil, l’Echalote d’Etampes, et l’Ail de Gandelus (Aisne). « Rouge comme un Oingnon de Corbeil ». C’était un dicton de l’Ile-de-France. Ch. Estienne écrivait au XVIe siècle : « Les meilleurs de France viennent à la Ferté l’Oignon, petite ville près d’Etampes. »

Les cultures d’Oignons étaient considérables en Normandie et on exigeait la dîme de ce légume. Dans les titres féodaux, l’Oignon est encore plus souvent cité que l’Ail. On voit des rentes annuelles d’une glane d’Oignons[249]. Cela rappelle les redevances d’un bouquet ou d’un chapeau de Roses !

[249] Lechaudé, Extrait des Chartes, t. I, p. 349.

La si ancienne culture de l’Oignon a produit d’innombrables variétés qui diffèrent par la dimension et la forme du bulbe. Il en est de plats, de sphériques, de piriformes, d’allongés, comme ceux d’une variété japonaise qui atteindraient un pied de long. La couleur des tuniques est aussi très variée.

Les anciens connaissaient un grand nombre de variétés qu’ils désignaient par le nom de leur pays d’origine.

Théophraste en nomme plusieurs. Pline distingue l’Oignon d’Afrique, des Gaules, de Tusculum, d’Amiterne[250]. Columelle indique l’Oignon des Marses sous le nom populaire d’unio.

[250] Hist. nat. XIX, 32.

A l’époque de la Renaissance, toutes nos formes actuelles d’Oignon, depuis celle classique discoïde, sont figurées par Camerarius, Fuchs, Lobel, Dodoens et Matthiole. Miller, au XVIIIe siècle, connaissait trois variétés principales : l’Oignon de Strasbourg, celui d’Espagne et l’Oignon blanc d’Egypte. De Combles (1749) admet 9 sortes distinctes : « rouge rond, le pâle, le blanc, rond dont il y a deux espèces, le hâtif et le tardif, le long rouge et blanc, l’Oignon d’Espagne, le petit Oignon de Florence. » Il fait la remarque que le rouge est le plus cultivé. Le pâle est le plus estimé parce que c’est le plus doux. Les écrivains horticoles de la fin du XVIIIe et du commencement du XIXe siècle ne citent pas d’autres variétés que celles désignées ci-dessus le plus souvent par de simples adjectifs qualificatifs.

Les diverses races anciennes sont des races locales qui se sont lentement adaptées au sol et au climat de l’endroit où elles étaient cultivées de temps immémorial. L’on conçoit que les noms des obtenteurs et l’époque de leur création seront à jamais ignorés. Ainsi s’expliquent les noms : Oignon jaune de Mulhouse, de Cambrai, de Zittau, gros plat d’Italie, pâle de Niort, de Madère, blond d’Aubervilliers, etc. Jaune paille des Vertus, la variété la plus répandue dans la grande culture aux environs de Paris, n’est évidemment que l’ancien Oignon jaune pâle cité par de Combles, sélectionné par les maraîchers de la banlieue nord parisienne.

Le petit Oignon blanc hâtif de Florence fut réintroduit sous le nom d’Oignon de Nocera par M. Audot, éditeur, qui en rapporta des semences en l’année 1840, de Nocera, petite ville voisine du Vésuve.

D’après un rapport du jardinier-chef de la Société royale d’Horticulture de Londres, en 1819, les jardins anglais possédaient : le gros Oignon blanc des Français, un Oignon blanc hâtif, Oignon de Portugal ; The Eversham ou Reading Onion ; l’Oignon de Strasbourg ; The Deptford Onion, la sorte principalement cultivée dans le voisinage de Londres et le plus usité après l’Oignon de Strasbourg ; James’ Keeping Onion, sorte très populaire ; l’Oignon Patate, etc.[251]

[251] Hortic. Trans. t. III (1re série), p. 369.

The Reading mis au commerce par Sutton avant 1845 a été pendant longtemps un Oignon favori des potagers anglais. C’était une remarquable sélection des races espagnoles. Il fut suivi par Improved Banbury, du nom d’une ville renommée pour ses Oignons.

L’Oignon jaune de Danvers, d’origine américaine, fut importé en France par Vilmorin en 1856. Paraît être une sélection du jaune de Danvers, la célèbre variété anglaise Ailsa Craig, obtenue vers 1875 par le jardinier du Mis d’Ailsa. De même, Cranston’s Excelsior obtenu par Cranston, de Hereford, en 1880.

Si, avec Pictet et Alph. de Candolle, nous examinons la question de l’origine de l’Oignon, nous devons reconnaître que les divergences de ses noms chez les différents peuples indiquent que la plante ne s’est pas propagée d’un centre unique et que, dès l’origine, elle a dû se rencontrer spontanée dans une grande partie de l’Asie occidentale. En effet, d’après les données botaniques, l’habitation de l’Oignon peut s’étendre de la Palestine à l’Inde. Stokes a découvert l’Allium Cepa dans le Béloutchistan. Griffith l’a rapporté de l’Afghanistan et Thomson, de Lahore (Inde). L’herbier Boissier possède un échantillon recueilli dans les régions montagneuses du Korassan. Le Dr Regel fils a trouvé l’Oignon sauvage au nord de Kuldscha, Turkestan occidental[252].

[252] De Candolle, Orig. des pl., 4e éd., p. 54.

Nous avons tiré d’unio, latin populaire des paysans de l’Italie et de la Gaule, l’expression française Oignon, tandis que du mot littéraire Cepa est dérivé le terme Ciboule, autre sorte d’Oignon. Unio viendrait, selon les anciens étymologistes, de ce que le bulbe de l’Oignon est unique contrairement à d’autres Allium, comme l’Ail et l’Echalote, dont les bulbes sont groupés. C’est une explication un peu forcée, dit M. Pictet, car jamais un objet naturel n’a été désigné par un substantif abstrait. Il rattache unio (pour usnio) à la racine ush ; en sancrit ushna, Oignon, littéralement chaud, brûlant, piquant, de l’âcreté du suc[253].

[253] Origines indo-européennes, t. I, p. 370.

M. Léopold Delisle a signalé l’emploi du français Oignon dans un texte latin de 1131 : « Et in hareng et ungeons et oleo et nucibus… »[254]. Au XIIIe siècle, nous voyons la forme Oingnon dans le Livre des Mestiers d’Etienne Boileau : « Oingnons, poiriauz, naviaus, civos qui viennent par eaue ». Au XVe siècle la forme Ongnon était habituelle[255].

[254] Etudes sur la condition, etc. 2e éd., p. 494.

[255] Montaiglon, Recueil, t. I, p. 204.

Chargement de la publicité...