Histoire des légumes
TÉTRAGONE CORNUE
(Tetragonia expansa Murray)
La Tétragone ou Epinard de la Nouvelle-Zélande occupe assurément la première place parmi les succédanés de l’Epinard. C’est le véritable Epinard d’été puisqu’il peut végéter en sol sec pendant les grandes chaleurs qui rendent impossible la culture de l’Epinard.
Au point de vue culinaire, la Tétragone fournit une pulpe moins sèche, plus onctueuse que celle de l’Epinard, qualité pour les uns, défaut pour les autres.
La plante est indigène dans les grandes îles de l’Océanie : Australie, Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie ; on la trouve en Chine, au Japon, au Chili, mais peut-être est-elle naturalisée dans ces derniers pays. C’est la seule plante potagère que l’européen ait tirée de l’Australasie ; c’est aussi l’unique végétal alimentaire appartenant à la famille des Ficoïdes.
L’introduction de la Tétragone en Europe n’est pas ancienne. Sir Joseph Banks découvrit cette plante en 1770, à la Nouvelle-Zélande pendant le premier voyage autour du monde du capitaine Cook. Le naturaliste anglais remarqua cette herbe succulente qui étalait sur le sol ses longues ramifications. Il en rapporta des graines qui furent semées aux jardins de Kew, au retour de l’expédition en 1772.
Au second voyage de Cook, le botaniste Forster, qui accompagnait l’expédition, retrouva la plante en abondance au même endroit appelé le détroit de la Reine Charlotte. Forster eut l’intuition que la Tétragone, dont les feuilles épaisses et charnues lui rappelaient celles des Arroches comestibles de nos pays, pouvait offrir une précieuse ressource à l’équipage du capitaine Cook menacé du scorbut par suite de manque de légumes frais. Un nouveau légume, qui n’est pas sans valeur, était trouvé !
Ce botaniste reconnut encore la plante sur les côtes de Tonga-Tabou, une des îles de l’Archipel des Amis. Les Polynésiens ignoraient qu’elle fût alimentaire après cuisson.
La Tétragone fut nommée par le professeur Murray, de Göttingen, qui en publia, en 1783, une figure et une description comme plante nouvelle. Le professeur Pallas, vers la même époque, donna aussi une description de la Tétragone à laquelle il imposa le nom spécifique de cornuta, cornue, l’ayant trouvée sous ce nom dans le jardin du comte Demidoff, à Moscou, où elle avait été reçue du botaniste Jacquin, de Vienne.
La Tétragone resta pendant un certain temps cultivée seulement dans les jardins botaniques.
En France, le grainier Tollard signala le premier à l’attention la Tétragone dans la première édition de son Traité des végétaux (1805). Il constate d’ailleurs qu’elle était connue d’un petit nombre de personnes qui la mangeaient comme Epinard.
Vers 1820, l’Epinard de la Nouvelle-Zélande commençait à se répandre dans les cultures anglaises. Au printemps de 1820, M. Vilmorin adressa, comme nouveauté, à la Société royale d’Horticulture de Londres des graines de Tétragone qui furent semées au jardin de la société à Kensington. Le 16 octobre 1821, John Anderson, jardinier du comte d’Essex, lisait devant la Société Linnéenne de Londres un intéressant historique de l’introduction de la plante en Europe[160].
[160] Transact. of the hortic. Soc. t. IV, p. 488.
Enfin le nouveau légume fut compris dans les distributions de graines faites par le Jardin royal des Plantes, de Paris. A partir de 1819, le comte d’Ourches, grand agronome et propagateur de plantes utiles, commença une active propagande en faveur de la Tétragone. Il publia plusieurs notes dans lesquelles il donnait les résultats de ses expériences sur la culture de cette plante nouvelle[161].
[161] Annales d’Agric., 1819, p. 391. — Bon Jardinier, 1821.
Cependant, l’Epinard de la Nouvelle-Zélande devait rester confiné pendant longtemps encore dans quelques jardins d’amateurs. Une note de Poiteau constate qu’en 1846 la Tétragone est toujours délaissée par la consommation et qu’on n’en voit presque jamais sur les marchés[162]. L’auteur ajoute judicieusement : « Est-ce la faute des horticulteurs ? Est-ce la faute des consommateurs ? Non, c’est la faute du goût et de la routine ».
[162] Ann. Soc. roy. d’Hortic, 1846, p. 296.
La culture de la Tétragone s’est répandue plus vite en Angleterre et aux Etats-Unis où on la voit largement employée dans l’alimentation dès 1828. En Belgique, selon Morren, l’Epinard de la Nouvelle-Zélande ne serait sorti des jardins botaniques pour entrer au potager que vers 1830.
Aujourd’hui, tous les jardiniers de châteaux et de bonnes maisons bourgeoises cultivent la Tétragone pour remplacer l’Epinard pendant les grandes chaleurs, mais cette denrée horticole ne se voit jamais sur les marchés, ni chez les grands marchands de comestibles.
Quoique cultivée intensivement depuis une centaine d’années, la Tétragone n’a pas encore varié ; la plante est restée telle qu’elle était à l’état sauvage.
MM. Paillieux et Bois ont cité comme un bon légume de fantaisie une autre Ficoïde, la Glaciale, l’herbe à la glace, (Mesembrianthemum crystallinum L.), admirable plante d’ornement des jardins qui peut fournir un délicat légume pendant l’été.
L’herbe à la glace est une herbe annuelle, originaire du Cap, des Canaries, etc. et cultivée depuis longtemps.
D’après Duchesne (Répertoire des plantes utiles), on mange très souvent les feuilles de la Glaciale comme légume, à l’île Bourbon. MM. Paillieux et Bois citent dans leur ouvrage des lettres de leurs correspondants qui recommandent l’emploi de cette Ficoïde en guise d’Epinards[163].
[163] Potager d’un Curieux, 3e éd., p. 199.