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Histoire des légumes

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Légumineuses

FÈVE

(Faba vulgaris Mœnch)

Parmi les substances comestibles d’origine végétale, les graines des Légumineuses se placent au premier rang. Il n’est pas d’aliments végétaux plus riches en matières azotées, et par conséquent plus nutritifs, que la fécule de la Fève, de la Lentille, du Pois et du Haricot.

Cultivées dès les temps préhistoriques, les Légumineuses ont dû suppléer bien souvent à l’insuffisance des Céréales. Nous savons que chez les Hébreux, en Grèce, à Rome, dans l’ancienne France, on mélangeait, en temps de famine, à la farine de Froment celle de la Fève ou de la Lentille pour en faire un pain grossier, indigeste, mais très nourrissant.

L’origine de la Fève est incertaine. On l’a vaguement indiquée autrefois comme étant spontanée au midi de la mer Caspienne, en Perse, en Mauritanie. Ces indications n’ont pas été confirmées par les voyageurs modernes. D’ailleurs de Candolle a reconnu erronés les renseignements donnés sur ce sujet par quelques anciens botanistes ; leurs herbiers ne présentent pas non plus aucun échantillon de Fève à l’état spontané. Pour l’Afrique du Nord, dit de Candolle, le botaniste Cosson, qui a le mieux exploré cette région, n’a vu nulle part la Fève sauvage. Munby a mentionné la Fève comme spontanée en Algérie, à Oran ; mais comme les Arabes cultivent beaucoup la Fève, elle se rencontre peut-être accidentellement hors des cultures. Il ne faut pas oublier cependant que Pline (l. XVIII, c. 12) parle d’une Fève sauvage en Mauritanie ; il ajoute qu’elle est dure et qu’on ne peut pas la cuire, ce qui fait douter de l’espèce. Les botanistes qui ont écrit sur l’Egypte et la Cyrénaïque, en particulier les plus récents, donnent la Fève pour cultivée[423].

[423] Origine des pl. cultivées, 4e éd. p. 253.

En somme, on n’a jamais vu la Fève sauvage et pourtant les régions d’où la plante sort indubitablement ont été explorées par maints botanistes.

Ici nous citons textuellement de Candolle : « Quant à l’habitation spontanée de la Fève, il est possible qu’elle ait été double il y a quelques milliers d’années, l’un des centres étant au midi de la mer Caspienne, l’autre dans l’Afrique septentrionale. Ces sortes d’habitations que j’ai appelées disjointes sont rares dans les plantes dicotylédones, mais il en existe des exemples précisément dans les contrées dont je viens de parler. Il est probable que l’habitation de la Fève est depuis longtemps en voie de diminution et d’extinction. La nature de la plante appuie cette hypothèse, car ses graines n’ont aucun moyen de dispersion et les rongeurs et autres animaux peuvent s’en emparer avec facilité. L’habitation dans l’Asie occidentale était peut-être moins limitée jadis que maintenant et celle en Afrique à l’époque de Pline, s’étendait peut-être plus ou moins. La lutte pour l’existence, défavorable à cette plante, comme au Maïs, l’aurait cantonnée peu à peu et l’aurait fait disparaître, si l’homme ne l’avait sauvée en la cultivant »[424].

[424] Loc. cit., p. 256.

Un article récent de M. le Dr Trabut vient appuyer les observations si judicieuses d’A. de Candolle. Ce botaniste a trouvé la Fève spontanée en Algérie dans les jachères indigènes de la région dite le Sersou. Les femmes arabes récoltent ces Fèves, de taille très réduite, qui présentent une grande analogie avec certaines Féverolles. La graine est beaucoup plus dure que celle des races cultivées ; elle gonfle plus difficilement dans l’eau et cuit très mal ; ce qui confirme l’observation de Pline sur la Fève de Mauritanie. C’est avec le Faba celtica nana récolté par Heer dans les débris des habitations lacustres de la Suisse, que la Fève de Sersou a le plus d’analogie. Les dimensions de 6 à 9 m/m qui sont celles des graines du Sersou, comme des graines des palafittes, sont dépassées par toutes les races actuellement cultivées[425].

[425] Dr Trabut, L’indigènat de la Fève en Algérie (Bull. Soc. bot. de Fr., 1910, no 5, p. 424 et 1911, p. 3).

