Histoire des légumes
NAVET
(Brassica Napus L.)
Le Navet appartient au genre Brassica de la famille des Crucifères. Botaniquement c’est un Chou. Toutefois, le Chou proprement dit et le Navet sont deux espèces distinctes puisqu’elles n’ont jamais produit d’hybrides entre elles.
Les distinctions assez arbitraires et contradictoires imaginées par les botanistes pour classer les plantes alimentaires et économiques qui composent le genre Brassica montrent combien il est difficile de remonter à l’origine du Navet. C’est ainsi que Linné a établi quatre espèces de ces plantes très proches parentes : Brassica oleracea, campestris, Napus et Rapa, c’est-à-dire le Chou, le Colza, le Navet et la Rave. Mais Lamarck rangeait parmi les Choux le Colza qui lui semblait être son type originel. Il constituait avec le Navet et la Rave, trop semblables pour être séparés, son Brassica asperifolia. Selon Lamarck, le type primitif du Navet était la Navette, Crucifère à racines grêles, cultivée pour ses graines oléagineuses. La Flore de Grenier et Godron considère, au contraire, la Navette comme une simple variété oléifère à racine non charnue du B. Napus.
Quoi qu’il en soit, la plante qui se rapproche le plus du Navet est le B. campestris de Linné (B. asperifolia Lamarck) qui ne diffère que peu ou pas de la Navette ou du Colza. Linné a indiqué cette plante dans les sables du bord de la mer, en Suède (Gothland), en Hollande et en Angleterre, ce qui est confirmé pour la Suède méridionale par Fries, lequel mentionne le B. campestris (type du Rapa avec racines grêles) comme vraiment spontané dans toute la péninsule scandinave, la Finlande et le Danemarck. Ledebour l’indique dans toute la Russie, la Sibérie et sur les bords de la mer Caspienne[296].
[296] De Candolle, Orig. des pl. cultivées, 4e éd. p. 29.
Mais la spontanéité de ce Chou champêtre, type primitif présumé du Navet, n’est pas certaine. Comme il ne diffère pas sensiblement des variétés cultivées pour la production de l’huile (Navette et Colza) et que son habitat est vaguement indiqué par les flores au voisinage des champs, on peut croire que les individus réputés sauvages sont seulement subspontanés et descendent d’individus cultivés.
M. Blanchard, jardinier en chef du Jardin botanique de la Marine à Brest, est le seul botaniste qui ait indiqué avec précision une localité où croît le Navet sauvage. Lors d’une herborisation à l’île d’Ouessant, le 6 septembre 1874, il récolta des graines d’une plante Crucifère paraissant bien spontanée, qui furent semées au printemps de l’année suivante au Jardin botanique, où, étudiée avec soin, la plante fut reconnue pour être le B. Napus. Des informations prises sur les lieux montrèrent que le Navet cultivé, la Navette et le Colza étaient inconnus dans l’île d’Ouessant, par conséquent l’indigénat du Navet sauvage parut certaine à M. Blanchard. Les botanistes avaient d’ailleurs signalé ce légume comme devant être originaire des régions maritimes. Il réussit particulièrement bien sous les cieux humides et brumeux des pays du Nord de l’Europe. Le Turnep[297] est la principale richesse agricole de l’Angleterre.
[297] Navet, en anglais.
Le Navet sauvage de l’île d’Ouessant différait beaucoup du Navet cultivé, non seulement par sa mince racine pivotante, mais encore par les autres caractères de sa végétation. Cultivé avec soin au Jardin botanique, au bout de 14 années et des sélections successives, on réussit à développer quelque peu sa racine. On obtint de ses graines un mauvais Navet dont le plus bel échantillon mesurait 12 centimètres de longueur ; sa grosseur était à peu près celle du doigt à la partie supérieure[298].
[298] Rev. hortic. 1891, p. 456, 481, 498.
On peut juger par là du laps de temps qui a été nécessaire pour amener cette herbe sauvage à l’état de plante comestible. Rien ne la désignait pour un usage alimentaire. Il faut admettre qu’une variation spontanée survenue dans la nature aura transformé sa racine grêle qui s’est augmentée d’une masse de tissu cellulaire aqueux et a pris une forme conique ou turbinée. Cet accident tératologique survenu sans doute à des Brassica Napus placés en terre fortement fumée aura attiré l’attention des hommes primitifs, toujours à la recherche de substances alimentaires.
