Histoire des légumes
Légumes-Salades
CHICORÉE ENDIVE
(Cichorium Endivia L.)
Toutes les parties des plantes peuvent se consommer à l’état cru ou cuit, préparées avec un assaisonnement de sel, poivre, huile et vinaigre : des racines (Betterave, Céleri, Raiponce) ; des bulbes et des rhizomes (Oignon et Crosne) ; des réceptacles charnus (Artichaut) ; des fruits (Tomate, Concombre) ; des feuilles principalement. Ce sont les salades ; mets très hygiéniques qui ont une influence bienfaisante sur la santé. Dans l’ordre du repas, la salade se mange ordinairement en guise d’entremets.
En France et en Italie, sont considérées seulement comme de vraies salades les parties foliacées, à l’état vert ou demi-blanchi, additionnées de fournitures aromatiques pour relever l’insipidité naturelle aux herbes à salade. Nous ne parlerons ici que des salades potagères, mais il existe d’innombrables salades rustiques abandonnées aux campagnards.
Sous le nom d’Endives, on distingue les Chicorées frisées et les Scaroles, plantes annuelles de la famille des Composées-Chicoracées qui comptent parmi nos bonnes salades. Par ordre d’importance, elles viennent après la Laitue. Ce sont des races fixées, les premières à feuilles très divisées, les autres à feuilles presque entières du Cichorium Endivia, qu’il ne faut pas confondre avec une espèce voisine, le Cichorium Intybus ou Chicorée sauvage. Celle-ci est vivace, beaucoup plus amère, elle fournit à nos tables la Barbe de Capucin, la Chicorée amère améliorée et la Chicorée Witloof improprement appelée Endive de Bruxelles.
L’origine des Endives était encore incertaine il y a peu d’années. Tous les anciens ouvrages attribuent à l’Endive une origine indienne. De Candolle et plusieurs botanistes ont éclairé cette question d’une manière satisfaisante. Ils ont eu l’idée de comparer les Endives cultivées avec une espèce annuelle spontanée dans la région méditerranéenne, le Cichorium pumilum Jacquin, et les différences ont été trouvées si légères que l’identité spécifique a pu être soupçonnée par quelques-uns, affirmée par le plus grand nombre. M. de Candolle admet que nos Chicorées frisées et nos Scaroles résultent d’une culture soignée de cette espèce sauvage qui existe, dit-il, dans toute la région dont la Méditerranée est le centre, depuis Madère, le Maroc et l’Algérie, jusqu’à la Palestine, le Caucase et le Turkestan. Elle est commune surtout dans les îles de la Méditerranée et de la Grèce[164].
[164] Origine des pl. cultivées, 4e éd., p. 78.
En raison de l’habitat du C. pumilum il est probable que la plante améliorée est sortie du milieu gréco-romain.
Nous en trouvons la preuve dans la linguistique. Endive dérive du latin Intybus, Intubum, Intiba, selon les auteurs. L’évolution du mot se poursuit, passant par le grec Entubon, l’arabe Indubâ, le grec bysantin Endibon lequel rétablit la dentale d. Le b grec se prononçant comme le v français prépare la voie au bas-latin Endivia et au français Endive.
Cependant on ne possède aucune preuve certaine que l’Endive ait été servie sur les tables des Anciens. Horace dit bien qu’il ne désire, pour assurer son bonheur, que des Olives, de la Chicorée et de la Mauve[165]. Il se peut que son cicorea représente l’Endive. De même l’Intiba du décret de Dioclétien qui devait être une plante potagère importante puisqu’elle figure dans un tarif officiel des denrées alimentaires.
[165] Horace, l. I. Ode 31.
Le mot Chicorée vient directement du latin cicorea, lequel est lui-même d’origine orientale. Durant tout le moyen âge et jusqu’au XVIIe siècle, il fut écrit et prononcé cicorée. Nous avons emprunté à l’italien la prononciation de la première syllabe ci assimilé à chi (prononcé tchi par les Italiens). L’influence de l’italien sur le mot cicorée a pénétré en France vers le milieu du XVIe siècle, avec la cour des Médicis.
Induba du capitulaire de Villis de Charlemagne peut désigner l’Endive et aussi la Chicorée sauvage. Les Arabes employaient couramment l’Endive sous le nom d’Induba ou d’Hindâbâ. La plante est indiquée dans le Tacuin, matière médicale arabe du XIIe siècle, traduite en latin au XIVe siècle[166].
[166] Bonnet (Dr Ed.), Etude sur deux manuscrits médicaux-botaniques, p. 10.
