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Histoire des légumes

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FRAISIER

(Fragaria vesca L. — Fr. elatior Ehrh. — Fr. collina Ehrh. — Fr. chiloensis Duch. — Fr. virginiana Mill.)

La Fraise est-elle un fruit ou un légume ? La question a été controversée. Evidemment, au point de vue botanique, la Fraise serait même une agrégation de fruits (achaines) placés sur un réceptacle accru. Car ce que l’on mange, c’est le réceptacle devenu charnu, succulent, rempli d’un suc acidulé et sucré, agréablement parfumé.

On mange la Fraise au dessert comme l’Ananas : c’est donc un fruit. Aussi l’Arboriculture fruitière l’a-t-elle revendiquée comme rentrant dans ses attributions. Mais, pour les jardiniers et le grand public, ce fruit sera toujours un légume, parce qu’il provient d’une plante herbacée se cultivant au jardin potager.

La Fraise est considérée de nos jours comme une délicatesse de la table dont il serait superflu de faire l’éloge. On se demande pourquoi ce fruit si réputé n’a pas joui de la même faveur chez les Anciens.

Les Grecs n’ont pas connu la Fraise. Le Komaron désignait, chez eux, l’Arbousier, arbuste de la région méditerranéenne dont le fruit, de qualité médiocre, a l’apparence d’une Fraise, ressemblance qui explique comment des auteurs anciens ont pu confondre les deux fruits. Nicolas Myrepsus, médecin d’Alexandrie qui vivait au XIIIe siècle à la cour des empereurs byzantins de Nicée, fit le premier mention du fragoula, nom grec de la Fraise véritable.

Les Romains distinguaient bien la Fraise (Fragum) de l’Arbouse (Arbutus) ; cependant, tout en lui reconnaissant une saveur et un parfum agréables, puisque fragum dérive de fragrans, odorant, suave, ils se sont contentés de la recueillir dans les bois comme un fruit champêtre, indigne de la culture. Ce que montrent différents textes de la littérature latine.

Virgile a écrit là-dessus des vers charmants :

Qui legitis flores et humi nascentia fraga,
Frigidus, o pueri, fugite hinc, latet anguis in herba !

« Jeunes gens qui cueillez les fleurs et la fraise naissante, fuyez ce lieu : un froid serpent se cache sous l’herbe[496] ! »

[496] Eglogues III, vers no 92.

Pline le naturaliste remarque que les Fraises de terre ont la chair très différente de l’Arbouse (considérée comme la Fraise en arbre) qui d’ailleurs, dit-il, est de la même famille. Cette erreur grossière avait sa source dans l’ignorance des Anciens sur la nature des plantes et leurs affinités. « C’est la seule plante, dit-il encore, qui rampe à terre dont le fruit ressemble à celui des arbrisseaux… quant à l’unedon (fruit de l’Arbousier), c’est un fruit peu estimé[497]. » Ailleurs, Pline cite les plantes sauvages que l’on consommait de son temps en Italie comme les Fraises, le Panais, le Houblon « encore ces différentes espèces sont-elles plutôt d’agrestes hors-d’œuvre que des aliments proprement dits. » Le même naturaliste ne mentionne pas la Fraise dans les chapitres qu’il a consacrés aux plantes cultivées.

[497] Pline, Hist. nat. XV, 18, 28 ; XXI, 50.

Ovide a donné, comme l’on sait, une ravissante description de l’âge d’or. Il énumère, parmi les fruits rustiques dont les mortels se nourrissaient en ces temps heureux : « la Fraise des montagnes, les fruits du Cornouiller et de l’Arbousier, ceux de la Mûre des buissons et les Glands tombés de l’arbre de Jupiter[498]. »

[498] Ovide, Métamorphoses, l. 1, vers no 110.

Les agronomes latins Caton, Varron, Columelle et Palladius n’ont pas mentionné la Fraise. Ce fruit ne paraît pas avoir été davantage cultivé dans le haut moyen âge, puisque la fameuse liste des plantes de Charlemagne, que nous avons souvent citée, ne le comprend pas.

