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Histoire des légumes

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Plantes bulbeuses

AIL

(Allium sativum L.)

Toutes nos plantes à bulbes comestibles appartiennent à la famille des Liliacées et au seul genre Allium.

La plupart des espèces de ce genre contiennent une matière mucilagineuse nutritive associée à une huile volatile sulfurée âcre et irritante qui leur donne des propriétés alimentaires et principalement condimentaires.

L’Oignon et le Poireau, à la fois aliments et condiments, sont des légumes d’une importance capitale au jardin potager. Ail, Echalote, Ciboule et Ciboulette fournissent des assaisonnements à l’art culinaire, soit par leurs bulbes à saveur très forte, soit par leurs feuilles à odeur pénétrante qui possèdent les mêmes propriétés.

Chez nos Alliacées potagères, les Cives exceptées, la partie utilisée est le bulbe, souche souterraine arrondie composée d’une base nommée plateau et de tuniques charnues concentriques contenant les matières de réserve de la plante. Le bulbe de l’Ail s’appelle vulgairement gousse. En terme de jardinage on dit aussi caïeu.

L’Ail est un stimulant très énergique des voies digestives. Il forme le condiment habituel des peuples méridionaux qui ont besoin d’exciter fortement l’estomac affaibli par la chaleur. Les habitants du midi de la France, les Italiens et les Espagnols ont pour l’Ail le goût que l’on sait. On prétend même que le nom de l’Ail entre dans le juron Carajo ! si familier aux Espagnols. D’après une anecdote dont nous ne garantissons pas l’authenticité, Jayme Ier roi d’Aragon, assiégeait Valence, en 1238, lorsque la cueillette de l’Ail pour la soupe coûta la vie à deux seigneurs, sous les murs de la ville, et lui inspira l’exclamation caro ajo ! (cher ail !), laquelle, par l’élision de l’o, serait devenue l’origine de ce juron national.

Dans le Nord de l’Europe, on fait de l’Ail un usage plus discret. D’ailleurs, de tout temps, la classe pauvre, seule, qui se nourrit d’aliments grossiers, a fait un grand emploi de ce condiment excitant dont les gens délicats ont toujours redouté l’acrimonie et la senteur incommode. Dans la Rome ancienne, l’Ail était surtout le condiment du bas peuple. Il formait la base du moretum, mets ordinaire des paysans et des soldats dans lequel entrait l’Ail broyé avec de l’huile[225], du vinaigre, du fromage et des herbes aromatiques. Les Latins nommaient Ulpicum l’Ail d’Orient (Allium Ampeloprasum) qui fournissait en général ce mets rustique. Cette espèce vit à l’état sauvage dans tout le Midi de l’Europe et en Orient. C’est probablement la souche du Poireau.

[225] C’est l’Aïoli des Méridionaux.

L’Ail d’Orient produit des gousses très grosses et à saveur moins forte que celle de l’Ail ordinaire.

Les moissonneurs et les soldats romains employaient beaucoup l’Ail dans leur alimentation, car on croyait alors que cette plante donne des forces aux travailleurs et du courage aux guerriers par sa vertu stimulante. Pour cette raison aussi, les Romains en nourrissaient les coqs qu’ils dressaient pour les combats.

Mais les raffinés avaient l’Ail en horreur. Le poète Horace a déversé ses invectives contre cette plante dans une ode tout entière demeurée célèbre[226].

[226] Epodes III.

L’Ail paraît avoir été estimé chez les Grecs. Hippocrate le préférait à l’Oignon. Cependant l’Ail figurait parmi les plantes auxquelles étaient attachées certaines superstitions religieuses. Il n’était pas permis à ceux qui avaient mangé de l’Ail d’entrer dans le temple de Cybèle. Perse raconte que les criminels en mangeaient pendant plusieurs jours pour se purifier de leurs crimes. Ne serait-ce pas par suite de ces traditions antiques que l’Ail était plante magique au moyen âge ?

Hérodote, auteur très véridique, dit que les Egyptiens consommaient beaucoup d’Ail. C’est, à la vérité, la seule autorité que l’on puisse invoquer, avec la Bible qui nomme l’Ail une seule fois dans le Livre des Nombres. Pourtant la figure de l’Ail n’est pas représentée sur les monuments égyptiens et son nom, Sagin ou Shagin, n’a jamais été rencontré dans les textes hiéroglyphiques[227]. Il est possible que l’on ait évité de représenter l’Ail, parce que, comme en Grèce, les prêtres considéraient cette plante comme impure.

[227] Loret, Flore pharaonique, 2e éd., p. 37.

Au moyen âge, on faisait une prodigieuse consommation de ce bulbe, même dans le Nord de la France, sous forme de sauce piquante nommée aillée ou aillie. D’après les Cris de Paris mis en vers, les ailliers ou marchands de sauces ambulants criaient dans les rues de Paris cette sauce à l’Ail d’un usage général au XIIIe siècle. L’aillée se composait d’Ail, d’Amandes, et de mie de pain pilés ensemble et détrempés avec un peu de bouillon ; cette sauce à l’Ail avait la consistance de la moutarde et se gardait de même. Au XVIe siècle, Charles Estienne parle encore de ce condiment alors relégué dans la classe du bas peuple. Champier, à la même époque, donne une autre recette fort usitée à Bordeaux et à Toulouse dans laquelle il n’entrait que de l’Ail pilé avec des Noix[228]. En somme, l’aillée était identique au moretum des Latins et devait en descendre par tradition culinaire.

[228] Le Grand d’Aussy, Vie privée des François, t. I, p. 17 ; t. II, p. 251.

