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Histoire des légumes

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IGNAME DE CHINE

(Dioscorea Batatas Dcn.)

Les Ignames sont des plantes grimpantes monocotylédones de la famille des Dioscorées, voisine des Amaryllidées.

Leur rhizome tuberculeux, souvent très gros, est alimentaire. Ces plantes appartiennent au genre Dioscorea, dont il existe 15 ou 20 espèces comestibles très différentes et beaucoup cultivées dans l’Inde, la Chine, l’Afrique, l’Archipel malais, l’Amérique intertropicale. Dans toutes ces régions, les tubercules féculents des Ignames rendent les mêmes services que la Pomme de terre. Outre la fécule, ils contiennent une substance mucilagineuse azotée qui les rend très nutritifs.

Une seule espèce, suffisamment rustique sous nos climats, est cultivée en France à titre de légume de luxe par des amateurs peu nombreux. C’est l’Igname de Chine, à rhizome très allongé, en forme de massue. L’espèce, largement cultivée pour l’alimentation dans le Nord de la Chine, n’a jamais été trouvée à l’état sauvage, mais le Dioscorea japonica de Thunberg pourrait bien être son type sauvage.

L’introduction de l’Igname de Chine en France est assez récente. En 1846, le vice-amiral Cécile avait rapporté d’un voyage en Chine un tubercule qu’il remit au Muséum. Le dit rhizome fut cultivé en pot et rentré en serre pendant l’hiver jusqu’en 1850, époque où l’on reconnut la plante nommée par Thunberg Dioscorea japonica. En 1850, M. de Montigny, consul de France à Shang-Haï, fit une seconde introduction qui donna des résultats pratiques. On apprit de l’introducteur que le tubercule de l’Igname était aussi apprécié en Chine que la Pomme de terre l’est en Europe. La maladie qui sévissait depuis quelques années sur le précieux tubercule faisait craindre sa disparition dans nos pays ; aussi l’Igname, présentée comme un succédané de la Pomme de terre, parut d’abord appelée à un grand avenir. M. Decaisne, professeur de culture au Muséum, et Pépin, jardinier-chef, firent connaître la nouvelle racine alimentaire par des articles de la presse horticole. Puis l’horticulteur-pépiniériste Paillet la propagea pour le commerce dans son établissement. En 1855, M. Naudin prédisait qu’avant un demi-siècle l’Igname serait devenue aussi populaire, dans une moitié de l’Europe, que l’est la Pomme de terre elle-même. Mais la difficulté de l’arrachage a été un obstacle à la vulgarisation de cette plante utile : le rhizome plonge dans le sol à une profondeur qui atteint un mètre et plus et sa nature cassante rend l’extraction encore plus difficile. La plantation de l’Igname en billon, qui se pratique en Chine, fut bien souvent recommandée dans la dernière moitié du XIXe siècle comme supprimant ou atténuant ces inconvénients, cependant la plante n’est pas devenue une production jardinière.

M. Hardy, au Jardin du Hamman à Alger, M. Quihou, au Jardin d’Acclimatation de Paris, cherchèrent vainement à obtenir une variété de ce légume à tubercules arrondis. Un amateur, M. P. Chappellier, s’est efforcé de rendre la culture de l’Igname pratique en effectuant des semis. Après de nombreux insuccès, M. Chappellier est arrivé récemment à obtenir une Igname améliorée que la maison Vilmorin mettait en vente en 1906. Les tubercules de cette Igname sont de moitié moins longs que ceux du type ordinaire pour un poids sensiblement égal variant entre 450 et 500 grammes. Leur longueur ne dépasse pas 40 centimètres ; cette Igname est femelle. Grâce à cette amélioration, l’arrachage ne nécessite désormais que la levée de deux fers de bêche au lieu d’exiger comme jadis l’enlèvement de plus d’un mètre de terre[341].

[341] Jal Soc. nat. Hortic. Fr., 1907, p. 727. — Le Jardin, 1908, p. 38.

Cette amélioration aura-t-elle pour effet de rendre potagère l’Igname de Chine ? Il ne semble pas que ce tubercule dont la chair est cependant supérieure à celle de la Pomme de terre, puisse se répandre beaucoup en dehors des jardins d’amateurs de légumes curieux et rares.

L’introduction, en 1862, de l’Igname plate (Dioscorea Decaisneana), à tubercules petits et arrondis, n’a pas produit de résultat appréciable et pas davantage celle de l’Igname de Farges (Dioscorea Fargesi), envoyée en France en 1894 par le P. Farges, missionnaire au Se-tchuen (Chine occidentale), qui est comestible, produisant des tubercules de la grosseur d’une petite Orange, lesquels se développent presque à la surface du sol[342].

[342] Paillieux et Bois, Potager d’un Curieux, 3e éd., p. 248.

Les Egyptiens, ni l’Antiquité classique n’ont pas connu l’Igname. Il n’y a pas de noms sanscrits. On peut se baser sur ces faits pour dire que l’Ancien et le Nouveau Monde ont cultivé simultanément les Ignames depuis des époques probablement moins reculées que beaucoup de plantes alimentaires. Les Caraïbes des Antilles possédaient une espèce qu’ils appelaient ages ou ajes et, bien que plusieurs espèces du genre Dioscorea croissent spontanément au Brésil et à la Guyane, il semble que les formes cultivées en Amérique ont été plutôt introduites de l’Ancien Monde. A quelle date et par quelle voie a pu se faire cette introduction qui soulève un problème très intéressant : celui des relations qui ont existé entre les deux mondes avant Colomb ?

L’Igname n’est donc connue en Europe que depuis la découverte de l’Amérique. Au XVIe siècle les botanistes en ont parlé. Dalechamps et Clusius la figurent comme une variété de Patate. D’ailleurs, entre ces plantes, la confusion des noms est continuelle chez les anciens botanistes. Selon Morison, en Amérique, la Patate était aussi désignée sous le nom d’Inhame. Dans l’Inde, d’après Petiver, une espèce de Dioscorea s’appelait Inhame. Bien que ce nom, aujourd’hui fixé sous la forme Igname, nous soit parvenu de l’Amérique, il paraît bien dériver du verbe yam, manger, qui appartient aux dialectes des nègres de la Guinée. L’Escluse qui avait voyagé dans le sud de l’Espagne et dans le Portugal, en 1563, nous apprend que la Colocase (Colocasia antiquorum), plante à souche alimentaire, originaire d’Afrique et naturalisée dans tous les pays chauds, était recherchée par les esclaves nègres qui la mangeaient crue ou cuite sous le nom d’Inhame. Les Espagnols qui avaient vu la Colocase étaient prêts, dans le début de la découverte, à transporter son nom africain à la première racine cultivée qu’ils virent en Amérique. De là les noms de yam, niame, inhame appliqués à la plante que les Caraïbes appelaient ajes et qui est certainement un Dioscorea[343]. Igname aurait donc eu primitivement le sens de grosse racine, ou mieux de racine nourrissante.

[343] Asa Gray, Am. Journal of Sciences, t. XXV, p. 250.

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