Bruyerin-Champier écrivait en 1560, dans son De re Cibariâ, que la Fraise était un fruit nouvellement transplanté des bois dans les jardins. Tous les auteurs modernes se sont appuyés sur l’autorité quelquefois trompeuse de Champier pour fixer les commencements de la culture du Fraisier au XVe ou même au XVIe siècle. Or nous trouvons des textes qui montrent sa présence dans les jardins au XIVe siècle et sans doute il n’y était pas tout à fait récent. Dans les comptes de dépenses, on voit la Fraise aussi bien dans les modestes maisons que chez les princes, par conséquent sa culture était déjà vulgaire.

Prenons, par exemple, les comptes d’un hôpital du Nord de la France : « année 1324 : pour frasiers a planter en le montaigne, acatés (achetés) à Pierot Paillet et Aelis Paiele XII d.[499] »

[499] J. M. Richard, Cartulaire de l’hôpital Saint-Jean en l’Estrée d’Arras. Paris, 1888.

Sous Charles V, pendant la saison 1368, le jardinier Jean Dudoy n’en planta pas moins de 12 milliers de pieds dans les jardins royaux du Louvre[500].

[500] Le Roux de Lincy, Comptes de dépenses de Charles V, p. 12.

Au château de Rouvres, près de Dijon, appartenant aux ducs de Bourgogne, la culture des Fraisiers s’étendait vers 1375 sur quatre quartiers du jardin dit de la Duchesse. D’après les comptes, ces plantes étaient particulièrement soignées, bien fumées, et on perpétuait les plants en repiquant des coulants dans les vides[501]. C’était là, sans doute, une culture à l’état embryonnaire, mais enfin elle existait. La Fraise était si appréciée de la duchesse de Bourgogne qu’on lui en expédiait lorsqu’elle séjournait dans les Flandres. La Fraise figurait déjà dans les menus de repas[502]. Enfin, au XVIe siècle, on la vendait couramment dans les rues comme le témoigne ce quatrain des Cris de Paris :

Fraize, fraize, douce fraize !
Approchez, petite bouche,
Gardez-bien qu’on ne les froisse,
Et gardez qu’on ne vous touche.

[501] Picard, Les jardins du château de Rouvres, broch. s. d. p. 168.

[502] Bibl. Ecole des Chartes, 1860, pp. 216-224.

Il s’agissait, naturellement, de la Fraise des bois cultivée au potager, cette Fraise si commune en France dans les clairières des bois sablonneux et sur le gazon des coteaux découverts.

Le genre Fragaria a été étudié avec beaucoup de soin, d’abord par Miller, qui a donné dans son Dictionnaire des jardiniers d’excellentes instructions sur la culture de ce fruit ; par Duchesne fils, auteur d’une remarquable monographie du Fraisier (1766) ; M. de Lambertye a écrit sur le Fraisier le livre le plus complet qui existe ; puis le botaniste G. Gay a donné une étude sur le genre Fraisier, cherchant à débrouiller l’inextricable problème de l’origine des espèces et des hybrides. De Madame Elisa de Vilmorin, d’excellentes descriptions, avec de belles planches coloriées, dans le Jardin fruitier du Muséum, par M. Decaisne. Nous avons emprunté à ces divers auteurs une bonne partie de nos renseignements.

Avant le XVIIIe siècle, on ne voit pas que le Fraisier ait été l’objet d’une grande culture. Les premiers botanistes, au XVIe siècle, n’ont parlé que du Fraisier des bois à peine introduit dans les jardins. L’édition de la Maison rustique, de 1570, donne quelques détails intéressants parmi beaucoup de préjugés. Olivier de Serres et Cl. Mollet, au commencement du XVIIe siècle, tirent parti du Fraisier comme plante à fleurs pour orner les compartiments. Cela ne veut pas dire qu’ils n’en consommaient pas les fruits. Dans le Jardinier françois (1651), il est un peu question du Fraisier : « Les fraises sont de 4 sortes, des blanches, des grosses rouges, des copprons et des petites rouges ou sauvages ». Ces espèces se réduisent, en somme, à deux : le Capron et des variétés du Fragaria vesca. La Quintinie (1690) n’en connaissait pas d’autres. Mais le jardinier de Louis XIV commençait à forcer la plante pour la table royale.