En somme, c’est l’histoire de toutes nos plantes potagères, qui ne sont que des monstruosités héréditaires soigneusement conservées, augmentées par la sélection et propagées par la culture.
Loin d’être, comme on le croyait, son type primitif, la Navette ne serait qu’une variété de B. Napus à graines oléagineuses. Les deux plantes sont semblables ou à peu près par l’organisation de la fleur et du fruit. Si leurs usages économiques diffèrent, c’est que chez l’une — la Navette — les matières de réserve de la plante se sont déposées dans les graines. Par compensation, en vertu de la loi de balancement organique, sa racine doit rester grêle ; tandis que chez le Navet, par suite de l’hypertrophie considérable de la racine, devenue le réservoir alimentaire de la plante, les graines ne sont plus que faiblement oléagineuses.
On ne peut accepter les deux espèces : Brassica Napus et B. Rapa fondées par Linné uniquement sur la forme de la racine du Navet et de la Rave. Le type de la Rave étant considéré par ce botaniste comme une racine orbiculaire et aplatie, par opposition au Navet conique ou fusiforme. Mais il y a des Navets ronds et des Raves allongées. La saveur différente de ces deux variétés de B. Napus est peut-être le seul caractère qui les distingue. Ce qu’on appelle Rave est un gros Navet rond, plus ou moins plat, employé dans la grande culture pour l’alimentation du bétail. Tout porte à croire que le Navet est une variété de Rave perfectionnée, que sa saveur douce et sucrée rend plus propre à la cuisine.
L’emploi par l’homme de ce Chou à racine renflée doit remonter aux temps préhistoriques. La Rave cuite sous la cendre paraît avoir eu une large part dans l’alimentation des anciens habitants du Nord de l’Europe. Raves et Navets originaires, comme nous l’avons dit, des rivages maritimes, n’acquièrent leurs qualités que dans les contrées froides ou tempérées-froides, au ciel brumeux. En Belgique, selon Morren, la végétation du Navet devient de plus en plus belle à mesure qu’il se rapproche de la mer. Le Midi ne produit que de mauvais Navets.
La Rave a été la ressource des pays pauvres, au sol ingrat ; elle croît dans les sols sablonneux et graveleux où nulle autre plante ne saurait prospérer. C’était, avec le Chou, le principal légume des peuples germains et gaulois[299]. Il est bon de rappeler que, de nos jours, les habitants du Lyonnais, de la Savoie, de l’Auvergne et du Limousin — ces derniers sont de souche purement celtique — consomment toujours beaucoup de Raves dans les soupes, par nécessité peut-être, mais surtout par tradition, car ce végétal est fort peu nourrissant. La Rave est chose si commune en Limousin qu’on a appelé plaisamment la Rabioule ou Rave du Limousin la « denrée de Limoges ». Des vers épigrammatiques que nous citerons dans ce charmant dialecte de la langue d’Oc, soulignent encore ironiquement la pauvreté proverbiale du pays des « mâche-rabes » comme disait Rabelais :
[299] Reynier, Economie rurale des Celtes, p. 438.
C’est-à-dire : si la Rabioule et la Châtaigne viennent à manquer, tout le pays est ruiné !
Les Grecs et les Romains ont connu la Rave et le Navet. Le grec goggulos ou goggulis (chose ronde) se traduit en latin par rapa, Rave ou napus, Navet. Bunias étant plus particulièrement le nom grec du Navet.
La littérature latine classique montre le rôle important qu’avait la Rave dans l’alimentation des anciens Romains. Qui ne connaît l’anecdote historique de Curius Dentatus, ce caractère antique qui fut trois fois consul et reçut deux fois les honneurs du triomphe ? Après ses victoires il retournait à sa chaumière vivre de sa vie simple et rude de paysan latin. Les Samnites, ennemis de Rome, vinrent un jour lui offrir des présents pour l’amener à soutenir leur cause. A ce moment, l’ancien dictateur faisait cuire sous la cendre les Raves de son repas rustique. Un tel homme pouvait dédaigner l’or des Samnites !
