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Histoire des légumes

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PATATE DOUCE OU BATATE

(Batatas edulis Choisy)

Dans toutes les régions chaudes du globe : l’Amérique du Sud et même tempérée du Nord, la Chine, le Japon, l’Inde, l’Afrique du Sud, la Patate douce est l’une des bases de l’alimentation ; elle remplace la Pomme de terre des pays tempérés. Les Américains, en particulier, en font une énorme consommation.

Dans le nord de la France, la Patate est cultivée par un petit nombre d’amateurs, quoiqu’elle soit connue depuis la découverte de l’Amérique et qu’elle ait été en vogue à certain moment dans le cours du siècle dernier ; mais sa culture qui exige des soins, l’emploi des couches et des châssis, enfin la conservation difficile du tubercule, lequel a un goût sucré qui ne plaît pas aux personnes habituées à la Pomme de terre, ont empêché la vulgarisation, sous nos climats, de cet excellent légume.

La Patate appartient à la famille des Convolvulacées, dont presque toutes les espèces sont rhizomateuses ; elle produit des renflements tuberculeux plus ou moins volumineux et de forme variable, selon les variétés, qui sont groupés à la base de la tige rampante ou volubile. La Patate est plus féculente que l’Igname et sa fécule, différente de celle de la Pomme de terre, a un goût sucré qu’elle doit au saccharose qui constitue avec l’amidon les matières de réserve de la plante.

L’origine de la Patate est douteuse. Les botanistes ne l’ont pas trouvée à l’état spontané. Chose bien étonnante, on a pu constater son existence, à l’état cultivé, dans beaucoup de régions tropicales qui n’ont jamais eu entre elles de communications connues. La diffusion de la plante a pu commencer dès l’époque préhistorique avec les premières migrations humaines. Ainsi la Patate était cultivée simultanément en Asie, dans le Nouveau Monde et les grandes îles de la Polynésie, séparées des continents par d’immenses espaces. Comment se fit la dispersion de l’espèce et quel est son point de départ ?

L’hypothèse de l’origine américaine est soutenue par de Candolle et d’autres éminents botanistes. La Chine connaît la Patate seulement depuis le IIe ou le IIIe siècle de l’ère chrétienne. Il est évident, dit de Candolle, que si la plante avait été connue dans l’Inde à l’époque de la langue sanscrite, elle se serait répandue dans l’Ancien Monde, car sa propagation est aisée et son utilité évidente[344]. L’Egypte, le monde gréco-romain, les Arabes du moyen âge ont en effet ignoré la Patate. D’autre part, les 15 espèces connues du genre Batatas se trouvent toutes en Amérique, savoir 11 dans ce continent seul et 4 à la fois en Amérique et dans l’Ancien Monde, avec possibilité ou probabilité de transports[345].

[344] Origine des pl. cultivées, 4e éd., p. 45.

[345] Loc. cit., p. 43.

Les partisans de l’origine asiatique de la Patate objectent que le transport de la plante dans les îles polynésiennes est plus concevable, si l’on admet comme point de départ l’Asie méridionale, qu’une importation américaine. Les îles de l’Océanie furent peuplées primitivement par une race nègre, par les ancêtres des Papous actuels, subjugués plus tard par les migrations malaises. Or le mot péruvien Cumar, pour Patate, est analogue aux noms employés par les races polynésiennes, de la Nouvelle-Zélande à Tahiti : kumala, kumara, umara, etc. « La Patate nous vient de Hawaiki, ont dit les Maoris de la Nouvelle-Zélande. Or, pour les Polynésiens, qu’est-ce que Hawaiki ? C’est le Pays des Ancêtres. » La race conquérante qui s’est répandue en Malaisie et en Océanie a pour berceau la presqu’île de Malacca, Java, Sumatra. Ce fait expliquerait le passage de la Patate des contrées méridionales de l’Asie en Malaisie et ensuite dans toute la Polynésie[346].

[346] Courtet, La Patate douce et les Polynésiens. (Bull. Soc. d’acclim. de Fr. 1909, p. 186.)]

Il resterait à expliquer comment la Patate est arrivée en Amérique d’où elle nous est parvenue avec le premier voyage de Colomb qui offrit à la Reine Isabelle des Patates avec d’autres produits du Nouveau Monde. Peter Martyr, dans le 9e livre de sa seconde Décade (1514), donne le nom de Batata, plante cultivée dans le Honduras. Les premiers navigateurs nommaient aussi la plante camote, amote, ajes (ajes est également le nom caraïbe de l’Igname). Oviedo qui écrivait en 1525-35 décrit 5 variétés de cette plante généralement cultivée à Cuba et ailleurs et grandement estimée. Garcilasso de Vega, contemporain de la conquête, mentionne le nom péruvien apichu. Camote, qui a été conservé par les Espagnols, est le nom du Yucatan. Les Caraïbes appelaient la Patate maby. Le grand nombre de noms employés par les aborigènes indique une culture très ancienne. Batata, d’où l’on a fait Patate, est aussi un nom américain. La grande similitude des tubercules de la Patate et de la Pomme de terre a été la cause d’une confusion de noms entre les deux plantes pourtant bien différentes par leurs autres caractères. De là vient que les Anglais nomment la Pomme de terre Potato. En Belgique, dans le midi de la France, Patate est synonyme de Pomme de terre.