Le genre Fragaria comprend trois espèces indigènes en Europe. Le Fragaria vesca ou Fraisier des bois, plante rosacée des régions boisées ou montagneuses de presque tout l’hémisphère boréal a été le premier cultivé. D’ailleurs, parmi les Fraisiers, c’est celui qui produit les fruits les plus exquis.

Depuis longtemps, le Fraisier des bois a disparu des jardins, remplacé par des variétés améliorées issues de lui. Nous indiquerons d’abord une race sans coulants que Furetière mentionnait en 1690 dans, son Dictionnaire. Formant de très grosses touffes, on l’employait naguère pour faire des bordures sous le nom de Fraisier-buisson. Une amélioration avantageuse est la forme remontante.

Normalement, le Fraisier des bois fructifie une seule fois, au printemps, tandis que le Fraisier des Quatre-Saisons, appelé peut-être improprement Fraisier des Alpes, donne aussi des fruits à l’automne. L’origine de cette race est incertaine. Elle n’est sans doute qu’une simple variation fixée du Fragaria vesca, dont elle ne diffère que par son caractère remontant, ses fruits plus gros et allongés au lieu d’être arrondis. Dès le XVIe siècle, des botanistes avaient signalé dans les Alpes des Fraisiers à floraison continue et la tradition — rapportée par Duchesne — veut que Fougeroux de Bondaroy, neveu du physiologiste Duhamel, en ait rapporté les premières graines du Mont-Cenis vers 1760. Phillips, cependant, assure que les Anglais avaient reçu de Hollande le Fraisier des Alpes avant cette époque. Ils en auraient envoyé des plants au Jardin royal de Trianon où Duchesne le vit en 1766. M. de Lambertye et d’autres écrivains fraisiéristes, se basant sur les dires de botanistes modernes qui n’auraient jamais rencontré ce Fraisier dans leurs herborisations alpines, inclinent à croire que la variété remontante est née dans les cultures. Quoi qu’il en soit, le Fraisier des Quatre-Saisons nous est connu depuis 150 ans environ. Il a peu varié si on le compare aux Fraisiers hybrides des espèces américaines qui, en moins de 50 ans, ont donné naissance à tant de races si différentes comme saveur, couleur du fruit, précocité ou tardivité.

La race sans coulants, connue sous le nom de Fraisier de Gaillon, a été obtenue dans le premier quart du XIXe siècle, à Gaillon, par M. Lebaube, conservateur des forêts. Une variété à fruits blancs, sans coulants, est due à Morel de Vindé, agronome.

Le Fraisier de Montreuil ou Fr. Fressant est encore un descendant du Fr. des bois. Un nommé Fressant, le cultiva le premier dans les environs de Paris, au commencement du XVIIIe siècle. Vers 1800 ce Fraisier était le seul cultivé pour l’approvisionnement de Paris à Montreuil, Montlhéry, Bagnolet, Romainville et autres localités de la banlieue où l’on se livre à la culture commerciale de ce fruit depuis plus de deux siècles. D’autres variétés du Fr. des bois ont été successivement à la mode : Reine des Quatre-Saisons (Gauthier, vers 1866), James (Bruant, 1878), Belle de Meaux (Ed. Lefort, 1885), Quatre-Saisons améliorée (Lapierre, 1896), etc. De nos jours, la culture commerciale de ces variétés qui ont une supériorité incontestable, mais dont la cueillette est dispendieuse pour le producteur, tend à diminuer, tandis que celle des gros fruits augmente de plus en plus.

Les Caprons, ces précurseurs de la Fraise à gros fruits, ont été beaucoup cultivés autrefois ; ils dérivent d’une autre espèce indigène le Fr. elatior qui est assez rare dans les bois montueux de la région parisienne. Le Capron est le Fraisier Hautbois des Anglais. Parkinson, l’appelait en 1629 Fraisier de Bohême et Hautbois ; ce dernier nom, dit-il, est une corruption de l’allemand haarbeere. Duchesne dit que le mot est français et l’explique avec vraisemblance par une allusion à la grande taille de ce Fraisier et à ses hampes élevées.

Le Fragaria collina, assez rare sur les coteaux arides, dans les forêts de Saint-Germain, de Compiègne, à Malesherbes, aux environs de Provins, a donné naissance au Fraisier étoilé qui possède encore les synonymes suivants : Breslinge, Craquelin, Fraisier vineux de Champagne, etc. Le Fraisier de Bargemont, Majaufe de Provence serait, d’après le botaniste J. Gay, soit une forme du Fr. collina soit un hybride du Fr. vesca et du Fr. collina. Ce type est originaire de Bargemont, dans le Var. Il est entré dans les cultures vers 1760.

