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Les yeux fermés : $b roman

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LV

On n’est pas le héros d’une telle scène, si on ne l’a pas cherchée, sans en éprouver, à mon âge, une émotion violente. Je ne distinguais plus si j’étais content ou fâché. Il me tombait du ciel un bonheur inespéré et une peine atroce, — une peine atroce parce que, d’emblée, je faisais, n’étant pas fat, la part du dévouement dans la décision de Michelle, et parce que je prévoyais — quel mot pour un aveugle ! — toute la vie difficile où s’élançait mon amie trop jeune. Mais le premier pas était franchi. Je me sentais moins timide, plus calme. Loin de profiter d’une victoire flatteuse, je me hâtai d’accumuler devant Michelle les raisons qui devaient, selon moi, s’opposer à nos vœux. Elle les repoussait toutes. Elle avait tout pesé, tout prévu.

— Et puis, ajouta-t-elle, moi aussi, je vous aime, Pierre. Et ça, ça ne se discute pas.

Je discutai néanmoins.

— Vous avez tout pesé, dis-je, mais vous ne savez pas tout.

— Quoi encore ?

J’hésitais. En tâtonnant, j’avouai la nouvelle qui m’était arrivée de ma mère à l’hôpital de Bordeaux.

— Je ne peux plus compter sur elle, dis-je. Vous seriez seule, toute seule pour soigner l’infirme…

— Taisez-vous ! fit-elle avec ardeur. Ce que vous me dites, je le savais également.

— Vous le saviez ?

— Oui, par l’infirmière de Bordeaux, et que vous aviez refusé qu’on écrivît pour vous à votre mère, et que vous étiez très malheureux. Je savais tout, Pierre.

J’étais consterné. Mais elle :

— Eh bien ! qu’est-ce que vous attendez pour aller demander ma main à ma mère ? Faut-il que je la demande pour vous ? En voilà un fiancé ! Je lui ai déjà dit que je l’aime et il n’a même pas remarqué qu’il ne me l’a pas dit, lui, qu’il m’aime. Alors, quoi ? C’est le monde renversé ?

J’avais certainement l’air assez piteux.

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