Les yeux fermés : $b roman
VIII
De mon premier séjour en Pays Basque, il me souvient comme d’hier. Après le printemps de Pau, — printemps d’internat, printemps déprimant, — l’été de Guéthary fut magnifique ; soleil sur l’océan assoupi dont les marins redoutent les réveils, nuages hauts et paresseux que soudain chasse le vent de l’orage imprévu, pluies bruyantes et brèves sous lesquelles les routes, blanches de poussière, se couvrent d’une boue qu’une heure de soleil retransforme en poussière, et là-bas, au delà de l’église rustique, l’horizon dentelé de montagnes bleues qui, aux heures moins chaudes, attiraient nos promenades, ce sont des bouffées de chaleur tempérée, de lumière douce, de parfums sains, qui me remontent à la mémoire. L’ombre même, si rare, au pied des platanes bas, avait une saveur que je n’ai pas trouvée en d’autres lieux. Près de la route d’Espagne, un sandalier, à cheval sur le banc de son établi, façonnait en chantant les semelles de tresse. J’entends encore le son étouffé du poing frappant la semelle sur la planche luisante, et la mélopée que l’homme chantait, chanson triste dont s’égayait le travail. Il paraît qu’on ne voit plus de sandalier près de la route d’Espagne, où trop de puissantes voitures se succèdent à présent intarissablement sans soulever de poussière. Mais il me plaît d’en douter. Le dimanche, du moins, les petites Basquaises, demeurées coquettes, — et la plupart ont gardé leurs cheveux longs, — continuent d’aller à la messe, nu-tête sous la mantille noire. Elles y chantent toujours avec la même ferveur des cantiques incompréhensibles qui étonnent l’étranger, et que je chante aussi, par bribes, sans comprendre. Chansons, cantiques, incantations du Pays Basque, le plus fidèle de tous les pays à ses coutumes, simplement le plus fidèle ! Si peu de choses y ont changé depuis vingt ans ! Moi-même, qui ne vois plus, je le reconnais et je m’y reconnais. C’est là que ma mère m’avait appris à aimer.