Ces Fraisiers, ainsi que les Caprons, ne se rencontrent plus guère que dans les collections. Avec les variétés de Fraisiers des bois améliorés, ils ont été les seuls cultivés, avant la vogue des gros fruits issus des espèces introduites d’Amérique au XVIIe et au XVIIIe siècle.

Comme l’Europe, les pays tempérés du Nouveau Monde possédaient deux ou trois représentants du genre Fragaria : Le Fr. du Chili, Fr. chiloensis, le Fr. de Virginie, Fr. virginiana et le Fr. grandiflora, Fr. de Caroline ou Fr. Ananas. Les deux premiers sont généralement considérés comme des espèces bien distinctes. Le troisième peut être une variété du Fraisier de Virginie ou un hybride. D’ailleurs l’extrême variabilité des Fraisiers américains rend très probable l’existence en Amérique d’un seul type primitif d’où seraient sorties toutes les formes actuelles.

Le Fraisier écarlate de Virginie a fait son apparition en Europe au commencement du XVIIe siècle, mais on ne possède aucun renseignement sur son introduction. La Fraise écarlate de Virginie se trouve sur les catalogues de Jean Robin, botaniste de Louis XIII en 1624 et de l’anglais Tradescant vers le même temps (1629). Miller l’a décrit dans son Dictionnaire, et dans la Pomona de Langley imprimée à Londres en 1729, on trouve une bonne figure gravée et la description du Fr. virginiana. Cependant ni le Jardinier françois, ni la Quintinie n’ont cultivé ce Fraisier.

Le Fraisier du Chili a été introduit en Europe en 1715 par un voyageur français, lequel, par une coïncidence singulière, s’appelait Frézier. Sur cette introduction, nous extrayons les renseignements qui suivent d’un petit travail de M. Blanchard, jardinier-chef du Jardin botanique de la Marine qui a contribué à faire connaître le nom de ce Frézier, ingénieur et voyageur, né à Chambéry, en 1682, d’une famille écossaise qui émigra en France à la fin du XVIe siècle. La réputation que Frézier s’était acquise dans le corps du génie ayant attiré sur lui les regards, vers 1711, on l’envoya prendre connaissance des colonies espagnoles de l’Amérique méridionale. Il s’embarqua le 23 novembre 1711 à Saint-Malo. Le 18 juin 1712, il se trouvait à La Conception. Il visita la ville, en donna l’histoire ainsi que celle des productions minérales et végétales du Chili et en particulier d’un Fraisier vivant à l’état sauvage et recherché par les colons espagnols. A son retour à Paris en 1715, il présenta à Louis XIV le résultat de son voyage dont il publia en 1716 la première édition, sous le titre de : Relation du voyage de la mer du Sud, des côtes du Chili et du Pérou, fait pendant les années 1712, 1713 et 1714. A titre de curiosité, il rapporta des plantes vivantes de Fraisier du Chili.

Frézier, en 1740, vint à Brest en qualité de directeur des fortifications ; il mourut dans cette ville en 1773[503]. C’est évidemment à ce personnage que l’on doit l’introduction dans les environs de Brest, du Fraisier du Chili. Il s’en fait à Plougastel une culture des plus importantes pour l’exportation et la consommation des villes bretonnes. Là seulement, de nos jours, on rencontre le Fraisier du Chili pur type, auquel l’air humide du climat marin est indispensable. Plougastel était déjà célèbre par ses Fraises vers la fin du XVIIIe siècle. En 1720 le Fraisier du Chili était en Hollande ; il fut transporté en Angleterre en 1727. Malgré l’introduction réelle faite par Frézier, l’origine du Fraisier du Chili reste discutable. Quelques-uns pensent qu’il peut être né d’un Capronnier européen transporté en Amérique par les Espagnols pour qui la Fraise, paraît-il, est une friandise recherchée[504]. La plante rapportée par Frézier était hermaphrodite-femelle et serait par conséquent demeurée stérile si elle n’avait été fécondée en Europe par une espèce préexistante à gros fruits. Le Capronnier mâle ou le Fraisier de Virginie ont-ils joué un rôle dans cette fécondation ?

