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Histoire des légumes

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TOPINAMBOUR

(Helianthus tuberosus L.)

Le Soleil vivace, à tiges annuelles, à rhizomes renflés en forme de tubercules, qui a nom Topinambour, est originaire du Nouveau Monde, comme toutes les autres espèces du genre Helianthus, plantes de la famille des Composées répandues en grand nombre dans les régions tempérées et froides de l’Amérique du nord.

L’histoire du Topinambour ne commence qu’au XVIIe siècle avec la colonisation française du Canada. La côte du Canada fut découverte en 1497 par Sébastien Cabot. François Ier prit possession de ce pays qu’on appela la Nouvelle-France. En 1534, Jacques Cartier explora le golfe du Saint-Laurent et fonda le port de Sainte-Croix, premier établissement français au Canada. Le navigateur Champlain, envoyé en mission par Henri IV, fonda plus tard Québec et, dès lors, les colons affluèrent à la Nouvelle-France.

Nous savons par les Relations des anciens voyageurs que les premiers émigrés dans ces contrées inhospitalières subirent de grandes privations. Pour échapper à de fréquentes famines, ils durent apprendre des Hurons et des Algonquins la recherche des racines sauvages comestibles. Mais il n’est pas facile de distinguer sous le nom de noix de terre ou autres appellations comme truffes, poires de terre ou pommes de terre, que les voyageurs leur donnaient, les trois ou quatre tubercules mangés par les Indiens d’Amérique : Solanum tuberosum, Apios, Topinambour, Aralia trifolia et un Cyperus. Leurs descriptions, brèves et vagues, prêtent à confusion surtout entre les tubercules de l’Apios et ceux du Topinambour. Il ne paraît pas douteux, cependant, que Champlain, dès 1603, avait réellement vu entre les mains des indigènes du Nord des Etats-Unis actuels « des racines qu’ils cultivent, lesquelles ont le goût d’Artichaut »[411]. Des botanistes comme Asa Gray et Decaisne auxquels nous devons beaucoup de nos renseignements sur l’histoire du Topinambour admettent que Champlain parle de l’Helianthus tuberosus[412]. Lescarbot, un des colonisateurs du Canada, fait allusion à cette même plante dans la 3e éd. de son Histoire de la Nouvelle-France : « Il y a encore en cette terre certaine sorte de racines grosses comme naveaux ou truffes, très excellentes à manger, ayant un goût retirant aux cardes (Cardons), voire plus agréable, lesquelles, plantées, multiplient comme par dépit en telle façon que c’est merveille »[413]. Lescarbot ajoute que ces racines sont bonnes cuites sous la cendre ou mangées crues avec du poivre, sel et huile. « Nous avons apporté quelques-unes de ces racines en France lesquelles ont tellement multiplié, que les jardins en sont maintenant garnis, mais j’en veux mal à ceux qui les font nommer Topinambaux aux crieurs des rues ; les sauvages les appellent chiquebi ». Sur ce point, Lescarbot se trompe : chiquebi était le nom sous lequel les Algonquins désignaient les tubercules de l’Apios.

[411] Voyage de Champlain, réimpression 1830, t. I, p. 110.

[412] Voir American Journal of Science, 1877 (XIII) ; 1883 (XXVI). — Flore des Serres, t. XXIII, p. 112.

[413] Hist. de la Nouvelle-France, l. VI, p. 931 (3e éd. 1618).

Dans tous les cas, il est intéressant de constater que le Topinambour, introduit en France quelques années plus tôt, était répandu en 1618 dans les jardins et déjà denrée populaire ; ce qui s’explique par la prodigieuse multiplication de la plante et la facilité de sa culture.

Claude Mollet, jardinier royal, confirme l’extension de la plante nouvelle en France vers 1610-1615, époque de la rédaction de son Traité de jardinage : « Les gros Treufles (Truffes), dit-il, sont fort bonnes (sic) à manger en Caresme, les faisant cuire dans la braise comme les poires, et après qu’ils sont cuits, les peler, et leur faire une saulce comme à des Artichaux ; en les mangeant, ils ont le même goût d’Artichaux »[414].