Dans les titres du moyen âge concernant les redevances féodales et les dîmes, les mentions de l’Ail sont communes. Pour la Normandie, M. Léopold Delisles en a relevé de nombreux exemples : l’Ail est cité plusieurs fois dans l’acte de reconnaissance des droits de l’évêque de Bayeux à Isigny, au XIIe siècle. Parmi les conditions d’une fieffe consentie par Robert de Bailleul, est l’obligation de rendre cent têtes d’Aulx en septembre. Le seigneur d’Estellant, d’après le Coutumier des forêts, s’il ne gardait pas bien la rivière pendant la chasse du fils du roi, était condamné à une amende d’une touffe d’Aulx, etc.[229]

[229] Etudes sur la condition de la classe agricole en Normandie au moyen âge, 2e éd., p. 494.

Avant la Révolution, la dîme de l’Ail rapportait annuellement plus de 3000 francs à l’Archevêché d’Albi. Il fallait, pour arriver à ce chiffre, une culture singulièrement étendue autour de cette ville pour cette seule plante.

L’Ail n’est plus qu’une plante culinaire. Il a joué autrefois un rôle dans la matière médicale. Galien, médecin grec, l’appelle la thériaque des pauvres. C’était un médicament à la portée de tous. Ceux qui l’employaient naguère contre les maux de dents et comme préservatif contre les maladies pestilentielles suivaient en cela une opinion fort ancienne qui remonte à Pline. Cet auteur parle de l’Ail comme du principal médicament que l’on connaisse : l’Ail neutralise tous les venins, guérit la lèpre, l’asthme, la toux. C’est un vermifuge, un odontalgique, un diurétique, le meilleur préservatif contré la peste[230]. L’ancienne médecine l’a beaucoup employé. Le grand médecin Sydenham le recommandait dans l’hydropisie. L’Ail entrait dans la composition du vinaigre « des quatre voleurs », longtemps regardé comme anti-pestilentiel.

[230] Hist. nat., l. XIX, 32, XX, 23. — Notes de Fée dans l’éd. de Panckoucke, t. XII, p. 346.

D’après Alph. de Candolle, l’Ail n’est pas indigène en Europe, quoique çà et là on en ait recueilli des échantillons qui avaient plus ou moins l’apparence de l’être. Une plante aussi habituellement cultivée et qui se propage si aisément peut se répandre hors des jardins et durer quelque temps, sans être d’origine spontanée. Le seul pays où l’Ail ait été trouvé à l’état sauvage, d’une manière bien certaine, est le désert des Kirghis de Sooungarie[231].

[231] Origine des pl. cultivées, 4e éd., p. 51.

Les documents historiques et linguistiques confirment-ils une origine uniquement du Sud-Ouest de la Sibérie ?

L’Ail est cultivé depuis longtemps en Chine sous le nom de Suan. On l’écrit en chinois par un signe unique, ce qui est ordinairement l’indice d’une espèce très anciennement connue et même spontanée. M. de Candolle présume, puisque les flores du Japon n’en parlent pas, que l’espèce n’était pas sauvage dans la Sibérie orientale, mais que les Mongols l’ont apportée en Chine.

Il existe un nom sanscrit, Mahoushouda, devenu Loshoun en bengali, et dont le nom hébreu Schoum, Schumin qui a produit le Thoum ou Toum des Arabes, ne paraît pas éloigné. L’allemand Knoblauch, Ail, paraît dérivé de l’esthonien Krunslauk. L’ancien nom grec est Scorodon, en grec moderne Scordon. L’Allium des Latins a passé dans les langues d’origine latine. « Or il y a là un problème difficile à expliquer. Si l’Ail a été transporté par les Aryas du seul pays des Kirghis, pourquoi tant de noms celtiques, slaves, grecs, latins, différents du sanscrit ? Pour expliquer cette diversité, il faudrait supposer une extension de la patrie primitive vers l’ouest de l’habitation connue aujourd’hui, extension qui aurait été antérieure aux migrations des Aryas, ou bien admettre, ce qui est possible, que certaines formes spontanées en Europe ne sont que des variétés de l’Allium sativum. Alors tout concorderait : les peuples les plus anciens d’Europe et de l’Asie occidentale auraient cultivé l’espèce telle qu’ils la trouvaient depuis la Tartarie jusqu’en Espagne, en lui donnant des noms plus ou moins différents »[232].

[232] Loc. cit., p. 52.

Dans toutes les langues, la signification du mot qui sert à désigner cette plante paraît se rattacher aux diverses propriétés de l’Ail.

D’après Pictet, l’Allium des Latins rappelle le sanscrit âlu qui indique une racine alimentaire. Le Scorodon des Grecs peut se lier au sanscrit ehard analogue à vomere des Latins à cause des éructations qu’occasionne l’usage de cette Alliacée. D’autres noms sont des appellations laudatives exprimant la satisfaction, le plaisir gastronomique que donnait ce condiment aux anciens peuples, ou bien encore rappellent diverses propriétés de l’Ail ; son action vermifuge, son odeur forte, etc.[233].

[233] Pictet, Origines, t. I, p. 377.

L’Ail d’Espagne ou Rocambole (Allium Scorodoprasum L.) paraît être une simple variété de l’Ail commun. Il est spontané en Russie depuis la Finlande jusqu’en Crimée. Sa culture ne paraît pas ancienne. Il semble avoir été inconnu aux auteurs grecs et latins et même à Olivier de Serres. Aujourd’hui les Génois le cultivent en grand sous le nom d’Ail rose.

Malgré sa physionomie française, le mot Rocambole vient de l’allemand ; quoique Littré donne une autre étymologie négligeable, Rocambole dérive de Bolle, Oignon, croissant parmi les rochers, Rocken.

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