[503] Blanchard, le Fraisier de Plougastel, Jal S. N. H. F., 1878, p. 624, 712 ; 1879, p. 48, 99.

[504] Millet, Les Fraisiers, p. 30.

Dans tous les cas, il est certain que nos Fraisiers à gros fruits doivent sortir par variation ou hybridation des Fraisiers américains. Hybrides probables des espèces précédentes, les Fraisiers de Caroline, de Bath et Ananas, qui constituent la plus ancienne amélioration du groupe des Fraisiers à gros fruits, ont une origine problématique sur laquelle nous ne nous étendrons pas. Ils ont été souvent confondus et paraissent peu distincts. Le Fraisier Ananas a paru en Allemagne, d’aucuns disent en Hollande, vers 1760 ; de là il s’est répandu en France, en Suisse et en Angleterre. Vers cette époque deux Fraisiers très distincts ont été cultivés dans les jardins sous le nom de Fr. Ananas, à cause du goût et du parfum de leurs fruits. L’un était le Fraisier Ananas de Miller et des catalogues hollandais[505]. De cette sorte paraissent descendues toutes les grosses Fraises dites Anglaises. Un autre Fraisier Ananas introduit à Trianon sous Louis XV a été décrit par Poiteau. C’est ce Fr. Ananas, type français, qui a approvisionné de gros fruits la ville de Paris pendant plus d’un demi-siècle. Il a disparu seulement devant les introductions anglaises.

[505] Mme de Vilmorin, Jardin fruitier du Muséum, t. V, p. 15.

Le premier essai de la culture de la Fraise remonte à 1760, date mémorable dans l’histoire du Fraisier. Le roi Louis XV avait une véritable passion pour la Fraise. Duchesne a fait allusion à cette gourmandise royale : « La Fraise, dit-il, est un de nos fruits les plus agréables. Notre Roi la chérit. On vient de rassembler par son ordre au Petit-Trianon les différentes sortes existantes en Europe : la fortune du Fraisier est faite. »

Toutefois, malgré l’introduction de tant d’espèces et de variétés nouvelles du genre Fraisier dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il faut arriver en 1820, date de l’apparition des premières Fraises anglaises, pour rencontrer des gains remarquables. Ce sont les Anglais qui ont enrichi les jardins, par le moyen des semis, des premières sortes à gros fruits, les plus délicates pour la table. Les Fraises Elton (1809) et Downton dues à des fécondations croisées de l’éminent président de la Société royale d’horticulture de Londres, M. Andrew Knight, ont été le point de départ des améliorations de la Fraise à gros fruits. Myatt, fameux semeur, de Deptford, paraît avoir opéré sur des hybrides de Knight pour obtenir British Queen, si longtemps réputée. De Keen, maraîcher à Isleworth, on connaît surtout Keen’s Seedling (1821). Ont eu leur moment de vogue Wilmot’s Superb (1823), Myatt, Admiral Dundas, Eleanor (Myatt 1847), Sir Harris, Victoria (Trollop 1852), Jucunda (Salter 1854). La Fraise de Barnes supplante l’ancienne Fraise de Bath ou Ananas. Avant 1837, Lindley énumérait 62 variétés cultivées en Angleterre. Elton fut propagée par Truffaut, de Versailles, vers 1830, mais l’entrée en France des Fraises anglaises a été lente et tardive. Entre 1840 et 1850, Jamin et Durand, horticulteurs à Paris, rue de Buffon, et ensuite à Bourg-la-Reine, avaient une collection de Fraises anglaises encore très peu répandues. En France, les améliorations de la grosse Fraise commencèrent avec Gabriel Pelvilain, jardinier-chef du château royal de Meudon, qui obtint en 1844, d’un semis de Fraise Elton, un gain supérieur en qualité à la plupart des Fraises anglaises connues par leur extrême acidité, et qu’il nomma Princesse royale en l’honneur de la Duchesse d’Orléans. Ce fut la première Fraise à gros fruit de grande culture. Sa grande productivité en permettait la vente à bas prix. La grosse Fraise commença vers cette époque à entrer dans la consommation populaire.