[414] Théâtre des plans et jardinages, p. 150.

Decaisne cite encore le passage suivant d’un auteur contemporain de Mollet et de Lescarbot : « Depuis quelques années en çà, nous avons recouvert une plante qui, à bon droit, doit être mise au rang des herbes du Soleil ; le vulgaire l’appelle Truffe du Canada. Cette racine est si bonne à manger bouillie dans de l’eau avec du sel ou cuite sous la cendre, qu’il semble que l’on mange des cardes (Cardons). Nous l’appellerons doncques Herba Solis radice et flore prolifero[415]. »

[415] Ant. Colin, Histoire des Drogues, Epiceries, etc. qui naissent aux Indes, Lyon (1619).

Gabriel Sagard, missionnaire Récollet de saint François, parlant des racines consommées par les sauvages des Etats-Unis et du Canada indique aussi les noms vulgaires portés en France par le Topinambour au début de sa vulgarisation : « Les racines que nous appelons canadiennes ou pommes de Canada… dit-il dans le Grand voyage du pays des Hurons (1632).

Pommes de Canada, du nom de son pays d’origine, et Truffes du Canada ont donc été les noms primitifs du Topinambour qui a encore eu les synonymes suivants : Artichaut du Canada, ou simplement Canada, Tartifle, qui ont été aussi les noms de la Pomme de terre.

Les Flamands et les Wallons adoptèrent le nom de poire de terre (grond-peer), d’où est venu cronpire, réservé plutôt aujourd’hui à la Pomme de terre. Le nom anglais du Topinambour : Jerusalem Artichoke, Artichaut de Jérusalem, est une corruption de l’italien Girasole (Tournesol ou Soleil) combiné avec le goût de fond d’Artichaut des tubercules du Topinambour.

La plante appelée Cartoufle, de l’italien Tartuffi, truffe, si peu clairement décrite par Olivier de Serres en 1600, n’est pas le Topinambour comme Parmentier l’a cru et comme on le voit dans une note de la belle édition de 1804 du Théâtre d’Agriculture. C’est la Pomme de terre.

Le mot Topinambour, qui a prévalu en France, a une origine populaire due à une circonstance particulière. Un événement de l’année 1613 qui amusa tous les Parisiens fut l’arrivée de six sauvages Tupinambas de la côte du Brésil. Ces Indiens, de la grande famille des Caraïbes, avaient été les alliés de la France au XVIe siècle.

Malherbe écrit, à la date du 15 avril 1613, au célèbre Peiresc : « Aujourd’hui, le sieur de Razilly qui depuis quelques jours est de retour de l’île de Maragnon, (ou Maragnan, île du Brésil) a fait voir à la Reine six Toupinamboux qu’il a amenés de ce pays-là. En passant par Rouen, il les fit habiller à la française : car, selon la coutume du pays, ils vont tout nus, hormis quelque haillon noir qu’ils mettent devant leurs parties honteuses ; les femmes ne portent du tout rien. Ils ont dansé une espèce de branle sans se tenir par les mains et sans bouger d’une place ; leurs violons étoient une courge comme celles dont les pèlerins se servent pour boire, et dedans il y avoit comme des clous ou des épingles[416]. »

[416] Lettres de Malherbe, éd. Lalanne, t. III p. 297, 314, etc.

A l’exemple de la Cour, tout Paris voulut voir danser la « sarabande » des pauvres sauvages. Mais, deux mois après leur arrivée, trois Toupinamboux étaient déjà morts. On se hâta de baptiser les survivants et le roi fut leur parrain, ce qui porta à son comble la popularité des Toupinamboux[417]. Il est probable que les tribus des Tupi-Guarani du Brésil cultivaient le nouveau tubercule qui commençait à se répandre en France vers 1613. Par suite de cette coïncidence, la langue vulgaire adopta pour le légume exotique le nom des Toupinamboux en le modifiant légèrement.

[417] Mercure de France, 1613, p. 175.

