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Histoire des légumes

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CHICORÉE SAUVAGE, BARBE DE CAPUCIN

(Cichorium Intybus L.)

La Chicorée sauvage ou Chicorée amère intéresse la grande culture comme plante fourragère et comme plante industrielle (Chicorée à café). Non moins précieuse au point de vue horticole, elle fournit à l’alimentation, outre les salades de Chicorée sauvage, améliorée et panachée, un produit étiolé très estimé en France sous le nom de Barbe de Capucin et un excellent légume de création récente, le Witloof, improprement appelé Endive.

Le type sauvage est une herbe vivace, d’une saveur très amère, appartenant à la famille des Composées, dont l’habitat, très vaste, s’étend sur toute l’Europe et sur une partie de l’Asie. Sa fréquence sur le bord des chemins et des champs indique que la dissémination de l’espèce a été inconsciemment favorisée par l’homme. La Chicorée sauvage est assez commune en France sur les chemins, dans les lieux secs, incultes et arides.

Sans étioler la Chicorée sauvage, les Anciens l’ont néanmoins cultivée comme légume et plante médicinale. Pline connaissait déjà ses propriétés dépuratives ; il la préconisait pour le foie, la rate et la vessie.

La synonymie ancienne de la plante comprendrait des noms d’origine latine, égyptienne et peut-être syrienne. Intubus ou Intubum, Cichorium, Ambubeja ou Ambubaia désignaient sans doute chez les Anciens la Chicorée sauvage[169]. Seris et Picrida seraient plutôt des Chicorées cultivées. Les opinions des commentateurs sont contradictoires en ce qui concerne l’application de ces différents noms communs probablement à la Chicorée et aux Endives. Selon Pline, le mot latinisé Cichorium viendrait d’Egypte où l’on a toujours fait grand usage des Chicorées[170]. A propos des noms orientaux de la Chicorée sauvage, Ed. Fournier observe que les meilleures variétés alimentaires de ce légume paraissent être venues successivement de l’Orient : « témoins les noms de la plante : son nom syrien qui rappelle la cavité de la tige, creuse comme une flûte et que les Romains transcrivirent par Ambubaia et traduisirent par Intubus et Intubum ; son nom copte qui devint en grec Kikorè et Kikorion ; enfin son nom arabe (Induba ou Hindabâ) qui fournit le terme Endivia au latin barbare du moyen âge »[171].

[169] Pline XIX, 39 ; XX, 29, 30. — Virg. Georg. 1 vers no 120, 4 vers no 120.

[170] Maillet, Descript. de l’Egypte, éd. 1735, p. 12.

[171] Daremberg, Dictionnaire des Antiquités, article Cibaria.

Intiba du décret de Dioclétien sur le prix des denrées, Intubas du capitulaire de Villis de Charlemagne n’ont pas de signification bien précise ; ces noms devaient s’appliquer à la fois à la Chicorée sauvage et aux Endives.

Au XIVe siècle, la forme française du nom était Cicorée ou Cycorée. D’après Crescence, Platéaire, le Jardin de Santé, la Chicorée avait au moyen âge une synonymie très embrouillée ; on l’appelait encore Cucubine, Solsequium, Verrucaria, Sponsa Solis, Dyonisia, Heliotropium qui étaient également les noms du Souci.

Les botanistes de la Renaissance décrivent et figurent la Chicorée sauvage sans dire si elle est cultivée. L’un d’eux, Camerarius (1586), représente une variété à grosse racine, celle qui est aujourd’hui l’objet d’une grande culture dans le Nord de la France comme succédané du café[172].

[172] Epitome, p. 285.

Jusqu’au XVIIe siècle, sans doute, la Chicorée sauvage n’a été qu’une plante médicinale très employée. Saint-Simon, racontant la mort d’Henriette d’Angleterre qui a inspiré à Bossuet une oraison funèbre des plus pathétiques, dit que cette princesse décéda subitement à Saint-Cloud, en 1670, après avoir pris son infusion habituelle de Chicorée rafraîchissante.

L’étiolement a pour effet de développer les feuilles de la Chicorée sauvage en lanières d’un blanc jaunâtre, de 20 centimètres et plus de longueur, plus ou moins étroites, selon le mode de forçage et la variété employée. On appelle Barbe de Capucin ce produit qui fait une salade d’hiver estimée principalement en France et dans les régions septentrionales de l’Europe, malgré une amertume assez marquée.

Nous trouvons une première mention de la Chicorée sauvage étiolée dans un ouvrage de Cl. Mollet, rédigé vers 1610-1615 : « La Chicorée sauvage est fort excellente, la feuille sert en salade, la faisant blanchir[173]. » Le botaniste belge Dodoens dit, vers la même époque, que cette plante sauvage et commune en Germanie est aussi cultivée dans les jardins[174].

[173] Théâtre des plans et jardinages, p. 15.

[174] Pemptades (1616), p. 633.

Au milieu du XVIIIe siècle, on voit la Barbe de Capucin entrée dans la culture maraîchère. Le Dictionnaire d’Agriculture de La Chesnaye (1751) nous apprend que les maraîchers portent du fumier chaud dans les caves dont ils font une couche de la hauteur d’un pied et qu’ils y enterrent leur Chicorée par grosses bottes.

Le Catalogue d’Andrieux-Vilmorin de 1773, le Bon Jardinier de 1797, décrivent la manière de faire blanchir la Chicorée sauvage. C’est qu’alors la culture de la Barbe de Capucin était généralisée en France. Il paraît que l’usage de cette salade a été introduit en Angleterre par les réfugiés français durant la Révolution.