La culture de la Fève est préhistorique en Europe, en Asie-Mineure, en Egypte, d’après les découvertes archéologiques modernes. Elle paraît en compagnie des Céréales et d’autres Légumineuses, dès l’âge de la pierre, dans les souterrains d’Aggetelek, en Hongrie. Une variété de Fève, à graines beaucoup plus petites que celles de la Féverolle, sans doute très voisine de la forme sauvage, et que M. Heer a nommée Faba celtica, était cultivée à l’époque de l’âge du bronze par les habitants des cités lacustres de la Suisse, de la Lombardie et de la Savoie[426]. Schliemann a recueilli quantité de Fèves carbonisées dans les ruines de la seconde ville préhistorique de la colline d’Hissarlik qu’il suppose être la Troie célébrée par l’Iliade[427]. En Egypte, des semences ont été trouvées dans des tombes de la XIIe dynastie (2.200 à 2.400 av. J.-C.)[428].

[426] Heer, Pflanzen der Pfahlbauten, p. 22.

[427] Ilios, éd. française (1885), p. 6.

[428] Schweinfurth, Nature, 1883, p. 314.

La Bible cite deux fois ce légume sous le nom sémitique pol ou phul, conservé par l’arabe ful ou foul ; en égyptien aour ou wour qui équivaut à four, foul, nom assez fréquent dans les listes d’offrandes funéraires[429]. D’après le Livre des Rois, qui date de mille ans environ avant notre ère, le roi David, fuyant devant son fils Absalon révolté, fut accueilli par les habitants de Mahanaïm qui lui offrirent du Blé, de l’Orge, des Fèves et des Lentilles. D’autre part, dans le Livre d’Ezéchiel, nous voyons que ce prophète reçut de Jéhovah l’ordre de se nourrir, pendant 390 jours, en signe d’affliction, d’un pain formé de Froment, d’Orge, de Fève, de Millet et d’Epeautre, parce que ce pain était celui que l’on mangeait en temps de disette.

[429] Vigouroux, Dict. de la Bible, art. Fève.

La culture de la Fève doit être très ancienne dans l’Afrique septentrionale, car les Berbers possèdent un nom vernaculaire, Ibiou, qu’ils n’ont pas emprunté aux Sémites. Les Chinois ne possèdent la Fève que depuis le premier siècle avant l’ère chrétienne. Le général Chang-Kien la rapporta de l’Asie occidentale sous le règne de Wuti[430].

[430] Bretschneider, On the Study, p. 15.

Dans les temps historiques, on voit la Fève légume des plus cultivés. Les écrivains classiques la mentionnent assez souvent, ce qui montre qu’elle a été largement consommée par les Grecs, les Romains et autres peuples de l’antiquité, bien que certaines superstitions semblent avoir restreint l’usage de ce légume à la classe pauvre.

Les préjugés relatifs à l’interdiction des Fèves comme aliment ont peut-être commencé en Egypte. Hérodote dit que les prêtres de ce pays ont tellement les Fèves en horreur qu’on n’en sème point dans toute l’Egypte et, si par hasard il en survient quelque plante, ils en détournent les yeux comme de quelque chose d’immonde. Ceci est manifestement exagéré. On semait des Fèves en Egypte. En dehors des prêtres, qui ont pu s’abstenir de cet aliment par pratique religieuse, la masse du peuple n’a jamais dédaigné la Fève, témoin la présence fréquente de ce Légumineux parmi les offrandes funéraires[431].

[431] Bulletin de l’Institut égyptien, 1884, p. 7.

La Fève a été un aliment populaire chez les anciens Grecs. L’Iliade d’Homère fait déjà allusion à la Fève, puis Théocrite, sous le nom de Kuamos ; ce terme paraissant avoir le sens de graine comestible en général. C’est pourquoi Théophraste appelle la Fève Kuamos ellenikos, Fève grecque, pour la distinguer de la Fève d’Egypte qui est le fruit du Nélombo. On offrait des gâteaux de Fèves à certains dieux et déesses. Dans les fêtes que les Athéniens célébraient chaque année sous le nom de Pyanésies, en l’honneur d’Apollon, tout le monde devait manger des Fèves.

Pythagore, fondateur d’une secte célèbre dans l’antiquité, et qui avait puisé ses idées philosophiques en Egypte, introduisit en Grèce les superstitions égyptiennes relatives à la Fève. Ses disciples considéraient la Fève comme quelque chose d’impur. Quoique végétariens, ils n’en mangeaient pas et refusaient même d’y toucher. L’histoire raconte que des pythagoriciens poursuivis par les soldats de Denys, tyran de Syracuse, arrivés devant un champ de Fèves, n’osèrent le traverser et se firent massacrer. Mais cette aversion pour la Fève, dont les motifs sont mal connus, car les pythagoriciens en faisaient un secret, remonte plus loin que Pythagore. La mythologie en porte une trace évidente. D’après la fable grecque, lorsque Cérès vint à Phénéos, en Arcadie, la déesse fit don aux habitants de cette ville de plusieurs graines Légumineuses, mais elle exclut la Fève du nombre de ses dons[432].