Princesse royale, à qui l’on pouvait reprocher une mèche centrale ligneuse, fut vite détrônée par d’autres variétés à gros rendement, comme Marguerite, issue d’un semis effectué en 1858 à Châlons-sur-Marne, par Lebreton. Vicomtesse Héricart de Thury obtenue par Jean-Laurent Jamin et mise au commerce en 1852. C’est encore la Fraise la plus populaire des rues sous le nom dénaturé de « Ricart ». Dr Morère, variété élevée par Berger, de Verrières (S.-et-O.), qui l’obtint dans un semis en 1865. Mise au commerce par Durand en 1871. Sir Joseph Paxton, gain anglais de Bradley, la principale Fraise des marchés anglais. Noble, variété anglaise de Laxton (vers 1896) ; Général Chanzy, de Riffaud ; Jarles, type perfectionné de Dr Morère (1899) et d’autres encore. Les unes se faisant remarquer par leur précocité, leur productivité, leur fermeté, et propres à la culture commerciale ; d’autres variétés à la chair délicatement parfumée, au beau coloris, avantageuses pour le jardin de l’amateur.

Le règne de Napoléon III a vu plusieurs semeurs-fraisiéristes qui ont produit une série de variétés de ces Fraisiers issus de types américains. Les noms de leurs obtentions, pour la plupart oubliées aujourd’hui, remplissent les catalogues et les périodiques horticoles du temps. Ce sont Graindorge, à Bagnolet ; Robine, à Sceaux ; Gloëde, à Moret et ensuite à Beauvais. Celui-ci, qui cultivait jusqu’à 300 sortes de Fraisiers, a mis au commerce beaucoup de Fraises anglaises et les gains de certains amateurs français comme ceux du Dr Nicaise, à Châlons-sur-Marne. La première obtention de cet ancien chirurgien des Hôpitaux militaires devenu amateur de Fraises, fut La Châlonnaise (1852). On a beaucoup parlé de sa Fraise Dr Nicaise (1863), un fruit énorme, de forme irrégulière. Parmi les semeurs étrangers on remarque Ingram, jardinier-chef des jardins royaux de Frogmore et le capitaine Laxton, en Angleterre. De Jonghe, en Belgique, est l’obtenteur de La Constante.

Parmi les fraisiculteurs plus modernes, il faut noter Gauthier, à Caen, François Lapierre, pépiniériste au Grand-Montrouge, obtenteur de La France (1885) ; il a beaucoup contribué à la vulgarisation des bonnes variétés dans les environs de Paris. Ed. Lefort, de Meaux, s’est particulièrement consacré à l’amélioration des Fraisiers. Semeur heureux, il a obtenu Belle de Meaux, Ed. Lefort, Le Czar et autres.

Une amélioration très avantageuse survenue récemment dans le groupe des hybrides à gros fruits est la qualité remontante qui appartenait jusqu’ici au seul Fraisier des Alpes issu de notre principale espèce indigène. Cependant les Fraisiers américains ont assez souvent la faculté de remonter dans le Midi. Même sous le climat parisien, on a pu voir quelquefois des fruits en août et septembre sous l’influence de certaines causes atmosphériques. Dans des conditions exceptionnelles de culture, Vicomtesse Héricart et Marguerite donnent aussi une 2e récolte de fruits, sans être, malgré cette particularité, franchement remontantes. C’est à M. l’abbé Thivolet, curé de Chanoves (Saône-et-Loire), que revient le mérite de la création du premier Fraisier remontant : le Saint-Joseph obtenu de semis en 1893 (Synonymes : Rubicunda, Léon XIII), et dont l’amélioration a été rapide. Déjà Jeanne-d’Arc due à Ed. Lefort (1897) était un fruit de qualité supérieure. Puis vint Saint-Antoine de Padoue, autre obtention de M. l’abbé Thivolet, mise au commerce en 1899 par la maison Vilmorin. Cette série nouvelle de formes remontantes dans le genre Fraisier permet à la grosse Fraise de figurer sur les tables à la fin de l’été et à l’automne concurremment avec la Fraise des Quatre-Saisons.