De là vint aussi la croyance à l’origine brésilienne du Topinambour que Linné a consacrée dans son Species ; mais dans son Hortus Cliffortianus, où il est d’ordinaire plus exact au point de vue de la géographie botanique, il donne à la plante sa véritable origine nord-américaine. Plusieurs botanistes éminents suivaient naguère la première référence linnéenne sans songer à l’impossibilité de la naturalisation d’une plante des pays équatoriaux sous le dur climat du Canada.

Le Phytopinax de Bauhin (1596) ne connaît pas encore le Topinambour, mais le Pinax de 1623 l’appelle Chrysanthemum Canada quibusdam, Canada et Artichoki sub terra aliis.

Le botaniste italien Fabio Colonna qui avait vu la plante dans le jardin du cardinal Farnèse, à Rome, est le premier qui ait décrit scientifiquement le Topinambour, en 1616, sous le nom de Flos Solis ou Aster Peruanus. Il a donné aussi la première figure de cette Composée dont l’aspect ancien est assez différent de ce que nous voyons dans nos jardins : la plante est très rameuse et de port pyramidal[418].

[418] Ecphasis, l. II, p. 13, et Botanical Mag. t. 7545.

Le Topinambour a été introduit en Angleterre en 1617. A cette date, John Goodyer, de Maple Durham, Hampshire, reçut d’un Français, M. Franqueville, de Londres, deux petits tubercules qu’il planta et soigna si bien qu’avant 1621 il aurait pu approvisionner de tubercules la ville d’Hampshire. Goodyer écrivit une notice sur la culture de cette plante et l’adressa à T. Johnson qui l’inséra dans sa 2e édition de l’Herball de Gérarde (1636). Auparavant, Parkinson avait figuré le Topinambour sous le nom de Battatas of Canada dans son Paradisus (1629). Dans son Theater of Plants (1640), il l’appelle Artichaut de Jérusalem, nom qui a prévalu en Angleterre.

Dès le temps de Parkinson, le Topinambour entrait dans la confection des pâtisseries anglaises, avec les Marrons, Dattes et Raisins secs ; il était cultivé en si grande quantité que le bas peuple commençait à le mépriser, ce qui s’explique assez : le Topinambour répugne vite si l’on en mange souvent.

L’Italie semble avoir reçu le Topinambour du Pérou avant 1616.

Pierre Hondt fit connaître le Topinambour à la Belgique. Il donna une description détaillée de ce végétal qu’il désignait sous le nom d’Artichaut souterrain.

Van Ravelingen, continuateur de Dodoens, nous apprend qu’on cultivait les « Canadas » en grand en Belgique et en France dès 1613[419]. C’était, disait-il, une nourriture commune. En France, et dans les Pays-Bas, on mangeait les racines cuites, assaisonnées de poivre. En Zélande, c’était un aliment quotidien de novembre à Pâques. On pelait les tubercules et on les passait dans la farine, puis on les mangeait frits au beurre. D’autres fois on les coupait en tranches, on les rôtissait sur la poële et on les saupoudrait de sucre ; on les mangeait en guise de Panais sucré. Ou bien encore on cuisait les tubercules entre deux plats avec du beurre et de l’huile fine et un assaisonnement de sel, poivre, gingembre, muscade, cannelle, clous de girofle.

[419] Jal d’Agric. de Belgique, t. I (1848), p. 49 et suiv.

Le savant auteur Van Sterbeeck fut un grand admirateur du Topinambour ; il en avait compris l’importance pour l’Agriculture. Il nous apprend qu’en 1658 le Topinambour, connu sous le nom de Canada, était cultivé en grand sur les digues près d’Anvers, que de son temps, l’homme mangeait les jeunes feuilles de cette plante, cuites et mélangées avec des Choux. On les mangeait en guise d’Epinards, bref ces feuilles étaient un vrai légume[420]. En Virginie, on mentionne le Topinambour comme cultivé sous le nom d’Hartichoke en 1648 par les colons anglo-américains. Aujourd’hui on le rencontre dans les contrées les plus reculées, en Perse, dans l’Inde, Afghanistan, etc.

[420] Jal d’Agric. pratique de la Belgique, t. I (1848), p. 47.