Plus tard, la Rave perdit beaucoup de son importance alimentaire. On jetait des Raves sur quelqu’un en signe de mépris. Et pourtant, aux beaux temps de l’Empire, on en mangeait encore, si l’on en croit le poète Martial qui adresse cette épigramme à propos d’un présent de Raves : « Ces Raves, amies de l’hiver et des frimas, je vous les donne ; Romulus en mange à la table des dieux »[300]. Pline connaissait plusieurs sortes de Navets-Raves, mais n’a-t-il pas compris sous le terme général Napus, le Raifort, le Radis noir et même la Betterave ? Il mentionne que la Rave atteint quelquefois le poids de 40 livres. Dans les pays au-delà du Pô, dit-il, c’est la meilleure récolte après le vin et le blé[301]. On appréciait beaucoup à Rome les Navets d’Amiterne, ville d’Italie voisine d’Aquilée ; ceux-ci paraissent être de vrais Navets, puis les Navets ronds de Nurcie, aujourd’hui Nurza, qui étaient sans doute des Raves, que les Anciens ne distinguaient pas mieux que nous des Navets. L’Edit de Dioclétien sur le prix maximum des denrées (vers 300) mentionne des radices que l’on a pris pour des Radis, mais qui sont des Raves, puisque la traduction grecque rend le mot par gogguloi. Aucun Navet n’est représenté dans les peintures pompéiennes si riches en légumes. Ed. Fournier a reproduit une peinture découverte à Rome en 1783 qui représente, dit-il, des Raves servies crues sur un plateau ; au milieu du plateau se trouve un petit vase destiné à l’assaisonnement[302]. Sur un vase d’argent du trésor de Boscoréale (Musée du Louvre) provenant du service de table d’un riche affranchi romain et trouvé sous les cendres du Vésuve, l’artiste a ciselé une botte de Navets (coupe dite au sanglier). M. le Dr Ed. Bonnet regarde ces légumes comme appartenant à nos races de Navets ronds. La racine en est subsphérique, un peu turbinée et les feuilles radicales allongées, très légèrement ondulées sur les bords[303].
[300] Epigrammes, l. XIII, 16, 20.
[301] Hist. nat. l. XVIII, 34, 35.
[302] Dict. des Antiquités, article Cibaria.
[303] Association pour l’Avancement des Sciences, 1899.
Apicius a indiqué plusieurs préparations culinaires pour les Raves et les Navets. Les cuisiniers romains n’ont pas ignoré l’art de « parer » les aliments. Ils savaient donner aux Raves jusqu’à seize couleurs différentes. On préférait la couleur pourpre. C’est, dit Pline, le seul aliment que l’on teigne[304].
[304] Hist. nat. l. XVIII, 34, 35.
Au moyen âge le Navet a été une nourriture des plus ordinaires. Comme ce légume se marie bien avec les viandes, surtout le mouton, avant l’introduction de la Pomme de terre et du Haricot, il entrait dans tous les ragoûts et fricassées. Charles Estienne, au XVIe siècle, fait la remarque que les Parisiens aiment beaucoup les Navets et qu’ils estiment ceux de Maisons, de Saint-Germain, de Vaugirard et d’Aubervilliers.
De là le dicton du Dit des Pays : A Aubervilliers les Naveaulx ! qu’une variante applique aussi à Vaugirard, car à cette date ancienne les terres de ces villages de la banlieue parisienne étaient déjà consacrées à la culture maraîchère.
Champier (XVIe siècle) met au premier rang les Navets d’Orléans. Pour la table du roi on en faisait venir de Saulieu en Bourgogne. Le Navet était donc d’un grand débit et devait se vendre avec avantage. Aussi comprend-on le joyeux Cri de Paris de la marchande de Navets :
[305] Pour laboure : travaille.
Au XVIIIe siècle, le Navet le plus réputé pour la table est celui de Freneuse, de forme allongée et petit comme tous les Navets très fins qui s’obtiennent seulement dans les terres sablonneuses et douces.
Le mérite culinaire du Navet est moins apprécié aujourd’hui qu’au moyen âge. Avec les viandes, on accommode de préférence au Navet les Pommes de terre, les Haricots et d’autres légumes. Quoique les livres de cuisine donnent toujours des recettes pour la préparation des Navets au sucre, Navets glacés, à la sauce blanche, purée de Navets, on l’emploie plutôt comme assaisonnement dans les potages, comme garniture surtout avec le canard. Sans le Canard aux Navets combien de gens ignoreraient le goût de ce vieux légume !