Comme nous l’avons dit, la vulgarisation de la Fraise due au bas prix des sortes à gros rendement, ne remonte qu’au milieu du XIXe siècle. Elle a eu d’heureuses conséquences économiques en mettant un fruit excellent à la portée de la classe ouvrière presqu’entièrement privée de ces aliments agréables et hygiéniques. Les Annales de la Société royale d’Horticulture constatent en 1845 que l’on commence à Paris la vente des Fraises sur les petites voitures. C’étaient encore des Fraises Capron et des Quatre-Saisons. En 1854, Hérincq signale dans son Horticulteur français qu’il se vend dans les rues de Paris des Fraises à 0,20 c. la livre, « ce qui, dit-il, ne s’était pas encore vu dans la capitale où la Fraise était jadis considérée comme fruit de luxe ».

La culture de la Fraise a pris de nos jours une extension incroyable autour de toutes les grandes villes. Dans certains départements, il s’est créé des exploitations spéciales pour l’exportation. Les plus grandes fraiseraies du monde se trouvent en Angleterre et aux Etats-Unis. Moins vastes, les cultures françaises sont aussi plus nombreuses. Vaucluse, Var, Alpes-Maritimes, Rhône, Maine-et-Loire, Tarn-et-Garonne produisent beaucoup de Fraises. Dans le département du Nord, la Fraise donne lieu à une importante culture sous verre. Les cultures spéciales de Plougastel (Finistère) sont célèbres. L’exportation se fait surtout sur Paris et en Angleterre. Le commerce de la Fraise est très important à Carpentras, Toulon, Hyères, Orange, Avignon, etc. L’initiative de la culture de la Fraise en Vaucluse revient à M. François Martin, né à Carpentras en 1844. L’approvisionnement de Paris en Fraises de saison est tiré principalement des départements de la Seine et de Seine-et-Oise. La région classique de la Fraise autour de Paris est constituée par la vallée de l’Yvette entre Chevreuse et Palaiseau et la vallée de la Bièvre. La commune de Palaiseau, seule, a environ 100 hectares de fraiseraies. Le canton en a 700. C’est une culture récente[506].

[506] Ardouin-Dumazet, Voyage en France, 45e série, p. 208.

Au XVIIe siècle, selon Tallemand des Réaux, le village de Bagnolet, près Paris, fournissait de Fraises les tables luxueuses. Un siècle plus tard, Montreuil paraît être le principal centre de culture des environs de Paris. Roger Shabol disait en 1770 : « il se vend annuellement pour dix mille écus de Fraises dans cette localité ». Nous citerons, pour l’époque actuelle, parmi les principaux centres producteurs de Fraises commerciales : Sceaux, Antony, Marcoussis, Orsay, Fontenay-aux-Roses, Clamart, Groslay, Montlhéry, Argenteuil.

M. Georges Villain a donné des détails intéressants sur les cultures de Fraises des autres régions françaises :

« La Fraise est cultivée dans cinq groupes principaux : Carpentras, Plougastel, Hyères, Saumur et Montauban. Les expéditions de Carpentras ont doublé depuis dix ans (1900-1910). La variété Marguerite qui ne peut supporter les longs parcours a été remplacée par la Héricart, la Paxton, la May-Queen. Cette culture est très rémunératrice ; on cite un cultivateur qui, sur un hectare, a récolté 5.280 francs, laissant un bénéfice net de 2.400 francs.

« A Plougastel, même progression : la surface cultivée en Fraises est de 600 hectares ; on en vend actuellement pour près de 1.500.000 francs. Entre deux rangs de Fraises est intercalée une rangée de petits Pois. La plus grande partie de ces deux récoltes va en Angleterre. Angers et Saumur expédient, durant un mois, dix wagons de 5.000 kilogr. de Fraises par jour vendues à Paris de 45 à 100 francs les 100 kilogr.[507]. »

[507] Bull. Soc. nat. d’Agric., 1910, p. 268.

Hyères et Toulon expédient sur Paris, dès le 1er avril, par wagons pleins, la petite Fraise des bois améliorée. Fin avril et en mai arrivent de Carpentras et environs les grosses Fraises cultivées sous verre. C’est une culture très lucrative. En avril-mai des fruits extra-gros provenant de la culture sous verre, peuvent atteindre le prix de 0,75 c. à 2 fr. pièce, selon la rareté ou la demande de la marchandise.

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