En France, ce tubercule a été beaucoup cultivé au XVIIe siècle pour la table alors que la Pomme de terre était pour ainsi dire inconnue. On le considérait comme un mets délicat quoique ordinaire et tous les livres de cuisine le font figurer sur les menus. D’ailleurs il était connu sous le nom de Pomme de terre autant que sous celui de Topinambour. Le Jardinier françois, de Bonnefons (1651), dit : « Taupinambours ou Pommes de terre, ce sont des racines rondes qui viennent par nœuds et que l’on mange dans le caresme en forme de fonds d’Artichaux ». Lemery (Traité des aliments, 1709), de Combles, la Nlle Maison rustique, au XVIIIe siècle, appellent ce légume Pomme de terre. C’est le synonyme que donnent aussi les grands dictionnaires du XVIIe siècle. Furetière (1690) dit à l’article « Taupinambour » : « racine ronde que les pauvres gens mangent cuite avec du sel, du beurre et du vinaigre. On l’appelle autrement Pomme de terre. »

Au XVIIIe siècle, la culture du Topinambour périclita au fur et à mesure que s’étendit celle de la Pomme de terre véritable. De Combles (1749) donne une appréciation peu favorable au Topinambour : « Voici le plus mauvais légume dans l’opinion générale ; cependant le peuple qui est la partie la plus nombreuse de l’humanité s’en nourrit, je dois par conséquent placer ce légume avec les autres. Les fruits (tubercules) sont de la grosseur d’un œuf ; cette plante est venue d’Amérique, du pays des Topinambours, d’où elle tire son nom[421].

[421] Ecole du Potager (1749), t. II, p. 573.

En effet, si l’on n’admettait plus de son temps le Topinambour sur les tables bourgeoises, comme on le faisait au XVIIe siècle, sa culture prospérait dans tous les pays pauvres de l’Europe. Nous voyons que, sur la réclamation du clergé du comté de Namur, le prince Charles de Lorraine établit en Belgique des dîmes sur les Topinambours par décret en date du 7 février 1763[422].

[422] Recueil des Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, IX, p. 2.

Il est assez inexplicable que, pour une plante aussi largement cultivée depuis 250 ans et répandue à l’état sauvage sur une grande partie des Etats-Unis, l’identité spécifique de l’Helianthus tuberosus soit restée si longtemps douteuse, et son pays d’origine méconnu. Depuis 1884 seulement, on est fixé sur ces différents points. L’Helianthus doronicoides Lamk. n’est pas, comme on le croyait, la souche de nos Topinambours cultivés. L’Helianthus tuberosus est une espèce distincte, reconnue bien spontanée dans le Bas-Canada où Champlain l’avait vue autrefois ; il existe aussi au Sud de l’Arkansas, dans la Géorgie centrale, sur le territoire d’Indiana. L’espèce doronicoides, de Lamarck, fort différente, a les feuilles opposées, sessiles, jamais cordiformes et les rhizomes non renflés. Le Botanical Magazine, tab. 7545, a donné la figure du Topinambour sauvage.

Le Topinambour n’est guère cultivé dans les potagers français. En employant pour l’usage culinaire certaines variétés améliorées à saveur plus fine, il formerait un légume de second ordre. Un auteur dit que le Topinambour frit est une véritable friandise.

Victor Yvart, fameux agronome, a introduit le Topinambour dans la grande culture en 1790. Là on en tire un parti avantageux pour la nourriture du bétail. L’inuline, matière amylacée liquide qui remplace la fécule dans les tubercules de Topinambours et qui se trouve aussi chez d’autres plantes : Grande Aunée (Inula Helenium), Dahlia, etc. fut découverte en 1804 par Valentine Rose.

Les tubercules des variétés améliorées sont plus arrondis, moins mamelonnés que ceux du type ordinaire. Nous citerons : Topinambour Patate (Vilmorin 1895) ; T. blanc amélioré (Vilmorin 1908). Les tubercules épais, de forme régulière, de ces variétés sont recherchés, paraît-il, par quelques fabricants de conserves qui savent très bien les convertir en fonds d’Artichaut de « qualité supérieure ». Voilà, souvent, à quoi sert le progrès !

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