La culture industrielle de la Barbe de Capucin pour les marchés parisiens a commencé à Montreuil-sous-Bois (Seine) sans que l’on puisse dire exactement vers quelle époque. Mais cette culture n’a pris une grande importance qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, moment où les maraîchers adoptèrent la Chicorée à grosse racine ou Chicorée à café qui produit des lanières étiolées plus abondantes, plus tendres et un peu moins amères. Pour la confection des bottes destinées au forçage, cette race est en outre plus avantageuse que la Chicorée ordinaire à cause de ses racines fusiformes, droites et régulières, au lieu d’être fourchues et malformées comme le sont celles de la variété commune.

M. Lepère, le célèbre arboriculteur de Montreuil, a raconté autrefois l’origine de cette amélioration[175]. En 1853, un employé de l’établissement de M. Louesse, grainetier parisien, livra par erreur à un cultivateur de Montreuil de la graine de Chicorée à café en place de celle de Chicorée sauvage ordinaire qui lui avait été demandée. Les plantes venues de cette semence produisirent si abondamment des feuilles bonnes à blanchir que la personne qui les cultivait eut le soin d’en garder de la semence. Ce fait ouvrit les yeux de ses voisins et c’est de là que, de proche en proche, la culture de la même variété s’est étendue dans la commune de Montreuil.

[175] Journ. Soc. imp. d’Hortic. 1869, p. 146.

La méthode de culture ancienne de Montreuil consistait à réunir en grosses bottes les racines de Chicorée arrachées à partir d’octobre. Ces bottes étaient descendues dans une cave privée d’air et de lumière, placées debout, serrées les unes contre les autres sur une couche de fumier chaud de 25 à 30 centimètres d’épaisseur. On bassinait une ou deux fois par jour avec de l’eau tiède. Il fallait 25 jours environ pour faire venir une « cavée » de Barbe de Capucin. C’est à peu près le système actuel, sauf qu’aujourd’hui l’emploi de la chaleur artificielle permet de réduire les apports de fumiers dans les caves et au besoin de s’en passer, d’où économie de temps, de main-d’œuvre, etc.

En 1869, Montreuil possédait 100 maraîchers étioleurs de Chicorée sauvage lesquels consacraient 35 hectares de terrain à la production des racines. A ce moment, un cultivateur, M. Charton (Louis) imagina, le premier, d’introduire un poêle dans sa cave pour activer la végétation des racines ; par ce moyen, il pouvait livrer sa salade au bout de 14 jours seulement. Un autre, M. Charles Pezeril utilisa le thermosiphon pour le forçage, perfectionnements qui rendirent la culture de la Barbe de Capucin plus lucrative[176].

[176] Journ. Soc. imp. d’Hortic. 1869, p. 232 ; 1870, p. 237.

Actuellement, plus de 600 maraîchers ou étioleurs pratiquent le forçage de la Chicorée dans la région Est parisienne, principalement à Montreuil, Vincennes, Saint-Mandé, Maisons-Alfort, Créteil, Rosny, Bobigny. Pour la seule commune de Montreuil, on en compte trois cents. Les uns sont des maraîchers qui utilisent ainsi leur personnel pendant la mauvaise saison. Beaucoup sont des jeunes gens employés chez les arboriculteurs. Ils s’occupent pendant l’hiver à ce travail très rémunérateur qui leur permet au bout de quelques années de s’établir à leur compte. La production de cette salade représente pour le seul département de la Seine, une valeur marchande annuelle qui dépasse 1.150.000 francs, sur le marché des Halles centrales[177].

[177] Rev. hortic. 1908, p. 16.

L’élevage des racines de Chicorée destinées au forçage se fait au loin et non sur les terres des cultivateurs de Montreuil. Pour les petits industriels que sont les étioleurs de Chicorée le loyer des terres de la banlieue serait d’un prix trop élevé ; en outre, pour éviter le pourridié, maladie cryptogamique dangereuse, il est indispensable de cultiver la Chicorée dans un sol non fumé et qui n’ait pas été emblavé récemment avec cette même plante.

Mais la Chicorée se mange aussi à l’état naturel sous le nom de Chicorée à couper. On consomme les feuilles très jeunes comme salade passablement amère que les maraîchers savent protéger à l’aide de petits abris et d’un buttage et qu’ils livrent aux marchés en mars et en avril.

La variation de la Chicorée sauvage dans la nature est assez fréquente. On trouve à l’état sauvage des plantes à feuilles courtes et entières comme celles de nos Chicorées améliorées, d’autres à nervures rouges, prototype des Chicorées à feuilles colorées.

Le grainier Jacquin aîné qui a poursuivi de 1825 à 1850 l’amélioration de la Chicorée sauvage avait obtenu de semis dans ses cultures d’Ollainville, près Arpajon, plusieurs variétés bien fixées. Il possédait, entre autres, une race à feuilles larges, courtes, et rapprochées comme une Scarole, des Chicorées améliorées frisées, peut-être hybrides, d’autres à feuillage maculé et tacheté de brun pourpre, analogues aux Chicorées italiennes. Cependant les races obtenues par Jacquin étaient restées vivaces et non annuelles comme est l’Endive, ce qui ne permet pas de croire que la Chicorée frisée et la Scarole sont des variétés anciennes obtenues du C. Intybus.

En Lombardie, dans la région de Trévise, les Chicorées à feuilles colorées sont très en usage. Elles ont été introduites en France à différentes reprises, en 1869, par Courtois-Gérard, grainier à Paris ; en 1886, par Vilmorin ; en 1906 par Cayeux.

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