Dès la seconde moitié du XVIe siècle, la culture de la Patate était largement répandue en Espagne, en Portugal et en Italie. Clusius, en 1566, décrit 3 variétés encore cultivées : la rouge, la rose et la blanche. Il note, en 1576, que l’on essayait sa culture en Belgique.

La Patate a fait son apparition en France beaucoup plus tard. Poiteau a écrit jadis une notice historique sur son introduction dans notre pays[347]. Nous lui empruntons les détails suivants :

[347] Annales Soc. roy. d’Hortic. de Paris, 1835, tome XVI, p. 73.

« Il n’est pas probable que la Patate ait été connue en France du temps de Louis XIV, puisque ni La Quintinie, ni Tournefort n’en parlent. Elle n’est pas mentionnée dans le catalogue du jardin botanique de Montpellier, publié par Gouan, de 1762 à 1765, mais il est certain, d’après ce qu’en ont dit Richard et Gondoin, tous deux jardiniers de Louis XV, le premier à Trianon et le second à Choisy, qu’ils ont cultivé la Patate pour la table de ce roi, qui, assuraient-ils, l’aimait beaucoup. Or, ce fut vers 1750 que les jardins de Trianon, dirigés par Richard, ont commencé à avoir de la célébrité pour la grande quantité de plantes étrangères qu’ils renfermaient. On peut donc dire que la culture de la Patate, comme plante alimentaire, a commencé en France vers 1750.

« Depuis la mort de Louis XV jusque vers 1800, la Patate fut reléguée dans les serres chaudes des jardins botaniques. La culture pour l’alimentation reprit par suite d’une circonstance fortuite, c’est-à-dire lorsque le général Bonaparte épousa en 1794, Joséphine, qui était créole et en cette qualité aimait beaucoup les Patates. Quand Bonaparte fut parti pour l’Egypte en 1798, sa femme s’établit à la Malmaison. L’humble Patate osa se montrer parmi les plantes somptueuses qui abondaient à la Malmaison, et Joséphine, fidèle à son goût créole, la fit cultiver pour sa table. En 1804, Joséphine devint impératrice, et bientôt M. le comte Lelieur de Ville-sur-Arce fut nommé administrateur des Jardins de la Couronne. Eclairé sur la culture de la Patate par son précédent séjour en Amérique et par ses essais sous le Consulat, il en fit cultiver à Saint-Cloud avec un succès et une abondance jusqu’alors inconnus en France, et Joséphine put en régaler toute sa cour.

« Alors la Patate devint à la mode chez les courtisans ; ils en firent cultiver pour eux-mêmes et beaucoup de personnes purent, sinon manger, du moins goûter de la Patate. Bientôt les restaurateurs, instruits des bonnes qualités de la Patate par les bruits venant de la Cour, voulurent en servir sur leurs tables et ils en demandèrent aux jardiniers. Quelques-uns de ceux-ci essayèrent de la cultiver comme des Melons, réussirent plus ou moins bien, et en vendirent un peu d’abord à 5 francs la livre ; ce prix descendit vite à 2 francs et au-dessous ; et, malgré cette diminution, les restaurateurs n’en consommèrent pas davantage, aussi les jardiniers, qui ne pouvaient vendre toute leur récolte, renoncèrent à la culture de cette plante. Après l’Empire, il ne s’est trouvé aucun personnage auguste à la Cour des Bourbons qui aimât la Patate avec prédilection ; et, comme les courtisans n’ont jamais d’autre goût que celui du souverain, la Patate a été peu à peu délaissée. »

Il convient de citer ici les noms des quelques auteurs ou agronomes qui ont essayé d’attirer l’attention du public sur ce légume ; d’abord l’abbé Rozier et Parmentier, vers 1780. M. Vallet de Villeneuve, grand propriétaire dans le Var, Vilmorin et M. Tougard, vers 1830, ont tenté d’en propager la culture. Puis la maladie de la Pomme de terre, en 1845, qui fit chercher partout des succédanés au précieux tubercule, provoqua quelques mémoires sur la culture de la Patate dus à MM. de Gasparin, Reynier, Sageret[348].

[348] Ann. Soc. roy. d’Hortic., 1847, p. 194. — Mém. Soc. nat. d’Agric., t. L, (1842), p. 69. — id. t. LXII, p. 449.

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