Les Anglais sont si conservateurs qu’ils ont gardé même les anciennes habitudes culinaires. Ce sont aujourd’hui les plus grands mangeurs de Navets du monde. Mais combien leur Turnep est inférieur au fin Navet français !
Nous extrayons les passages suivants de la relation du voyage en France à la fin du XVIIe siècle de l’anglais Martin Lister : « Les racines de ce pays diffèrent beaucoup des nôtres. Ici il n’y a point de turneps ronds, mais ils sont tous longs et minces et d’excellent goût d’ailleurs et propres à assaisonner les potages ou les ragoûts, pour lesquels les nôtres sont trop forts. On a récemment introduit cette espèce en Angleterre, mais nos jardiniers ne savent pas la gouverner. Les plaines sablonneuses de Vaugirard, auprès de Paris, sont fameuses par cet excellent légume. Après nous être avancés en France l’espace de 2 ou 3 journées, nous ne trouvâmes plus d’autres turneps que les navets ; et ils étaient meilleurs à mesure que nous approchions de Paris. Ils ne sont pas plus gros qu’un manche de couteau et excellents comme je viens de le dire, soit dans le potage soit avec du mouton[306]. »
[306] Voyage de Lister à Paris, Trad. Sermizelles, p. 134.
Il y a une centaine d’années, Phillips faisait la même observation : « Nous avons remarqué que Paris est approvisionné par un navet long, fusiforme, de la forme d’une carotte et qu’on appelle navet des Vertus. Ils sont certainement plus doux que nos turneps et bien supérieurs pour potages et autres préparations culinaires[307]. »
[307] History of cultivated vegetables (1828), t. II, p. 366.
Comme toutes les plantes très anciennement cultivées, l’espèce Napus du genre Brassica a produit beaucoup de variétés dissemblables, les unes de forme sphérique, d’autres fusiformes, turbinées ou très effilées ; elles diffèrent encore par la grosseur, la couleur blanche, jaune, grise, parfois rouge (rouge plat hâtif), ou noire (noir rond sucré).
Chez le Navet, l’influence du milieu cultural est plus remarquable que chez tout autre légume. De là le grand nombre de races localisées dont beaucoup dégénèrent facilement, et perdent leurs qualités spéciales lorsqu’elles ne sont plus soumises à l’influence du climat et des propriétés physiques et chimiques de leur sol natal.
Dans les temps modernes, les Français ont perfectionné le Navet. Nous citions plus haut le Navet d’Aubervilliers ou des Vertus. La plaine des Vertus est constituée par le territoire d’Aubervilliers, ce village parisien renommé depuis plus de quatre siècles pour ses cultures de gros légumes. Les maraîchers de cette région ont créé les races commerciales les plus cultivées en France. Le beau Navet Marteau est issu de l’ancien Navet long des Vertus ou plutôt de sa sous-variété hâtif des Vertus. La race Marteau, caractérisée par sa forme renflée en massue, s’est montrée entre 1850 et 1860. Nous n’avons pas rencontré ce nom avant 1858. C’est alors que le grainier Louesse cite avec l’orthographe Martot, ce Navet que l’on préfère, dit-il, à cause de sa belle forme obtuse et arrondie à l’extrémité[308]. La 3e édition du Manuel de Culture potagère de Courtois-Gérard (1858) mentionne la sous-variété du Navet hâtif des Vertus nommée Marteau que sa deuxième édition (1853) ne connaissait pas. Est-ce le renflement de la partie inférieure qui lui a valu ce nom ? Peut-être. On pourrait aussi soupçonner, à cause de cette particularité, un transfert du nom d’un vieux Navet normand le N. Martot ou Maltot. Le Traité des plantes potagères de Vilmorin admet Martot ou Maltot comme synonymes de N. gris de Morigny. Le véritable Navet Maltot est populaire dans le Calvados d’où il est vraisemblablement sorti. Il existe un village du nom Maltôt dans ce département et aussi une localité dénommée Martot dans le département de l’Eure.
[308] L’Hortic. français, 1857, p. 183.
Une sélection de la race Marteau des Vertus est le N. à forcer demi-long obtenu vers 1890, obtus, mais non renflé à l’extrémité, que l’on cultive sur une grande échelle pour l’exportation. Les feuilles, réduites en nombre et en dimension, la rapidité de sa croissance, en font le Navet idéal pour la culture sous châssis.
