Les yeux fermés : $b roman
LIV
J’avais tort de m’effrayer. Le danger n’était pas où je l’imaginais. Et il surgit lorsque, le goûter achevé, je me réjouissais que tout se fût assez bien passé. Nous nous promenions dans le jardin, derrière la villa, Michelle et moi, mon bras accroché au sien. La brise froissait légèrement les branches des tamaris. La terre desséchée craquait sous mes pieds. Il faisait très chaud.
Michelle me conduisait à la tonnelle où elle avait appris à lire. Quand nous y fûmes, à l’abri du soleil :
— Mon ami, commença Michelle, sans aucune préparation, voilà quinze jours que vous êtes revenu à Saint-Jean-de-Luz et vous ne m’avez pas encore dit ce que vous désiriez me dire.
Je sentis que je rougissais. Où m’entraînait Michelle ? J’aurais voulu me soustraire à son regard.
— Ne me le direz-vous pas ? demanda-t-elle. Ou bien auriez-vous changé d’avis ?
Je balbutiai :
— Je ne comprends pas. Je…
— Pierre ! répliqua Michelle, et, de nouveau, elle m’appelait par mon prénom. Pierre ! Vous comprenez. Ne fuyez pas. Croyez-vous que je n’aie pas compris, moi ? Faut-il vous aider ?
Je me taisais. Elle s’impatienta.
— Mais parlez donc, Pierre ! Nous sommes seuls, je vous écoute.
Elle me tenait la main. Je secouai la tête.
— Pourquoi m’infligez-vous ce supplice ? demandai-je.
— Vous ne m’aimez donc plus ? s’écria-t-elle.
Et moi, la voix rauque :
— Je ne peux plus, Michelle. Il ne m’est plus permis… Un aveugle…
— Qu’est-ce que vous dites ?
— Un infirme…
Et je détournai la tête comme si elle dût voir dans mes yeux que je parlais contre mon cœur, et je lui retirai ma main. Mais elle, d’une voix forte :
— Vous êtes fou ?
Puis, plus bas, lentement, doucement :
— Il est trop tard, Pierre.
Et, s’appuyant sur moi, le front à hauteur de mon épaule, elle murmura :
— Vous n’aviez donc pas compris ?