Crescenzi, en Italie, Albert-le-Grand, en Allemagne paraissent avoir connu l’Endive dans le XIIIe siècle. Au XVe siècle, on voit paraître l’Endive en France dans certains comptes de dépenses mais plutôt pour usage économique (eau de toilette) : « Année 1413 : A Meigret, épicier, pour eaue d’Andive (sic), pour Mlle la Comtesse »[167]. En Italie, on la voit entrée dans les cultures tout récemment. D’après Platine (XVe siècle), auteur italien d’un traité de cuisine et d’hygiène : « Je dirai toujours que l’Endive est une espèce de Laitue, nonobstant que d’elle et de son nom nos anciens prédécesseurs n’en fasse aucunement mention »[168].
[167] Godefroy, Dict. de l’anc. langue française.
[168] De l’honnête volupté, éd. 1539, p. 96.
Au XVIe siècle enfin on s’aperçut que l’Endive était mangeable après avoir été blanchie. « L’Endive, dit Ch. Estienne, autrement nommée Scariole ou Laitue aigre ou sauvage sert plus en médecine qu’autrement, et ne se cultive au jardin parce qu’elle est toujours amère. Pourtant, étant liée et couverte dans le sablon durant l’hiver, peut devenir tendre et blanche et se garde ainsi tout l’hiver. » Olivier de Serres (1600) donne des détails de culture plus précis. De son temps, pour étioler cette salade, on l’enterrait pendant 12 à 15 jours après l’avoir liée. Les modernes se contentent de la lier sur place sans l’enterrer.
Les botanistes de la Renaissance tels que Camerarius, Dalechamps, Gerarde, Pena et Lobel ont figuré des Endives aux feuilles larges et crépues, presque entières, types primitifs de nos Scaroles et de la Batavian Endive des Anglais. Les formes finement frisées, beaucoup plus recherchées aujourd’hui, parce qu’elles sont plus tendres, sont plus récentes.
D’ailleurs c’est par le mot Scarole et non par Chicorée que les « herbalistes » désignent ces anciennes variétés d’Endives. Nous ne voyons pas avant le XVe siècle ce terme Scarole ou Scariole emprunté de l’italien Scariola, qui devait être un nom populaire pour toutes les Laitues sauvages en général. Pour cette raison sans doute le mot a été conservé comme nom spécifique du Lactuca Scariola, herbe indigène dont nos Laitues cultivées sont des modifications. L’étymologie de Scariola est inconnue. Il n’est pas probable qu’il soit une corruption du mot cicorea. Est-il un dérivé du grec Seris par l’intermédiaire d’une forme Seriola indiquée par les botanistes de la Renaissance ? Seris de Pline, Chicoracée cultivée et qui était mangée en salade a été assimilé à l’Endive par Matthiole, Dodoens et Dalechamps.
Cl. Mollet, au commencement du XVIIe siècle, distinguait deux Chicorées : « une qui est frisonnée et l’autre qui ne l’est pas » (Scarole). La plus ancienne variété de ces Chicorées « frisonnées » est la fine d’Italie. La Chicorée frisée de Meaux en est une sous-variété locale qui était presque la seule cultivée au XVIIIe siècle et au commencement du XIXe. La ville de Meaux, centre très important de culture maraîchère, fournissait autrefois la majeure partie de la consommation parisienne en salades diverses. D’autres localités, telles que Versailles, Palaiseau, Gonesse, Chevreuse contribuent maintenant, avec Meaux, à l’approvisionnement des marchés, pour cette sorte de denrée horticole.
La Chicorée fine de Rouen ou Corne de Cerf, qui est une des plus appréciées aujourd’hui, parut comme nouveauté dans le Bon Jardinier de 1832. La Chicorée Mousse, si finement découpée, a été obtenue par le grainier Jacquin, en 1847. La Chicorée de la Passion a figuré pour la première fois à l’Exposition de 1867, exposée par le grainier Courtois-Gérard. La Chicorée fine de Louviers paraît sortie de la Chicorée fine de Rouen (Catalogue Vilmorin, 1871-72). D’ailleurs, entre les mains des maraîchers, toutes ces races de Chicorées se transforment successivement ; aussi serait-il téméraire d’affirmer que la Chicorée fine de Meaux actuelle est tout à fait identique à l’ancienne variété mère, et cette observation peut s’appliquer à bien d’autres plantes potagères qui s’améliorent incessamment par le choix des porte-graines.
Stainville, maraîcher aux Champs-Elysées, a été le premier qui força la Chicorée fine d’Italie en 1791. Vilmorin décrit une vingtaine de Chicorées frisées et 4 ou 5 Scaroles seulement.