[432] Gubernatis, Mythologie des plantes, t. II, p. 132.

Il est probable que les croyances superstitieuses relatives aux Fèves se rattachent au dogme de la métempsycose. D’après le témoignage de quelques auteurs, les Anciens, ou du moins un certain nombre de personnes, ont cru à la transmigration des âmes dans les Fèves. De là le caractère funèbre attribué à la plante. On mangeait ordinairement des Fèves dans les festins qui suivent les funérailles. Elles jouaient un rôle dans les lémurales, fêtes instituées pour conjurer les visites nocturnes des lémures, âmes errantes de ceux qui avaient mal vécu. On supposait ces esprits malfaisants enclins à s’approcher des maisons pour tourmenter les vivants. Pendant les fêtes lémurales, le père de famille se levait à minuit, accomplissait un rite religieux qui consistait à emplir sa bouche de Fèves et à les rejeter une à une derrière lui en prononçant neuf fois ces paroles : « Par ces Fèves, je me débarrasse de vous, moi et les miens ».

Les Romains, qui mangeaient les graines amères ou coriaces du Lupin et du Pois chiche et même d’autres Légumineuses de moindre valeur, comme l’Ers, la Gesse et la Vesce, faisaient grand cas des Fèves. Les candidats aux charges publiques n’oubliaient pas, au moment des élections, les distributions de Fèves parmi les largesses qu’ils faisaient au peuple. Une des plus grandes familles patriciennes de Rome, la gens Fabia, tirait son nom patronymique des Fèves. Cependant, toujours parce que la Fève était plante funèbre, le grand Pontife de la religion officielle, le flamine Dial, ne pouvait en manger ; il lui était même interdit de nommer ce légume. Pline donne pour raison de cette interdiction que la fleur papillonacée de cette plante porte des « lettres lugubres ». Il entendait par ces mots les macules noires des pétales latéraux (ailes) qui semblaient être, aux yeux des Romains superstitieux, des marques infernales.

Le moyen âge n’a pas connu ces préjugés. A aucune époque, la consommation des Légumineuses : Fèves, Pois et Lentilles n’a été aussi grande. Un article des lois saliques, renouvelé dans les capitulaires de Charlemagne, punit d’une forte amende le vol de ces légumes cultivés en plein champ.

Au XIIIe siècle, d’après les Cris de Paris, la Fève en cosse ou en purée chaude se vendait abondamment dans les rues de Paris. On appréciait alors les Fèves frasées (écorcées). En hiver, les moines, dans leurs abbayes, mangeaient le plus souvent le pulmentum, potage fait de pain et de Fèves sèches. Enfin la Fève paraît avoir été, au moyen âge, avec Choux, Raves, Aulx, Poireaux et Oignons, un des principaux légumes du paysan français, si l’on en croit le Dit de l’Oustillement au villain qui énumère toutes les choses nécessaires au ménage :

Se li covient les feves
Et les chols et les reves
Et aus et porions
Et civos et oignons[433].

[433] Montaiglon, Recueil de poésies, t. II, p. 149.

Les rues aux Fèves que l’on voit dans les grandes villes de province témoignent assez de l’importance du commerce des graines Légumineuses au moyen âge. Les grainiers se trouvaient groupés dans ces rues selon les habitudes corporatives de l’ancien temps.

L’historien Monteil dit que dans tous les temps le prix des Fèves a été le même que celui du pain. Mais depuis l’introduction de la Pomme de terre et du Haricot, on a considérablement diminué les emblavures de cette Légumineuse.

De nos jours, les Orientaux, les Arabes surtout, sont ceux qui mangent le plus de Fèves. A Paris elles sont peu estimées.

Vilmorin cite quelques variétés dignes de figurer au potager. Quant à la Féverolle ou Gourgane, qui doit représenter la plante avant son amélioration, c’est une Fève purement agricole.

D’après Pictet le mot Fève nous est parvenu du latin faba, lequel correspond à l’ancien prussien babo, à l’ancien slave bobu, au celte fa, fav, fao, selon les dialectes. Faba et bobu se rattachent probablement au sanscrit bhag manger et au grec phago qui a la même signification.

Faba, Fève et fabaria, févière, ont servi à dénommer plusieurs villages français : Favières, Faverolles, Favelles, Favols, Favril, Favèdes, Faverage, Bezu-les-Fèves, etc.

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