A la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, les maraîchers parisiens faisaient en petite quantité une culture forcée d’une variété hâtive, mais au fur et à mesure que la Pomme de terre nouvellement introduite fut plus recherchée, la culture du Navet forcé devint moins lucrative ; elle fut finalement abandonnée. Après la guerre de 1870, nous dit M. Curé, secrétaire du Syndicat des maraîchers parisiens, quelques jeunes maraîchers eurent l’idée d’entreprendre la culture forcée du Navet blanc hâtif race Marteau. Ce Navet, d’une croissance extra-rapide, n’occupe pas la terre longtemps, ce qui diminue son prix de revient.
D’autre part, sa qualité est très supérieure à celle des Navets cultivés dans le Midi pour primeurs. Aussi l’industrie du Navet forcé a pris depuis cette époque une grande place dans la culture maraîchère des environs de Paris et son exportation en Angleterre, Belgique, Allemagne, Russie pendant les mois de mars et d’avril de chaque année atteindrait le taux respectable de trois millions de francs[309]. Les races anglaises Early Milan, Snow Ball, Red Globe, etc., ont aussi une aptitude spéciale à réussir sur couche.
[309] Rev. hortic., 1902, p. 165.
Le Navet rond des Vertus encore appelé N. de Croissy est très commun sur les marchés. Croissy, village situé non loin de la machine de Marly, s’est spécialisé depuis plus d’un siècle dans la culture du Navet et de la Carotte ; il fournit les premiers Navets de pleine terre envoyés aux Halles de Paris au commencement de mai et alimente les marchés parisiens pendant la plus grande partie de l’année. Montesson, Palaiseau, Flins et Viarmes sont des centres de production du Navet très importants.
Les Navets dits secs diffèrent de ces races maraîchères par leur chair plus sucrée et qui reste ferme après cuisson au lieu d’être aqueuse et fondante. Les variétés anciennes de Saulieu, de Meaux, de Teltau, de Freneuse appartiennent à cette catégorie de Navets fins.
Le Navet réputé de Freneuse a fait connaître le nom de ce charmant village situé sur les bords de la Seine, près de Mantes. Entre 1600 et 1650 les habitants de Freneuse commencèrent à consacrer la plus grande partie de leur territoire très sableux à la production du Navet ordinaire qu’ils allaient ensuite exporter dans la région normande sur les marchés de Gisors, La Roche-Guyon, Magny, Vernon. Quelques cultivateurs amenaient leur voiture jusqu’à Rouen, Beauvais et Paris.
La culture plus lucrative de l’Asperge, qui a pris une grande extension à Freneuse à partir de 1865, a fait disparaître l’industrie du Navet. Le cultivateur freneusier sème toujours quelques ares de « petite graine » pour les besoins de sa maison. Celui-là est le vrai Navet de Freneuse qui n’est jamais venu à Paris. Le Navet vendu autrefois sous ce nom provenait du territoire de Flins, près Poissy[310].
[310] Communication due à l’obligeance de M. Renout, maire de Freneuse.
Il existe en France une certaine prévention contre les Navets à chair jaune, d’ailleurs excellents. Sont cependant assez cultivés le N. Boule d’or, jolie variété sphérique, importée d’Angleterre en 1844 par le comte de Gourcy, agronome, et issu du N. jaune de Malte, le Navet jaune de Montmagny, nouveauté de 1875.
Selon Littré, le mot français Navet est dérivé du latin Napus par l’intermédiaire d’un diminutif Napetus et par suite de la tendance à changer le p en b ou en v. Dans les lois saliques nous voyons déjà nabina et navina, lieux cultivés en Navets. Les textes du moyen âge présentent les formes : naviet, navez ; navel et naveau sont les dérivés les plus fréquents ; ce dernier a été usité jusqu’au XVIIe siècle. Les patois berrichons et picards ont gardé naviau et naveau.
Quant à la Rave, toutes les langues européennes ont un nom commun : grec, rapus et raphus ; latin rapa ; irlandais raîb, raibe ; ancien allemand raba, ruoba ; scandinave rôfa ; ancien slave repa ; russe rjepa, etc. La racine sanscrite rap, paraît exprimer une idée de gonflement, de plénitude qui s’appliquerait fort bien aux formes des racines en question[311].
[311] Pictet, Orig. indo-européennes, t. I, p. 376.